Éditorial

Vous avez dit “médecine personnalisée” ?


(pdf / 60,62 Ko)

De quelle personne parle-t-on ? On nous dit que grâce aux big data apportés par les techniques “omiques” à haut débit (pangénomique, transcriptomique, protéomique, métabolomique, etc.) et à leur analyse biostatistique, on va pouvoir découvrir de multiples biomarqueurs permettant de stratifier les pathologies, de découvrir de nouvelles cibles thérapeutiques, de reconnaître ex ante, et non ex post, les bons répondeurs aux divers traitements et les sujets à risque d'effets indésirables. Il ne sera même pas nécessaire d'en comprendre la mécanistique. Mieux encore, on pourra reconnaître, parmi les personnes bien portantes, celles qui sont à risque, les transformer en “patients waiting” pour développer une médecine préventive ou mettre en oeuvre un programme de dépistage. En effet, comme chacun le sait depuis Knock : “La bonne santé est un état précaire qui n'annonce rien de bon !” Les big data devraient donc permettre aux big pharma à la fois d'élargir le marché et de le segmenter en passant de la médecine standardisée produite par l'EBM (Evidence-Based Medicine) classique à la médecine de précision qu'on dit abusivement “personnalisée”. Il ne s'agit en effet ici que de “personnalité moléculaire”. Mais la plupart des maladies chroniques sont liées à l'interaction entre une susceptibilité génétique et des facteurs environnementaux. Pour globaliser l'exposition environnementale dans le temps et l'espace, on parle de l'“exposome”, dont l'épigénétique assurerait la traduction moléculaire. On mesure donc le méthylome marqueur de l'épigénomique. Et si on ajoute les données fournies par l'étude du microbiote et les multiples automesures fournies par les objets connectés, on peut ainsi espérer numériser la personne, la transformer en un “tas de chiffres”, plus ou moins “actionnables” et donc “marchandisables”. “L'industrie automobile a su personnaliser sa production. À nous de faire de même !”, conseille le prophète de la “médecine industrielle” et du “médecin ingénieur”. La médecine 4P est en effet soeur jumelle du marketing 4P : produit, prix, place, promotion.

Parler de médecine personnalisée, c'est oublier que la personne humaine est à la fois une objectivité mesurable et une pure subjectivité incommensurable : l'unité d'une dualité. Comme le disait Emmanuel Mounier, fondateur du mouvement personnaliste : “La personne n'est pas un objet. Elle est même ce qui dans chaque homme ne peut être traité comme un objet.” Arrêtons de parler de “médecine personnalisée” alors qu'il ne s'agit que de médecine de précision ou de médecine individualisée. “Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde”, disait Albert Camus.


Liens d'intérêt

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en rapport avec cet éditorial.