Editorial

Les 7 défis de la maladie chronique


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En 2011, l'assemblée générale de l'ONU appelait à relever “le défi mondial d'ampleur épidémique” représenté par la croissance des maladies chroniques.

Le 1er défi est en effet d'ordre épidémiologique. Les maladies chroniques affectent 20 millions de personnes en France, dont 10 sont prises en charge à 100 % au titre des affections de longue durée (ALD), ce qui représente 60 % des dépenses de santé. Cette “épidémie” est la conséquence du vieillissement de la population, expliquant l'essor des pathologies dégénératives, mais aussi de la dégradation de l'environnement et des bouleversements des modes de vie participant au développement de l'obésité, de certains cancers, des comportements addictifs et des dépressions. Les progrès de la médecine apportent paradoxalement leur contribution à cette épidémie, moins par les effets indésirables de certains médicaments que par l'accroissement de l'espérance de vie des malades, qu'il s'agisse des patients victimes de cancer, d'accident cardiovasculaire, du sida ou du diabète.

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En 2011, l'assemblée générale de l'ONU appelait à relever “le défi mondial d'ampleur épidémique” représenté
par la croissance des maladies chroniques.

Le 1er défi est en effet d'ordre épidémiologique. Les maladies chroniques affectent 20 millions de personnes en France, dont 10 sont prises en charge à 100 % au titre des affections de longue durée (ALD), ce qui représente 60 % des dépenses de santé. Cette “épidémie” est la conséquence du vieillissement de la population, expliquant l'essor des pathologies dégénératives, mais aussi de la dégradation de l'environnement et des bouleversements des modes de vie participant au développement de l'obésité, de certains cancers, des comportements addictifs et des dépressions. Les progrès de la médecine apportent paradoxalement leur contribution à cette épidémie, moins par les effets indésirables de certains médicaments que par l'accroissement de l'espérance de vie des malades, qu'il s'agisse des patients victimes de cancer, d'accident cardiovasculaire, du sida ou du diabète.

Le 2e défi est celui de la recherche, qui transforme les maladies : la moitié des cancers peuvent être guéris, l'ulcère gastroduodénal est aujourd'hui guéri par une antibiothérapie, l'hépatite C est appelée à disparaître. Les progrès permettent de “troquer” une maladie grave et contraignante pour une autre maladie moins grave et moins pénible. Les greffes d'organe transforment les insuffisants cardiaques, hépatiques ou rénaux en immunodéprimés. La chirurgie bariatrique supprime une maladie métabolique sévère au prix d'une maladie digestive. Le diabétique insulinodépendant, grâce aux pompes et aux capteurs de glycémie, n'est plus condamné au “régime diabétique”, aux multiples injections et à l'instabilité glycémique. Les biothérapies ont transformé le vécu des patients polyarthritiques…

Le 3e défi est celui de la prévention, qui suppose une politique de santé environnementale ne se limitant pas à la prévention individuelle et dépassant le champ actuel du ministère de la Santé.
La prévention passe également par une politique de réduction des inégalités sociales, culturelles et territoriales de santé.
Le développement de l'obésité et de ses complications ainsi que du nombre de cancers est fortement corrélé aux inégalités sociales. En la matière, notre pays figure parmi les mauvais élèves de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous avons construit un bon système de soins mais un mauvais système de santé !

