Le futur enseignement de la proctologie en gastroentérologie : syncrétisme ou nouvelle formation ?
Mis en ligne le 01/11/1998
Auteurs :
297
Parmi les nombreux points de vue sur la réforme de l’enseignement en proctologie un
consensus émerge à propos du caractère inadapté,
dispersé et restreint de la formation actuelle. Une mutation s’impose tant par le
développement de la spécialité que par sa nécessaire adap-tation
au futur espace européen (1, 3, 4, 5, 7, 9). Les trois changements directeurs pourraient
s’énoncer ainsi : adaptation, unification et
création.
Adaptation de l’enseignement hospitalo-universitaire par inclusion, au diplôme d’études
spécialisées (DES) de gastroentérologie, d’une
formation minimale clinique et théorique en proctologie médico-instrumentale pour tous les
futurs gastroentérologues.
Unification des différents diplômes universitaires (DU) régionaux en un diplôme
interuniversitaire (DIU) national de proctologie. Il sanc-tionnerait
une formation complémentaire dans la spécialité avec stages pratiques auprès de praticiens
expérimentés, octroyant une recon-naissance
en proctologie médico-instrumentale.
Création d’un diplôme d’études spécialisées complémentaire (DESC) en proctologie médico-
chirurgicale (3). Selon leur classement cer-tains
internes débuteraient, durant le DES, une formation médico-chirurgicale spécifique au sein de
services reconnus comme formateurs.
État actuel de la formation
L’acquisition de connaissances en proctologie n’est pas obligatoire pour l’obtention de la
spécialité des maladies de l’appareil digestif ;
cet état de fait est d’autant plus troublant que les patients consultant pour une pathologie
proctologique représentent environ 20 % de la
clientèle des gastroentérologues. Les pathologies anales, apparaissant sporadiquement au
cours du programme universitaire, sont souvent
traitées dans le cadre des grandes affections
digestives ou au chapitre des diagnostics dif-férentiels.
Un nombre réduit d’internes de la
spécialité effectuent, par leur classement
favorable, leur dernier semestre de DES dans
un des rares services spécialisés en proctolo-gie,
qui appartiennent le plus souvent aux
hôpitaux privés rattachés au service public.
Ce stage de six mois atteint son objectif
pédagogique en matière de proctologie médico-instrumentale mais reste insuffisant dans sa
durée pour acquérir une expérience solide en
chirurgie proctologique.
Des DU ont été créés pour pallier cette carence au niveau régional, tels ceux de Lille, Lyon,
Marseille, Montpellier, Nice, Paris et Toulouse.
Le nombre limité de places, la durée d’un an et les frais d’inscription réduisent l’accès à cette
formation théorique, où les gestes courants
en proctologie instrumentale, réalisables en ambulatoire, peuvent s’acquérir lors de stages
auprès de proctologues privés ou hospitaliers.
Aucune formation sérieuse en proctologie chirurgicale n’est officialisée néanmoins, les DU
restent la voie principale d’apprentissage des
bases de notre spécialité.
Le compagnonnage, l’entraide, voire la coop-tation
assurent une formation hétérogène,
souvent accélérée, d’un nombre non négli-geable
de nouveaux gastroentérologues
confrontés à la dure réalité d’être consultés
comme spécialistes dans une discipline qui ne
leur a pas été enseignée. Cette voie informel-le
assure, à force de persévérance et de volon-té
des intéressés, la formation de procto-logues
médicaux ou chirurgicaux compétents
et reconnus.
Les propositions
DES, DIU et DESC, derrière ces acronymes
se dissimulent les voies potentielles propres à
dispenser un enseignement global, structuré,
adapté et de haut niveau dans notre spéciali-té.
Si leur association peut paraître, sur
quelques points, redondante, ils répondent
néanmoins chacun à l’apprentissage précis
d’une facette de la proctologie (tableau I).
