Éditorial

Les hallucinations non psychiatriques


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Les hallucinations fascinent autant qu'elles effraient depuis les origines de ­l'humanité. Après une période ­d'ancrage quasi exclusivement psychiatrique à travers les descriptions cliniques structurantes des ­aliénistes du XVIIIe siècle, notre discipline connait un virage théorique important à partir de la fin du XXe siècle qui va enrichir les classifications catégorielles des maladies psychiatriques d'une approche plus dimensionnelle (se situant le long d'un continuum s'étendant du normal au pathologique), à laquelle ­l'hallucination n'échappe pas. Il est désormais communément accepté que les hallucinations, loin d'être pathognomoniques d'un trouble psychiatrique (notamment la schizo­phrénie), peuvent être observées dans de nombreux contextes, pathologiques ou non (1). On estime qu'environ 4 à 5 % des personnes en population générale peuvent présenter de telles expériences (2). L'hallucination reste un phénomène complexe, impliquant a minima des facteurs psychologiques, environnementaux et neurobiologiques (3), auxquels s'ajoutent des facteurs culturels pouvant influencer leur interprétation (4).

C'est précisément cet angle intégratif que nous avons choisi pour aborder les hallucinations non psychiatriques dans ce dossier. Fort du succès d'un symposium tenu lors de l'édition 2017 du Congrès français de psychiatrie (p. 61 du programme), trois exemples seront successivement traités. Les deux premières contributions traiteront d'hallucinations non cliniques et de leurs principaux diagnostics différentiels. Marine Bohet et al. nous rappelleront ainsi les signes à même d'aider le clinicien à distinguer compagnons imaginaires et hallucinations invalidantes de l'enfant, extrêmement fréquentes en période développementales (5). Martin Dudoignon et ses collaborateurs nous rapporteront le cas des hallucinations d'athlètes de l'extrême, à travers une enquête menée auprès des coureurs de l'Ultra-Trail du Mont-Blanc, mettant en exergue la contribution conjointe de la privation de sommeil, de l'isolement social et sensoriel, de l'altitude ou encore de la déshydratation.

Certains contextes cliniques, mais non psychiatriques, seront ensuite abordés. Les hallucinations hypnagogiques et les paralysies du sommeil seront illustrées à travers plusieurs vignettes cliniques par Jean-Baptiste Maranci et Isabelle Arnulf. La grande diversité de situations dans lesquelles les hallucinations peuvent survenir ne pouvait, bien entendu, pas être traitée de façon exhaustive. Usagers et professionnels peuvent cependant de plus en plus recourir à des consultations pluridisciplinaires spécialisées (Voice Clinics) afin de caractériser ces expériences, telle la Consultation hallucinations & expériences supra-sensorielles (CHESS) du CHU de Lille, à même de proposer un diagnostic et de définir une prise en charge dédiée et adaptée, que celle-ci soit psychothérapeutique, pharmacologique, qu'elle utilise des techniques de neuromodulation ou qu'elle se base sur une simple surveillance clinique (6).

Références

1. Waters F, Blom JD, Jardri R, Hugdahl K, Sommer IEC. Auditory hallucinations, not necessarily a hallmark of psychotic disorder. Psychol Med. 2018;48:529-36.

2. Johns LC, Kompus K, Connell M et al. Auditory verbal hallucinations in persons with and without a need for care. Schizophr Bull. 2014;40:255-64.

3. Jardri R, Cachia A, Thomas P, Pins D. The Neuroscience of Hallucinations. New-York :
Springer États-Unis ; 2013.

4. Laroi F, Luhrmann TM, Bell V et al. Culture and hallucinations: Overview and future directions. Schizophr Bull 2014;40:213-20.

5. Pignon B, Geoffroy PA, Gharib A et al. Very early hallucinatory experiences: A school-based study. J Child Psychol Psychiatry 2018;59:68-75.

6. Jardri R, Favrod J, Laroi F. Psychothérapies des hallucinations. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson SAS ; 2016.


Liens d'intérêt

R. Jardri et P. Thomas déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.