Éditorial

La mélatonine est-elle dangereuse ?


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Le 11 avril 2018, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a émis un avertissement sur la consommation de compléments alimentaires contenant de la mélatonine. L'Anses a été alertée par 90 signalements d'effets indésirables entre 2009 et 2017 consécutifs à la prise de ce type de produits, dont 19 étaient suffisamment documentés pour retenir une imputabilité du produit. Les effets indésirables rapportés étaient soit des symptômes généraux (céphalées, vertiges, somnolence, cauchemars, irritabilité), soit des troubles neurologiques (tremblements, migraines), soit des troubles gastroentérologiques (nausées, vomissements, douleurs abdominales).

Après analyse de ces cas, l'Anses a donc recommandé “aux personnes souffrant de maladies inflammatoires ou auto-immunes, aux femmes enceintes et allaitantes, aux enfants, aux adolescents et aux personnes devant réaliser une activité nécessitant une vigilance soutenue et pouvant poser un problème de sécurité en cas de somnolence” de ne pas consommer de mélatonine sous forme de compléments alimentaires. Par ailleurs, l'Agence déconseille la consommation de compléments alimentaires contenant de la mélatonine sans avis médical “pour les personnes épileptiques, asthmatiques, souffrant de troubles de l'humeur, du comportement ou de la personnalité ou suivant un traitement médicamenteux”.

Dès l'émission de cette recommandation ont débuté des appels et des questionnements inquiets de patients souffrant de pathologies neurologiques, à qui nous prescrivons de la mélatonine.

Qu'en penser ?
Quelle information pour nos patients sous mélatonine ?

On rappellera tout d'abord que la mélatonine est une hormone synthétisée par l'épiphyse (glande pinéale) à partir d'un précurseur, la sérotonine (1). La synthèse et la libération de la mélatonine sont soumises à un rythme circadien contrôlé par le noyau suprachiasmatique hypothalamique avec un pic de libération nocturne : les concentrations de mélatonine augmentent ainsi progressivement en fin de journée jusqu'à un pic de libération situé entre 1 heure et 3 heures du matin pour décroître en deuxième partie de nuit. L'augmentation de la sécrétion endogène participe ainsi à la régulation du cycle veille/sommeil, en inhibant les systèmes d'éveil. C'est pourquoi elle est prescrite essentiellement dans des situations connues de dérégulation de ce cycle : situations physiologiques comme le décalage horaire ou pathologiques, notamment les troubles du sommeil associés à certaines pathologies neurologiques ou psychiatriques, comme la dépression (2).

En France, la seule molécule commercialisée ayant eu une autorisation de mise sur le marché est le Circadin®, forme à libération prolongée, dosée à 2 mg, indiquée en monothérapie, pour “le traitement à court terme de l'insomnie primaire caractérisée par un sommeil de mauvaise qualité chez des patients de 55 ans ou plus”. On peut également prescrire de la mélatonine en préparation magistrale à la posologie souhaitée par le médecin (2, 3, 4, 6, voire 8 mg), mais le coût est alors à la charge du patient. Enfin, on notera que la mélatonine est présente dans de nombreux compléments alimentaires mis sur le marché à des posologies parfois conséquentes (jusqu'à 2 mg/j).

Des études montrent un intérêt potentiel de la prise de mélatonine pour réduire le délai d'endormissement et augmenter, légèrement, la qualité et la durée du sommeil (3). Par ailleurs, une revue récente de la littérature atteste de la bonne tolérance de la molécule (4), même à des posologies élevées, avec des effets indésirables mineurs (céphalées, nausées, instabilité, sédation) comparables, en fréquence, à ceux sous placebo.

Le signalement de l'Anses, à notre sens, relève plus de la problématique des compléments alimentaires que de la prescription médicale supervisée de mélatonine.

Chez les femmes enceintes ou allaitantes (peu ou pas de données), certaines précautions sont connues des médecins prescripteurs. En revanche, pour les autres populations visées par l'Anses, ces précautions sont plus sujettes à caution :

  • patients souffrant de maladies auto-immunes. Certains auteurs soulignent même, à l'inverse, un rôle thérapeutique possible de la mélatonine chez ces sujets (5), lié au rôle modulateur immun connu de la mélatonine sur la régulation des lymphocytes T helper et la production de cytokines ;
  • populations pédiatriques ou adolescentes pour lesquelles, malgré le manque de recul, on dispose de données de tolérance tout à fait rassurantes (6) ;
  • concernant la population de “personnes devant réaliser une activité nécessitant une vigilance soutenue et pouvant poser un problème de sécurité en cas de somnolence”, on rappellera les règles de bonne prescription de la mélatonine, avant le coucher, et non le matin ou dans la journée, comme c'est généralement le cas avec les compléments alimentaires ;
  • enfin, concernant l'avertissement “pour les personnes épileptiques, asthmatiques, souffrant de troubles de l'humeur, du comportement ou de la personnalité ou suivant un traitement médicamenteux”, on notera que de nombreuses études attestent de l'intérêt clinique de la mélatonine dans ces indications (7, 8).

En conclusion, la mélatonine est-elle dangereuse ? Non, à condition de rester dans le cadre d'une prescription médicale supervisée !

Références

1. Bordet R. Sommeil et mélatonine: une nouvelle approche ? La Lettre du Pharmacologue 2010;(24):1.

2. Srinivasan V, Pandi-Perumal SR, Trakht I et al. Pathophysiology of depression: role of sleep and the melatonergic system. Psychiatry Res 2009;165(3):201-14.

3. Pandi-Perumal SR, Srinivasan V, Poeggeler B et al. Drug insight: the use of melatoninergic agonists for the treatment of insomnia-focus on ramelteon. Nat Clin Pract Neurol 2007;3(4):221-8.

4. Andersen LP, Gögenur I, Rosenberg J et al. The safety of melatonin in humans. Clin Drug Investig 2016;36(3):169-75.

5. Abdelgadir IS, Gordon MA, Akobeng AK. Melatonin for the management of sleep problems in children with neurodevelopmental disorders: a systematic review and meta-analysis. Arch Dis Child 2018 (Epub ahead of print).

6. Lin GJ, Huang SH, Chen SJ et al. Modulation by melatonin of the pathogenesis of inflammatory autoimmune diseases. Int J Mol Sci 2013;14(6):11742-66.

7. Valdés-Tovar M, Estrada-Reyes R, Solís-Chagoyán H et al. Circadian modulation of neuroplasticity by melatonin: a target in the treatment of depression. Br J Pharmacol 2018 (Epub ahead of print).

8. Habtemariam S, Daglia M, Sureda A et al. Melatonin and respiratory diseases: a review. Curr Top Med Chem 2017;17(4):467-88.


Liens d'intérêt

L’auteur déclare avoir reçu des honoraires en tant que consultante ou oratrice des laboratoires EISAI, UCB et GSK.