Le 4e défi est celui des patients (et de leur entourage) qui doivent gérer quotidiennement leur traitement. L'observance est donc un problème majeur, estimée en moyenne à 50 %, avec cependant une grande variation selon les pathologies et selon les études. Elle dépend bien sûr de la nature de la maladie, ­en particulier de son caractère symptomatique ou non, de la complexité du traitement et de ses effets indésirables éventuels, ainsi que de l'accès aux médicaments facilité par la gratuité. Elle dépend surtout de la qualité de la relation médecin/malade car il ne s'agit pas ici d'obéir à des ordres comme dans l'armée ou à des règles comme dans la religion, il s'agit d'avoir compris et accepté le traitement. On parle de décision médicale partagée ou de co-décision. Le concept d'observance doit donc être remplacé par celui d'auto-observance. L'auto-inobservance devient alors un défi à la raison dont l'explication rationnelle relève de la loi de l'homéostasie psychique. En effet, lorsque ses besoins primaires (faim, soif, absence de douleur, sécurité…) sont assurés, l'être humain donne la priorité à l'homéostasie psychique sur l'homéostasie physique. Plutôt prendre le risque de la mort physique demain que de vivre aujourd'hui la dépression profonde ou l'angoisse terrifiante. Or, la maladie chronique frappe toujours 2 fois, une fois dans le réel et une fois dans la représentation du réel. Lorsque le médecin annonce le diagnostic, il ne désigne pas seulement une pathologie du corps qu'on ne sait pas guérir, même si on peut plus ou moins bien la soigner, il annonce 2 ruptures dans la vie du patient : ça ne sera jamais plus comme avant, et désormais vous serez différent des autres. Et cette double rupture peut provoquer un traumatisme psychique. La profondeur de ce trauma varie selon la pathologie et selon les patients, en particulier selon leurs expériences antérieures de vie et selon leur sensibilité aux regards des autres. D'où l'importance de faciliter l'expression du patient sur son vécu avant et depuis la maladie. Retour à la médecine narrative ! Pour éviter l'effondrement psychique, le patient peut mettre en œuvre des mécanismes de défense allant du déni au refus conscient de la maladie en passant par la pensée magique, le clivage, la suractivité, les comportements à risque,
la projection, les addictions… Il peut se rendre “malade d'être malade”, comme le font très bien un certain nombre de médecins atteints de la maladie dont ils sont pourtant spécialistes !

Voilà pourquoi l'éducation thérapeutique ne saurait se réduire à un simple apprentissage de l'auto-soin ; elle doit aussi s'inscrire dans un processus de résilience.

Le 5e défi est donc celui du médecin accompagnant des patients atteints d'une maladie chronique. Il doit avoir une triple compétence : biomédicale et particulièrement thérapeutique, relationnelle et pédagogique, enfin et surtout psychologique. Or, la faculté ne forme qu'à la première compétence. C'est pourquoi les psychologues sont souvent moins utiles aux patients qu'aux soignants. Le médecin doit pratiquer, dit-on, une médecine “centrée sur le malade” et pas seulement sur la maladie. Fort bien, mais pour se centrer sur le patient, il faut pouvoir se décentrer de soi. À cela il y a 2 conditions : avoir une solide identité professionnelle et connaître parfaitement la ou les maladies du patient, et être ­soi-même dans une situation de sécurité
émotionnelle. Ce n'est évidemment pas le cas de l'étudiant en médecine et pas de tous les médecins, ou pas tous les jours.

Le 6e défi est en effet celui du travail en équipe médicale et paramédicale avec, chaque fois que cela est nécessaire, l'aide de travailleurs sociaux. S'il y a besoin d'un coordonnateur assurant la continuité et la cohérence, il ne doit pas y avoir de rapport hiérarchique au sein de l'équipe. Chaque membre doit jouer sa partition tout en ayant connaissance de celle des autres, pour atteindre des objectifs fixés en commun. Ils se connaissent, ils peuvent se joindre par portable, au mieux ils ont suivi des formations communes. Il ne s'agit pas d'une chaîne de production mais d'un orchestre de chambre dont la formation de base est le trio de proximité, représenté par le médecin traitant, l'infirmière et le pharmacien.

Le 7e défi est celui du système de santé devant faciliter la coopération entre les professionnels, entre la ville, l'hôpital, les soins de suite et les EHPAD (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), reconnaître de nouveaux métiers (infirmières cliniciennes, assistant médical coordonnateur, médiateur ­psycho-socioculturel, art-thérapeute), proposer de nouveaux modes de financement remettant en cause le paiement à l'acte et le financement à la T2A, et permettant de sortir de l'opposition entre l'intérêt général incarné par la Sécurité sociale et l'intérêt personnel des professionnels ou des établissements. Quant à l'amélioration de la qualité des soins, elle ne relève pas du “Payment for Performance” (P4P)[ou de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP)] qui conduit les professionnels à soigner le critère plutôt que le patient, mais de 3 éléments : la formation, le travail en équipe, et les évaluations multiples, dont celle des patients et de leurs associations.

Finalement, le traitement et le suivi des patients atteints d'une maladie chronique nécessitent le développement de la 3e médecine, à côté de la 1re médecine, celle des maladies aiguës bénignes et des gestes techniques simples, et de la 2e médecine, celle des maladies aiguës graves et des gestes techniques complexes.
Cette 3e médecine, intégrée, préventive, personnalisée et coordonnée, est la médecine de la personne.

Références

Grimaldi A, Caillé Y, Pierru F, Tabuteau D. Les maladies chroniques, vers la troisième médecine. Paris : Odile Jacob ; 2017.