É d i t o r i a l
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (12), n° 9, novembre 1998
Le futur enseignement de la proctologie
en gastroentérologie : syncrétisme ou
nouvelle formation ?
DIU DES DESC
Formation Après obtention En cours de Débutée en cours
de la spécialisation spécialisation de spécialisation
Durée 1 année 6 mois 2 années
Financement Frais d’inscription Frais d’inscription Frais d’inscription
Pas de poste budgété Postes budgétés Postes à budgéter
Fonction Formation médico- Formation médico- Formation médico-principale
instrumentale instrumentale chirurgicale spécialisée
complémentaire de base
Inscription Gastroentérologues ou 3
e
année du DES 3
e
ou 4
e
année du DES
spécialités satellites
Titre obtenu Compétence en Diplôme de proctologie
proctologie médico- médico-chirurgicale
instrumentale
Tableau I. Principales particularités de la réforme selon la voie concernée (DIU, DES et DESC).
É d i t o r i a l
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (12), n° 9, novembre 1998 298
Les modifications pourraient inclure selon des modalités à définir : l’adaptation du DES ;
l’unification des DU en un DIU, la création d’un
DESC de proctologie médico-chirurgicale.
Adaptation du DES
Elle consisterait à inclure au DES un enseignement théorique et pratique minimal permettant
l’exercice de la proctologie quotidienne,
ambulatoire, pour tous les futurs spécialistes des maladies de l’appareil digestif. Cette option,
déjà en vigueur à Nancy par intégration du
DU au DES, est en cours d’élaboration en Ile-de-France.
La composante théorique regrouperait un premier module d’une demi-journée en troisième
année et un second en quatrième année consa-crés
aux principales affections proctologiques.
La composante pratique nécessiterait une demi-journée par semaine auprès de proctologues
confirmés, hospitaliers ou non, durant un des
deux semestres de troisième année ou quatrième année. Un carnet de stage regroupant les
principaux actes proctologiques élémentaires
appris et réalisés par l’interne attesterait de sa formation pratique.
Le directeur du DES jugera, sur les appréciations transmises, de la formation de l’étudiant.
Cette nouvelle conception implique l’accord des différentes collégiales de gastroentérologie. Les
stages pratiques, compte tenu du faible
nombre d’internes et de la durée courte d’un semestre, pourraient s’effectuer principalement
au sein des postes de stage déjà reconnus pour
les DU.
Unification des DU en un DIU de proctologie médico-instrumentale
Les DU régionaux ont l’avantage d’exister, de fonctionner et de combler une lacune de
l’enseignement hospitalo-universitaire dans notre
spécialité. Ils se renforceraient par l’unification en un DIU national ouvert aux
gastroentérologues titulaires, accessible à l’avenir à leurs
homologues européens. D’une durée d’un an, son contenu se calquerait sur ceux des DU
existants avec homogénéisation des programmes.
Il associerait enseignement théorique et stages pratiques.
La formation théorique pourrait regrouper les dix modules suivants : anatomie, physiologie
ano-rectale ; hémorroïdes, fissure anale ; sup-purations
ano-rectales ; explorations fonctionnelles et imageries ano-rectales ; troubles de la statique
pelvienne ; sida et maladies sexuel-lement
transmissibles ano-rectales ; pathologies inflammatoires ano-rectales ; douleurs en proctologie
; incontinence anale et constipa-tion
; pathologies tumorales ano-rectales.
Chaque module aurait lieu sous forme de séminaires durant deux à trois jours, associant
exposés formels, tables rondes et controverses. La
validation de six modules sur dix serait nécessaire. Un examen, dont les modalités restent à
préciser, sanctionnerait cette formation théo-rique.
La formation pratique se composerait d’une demi-journée par semaine auprès d’un proctologue
confirmé, avec apprentissage des gestes
classiques de proctologie médico-instrumentale colligés sur un carnet de stage. Il serait
demandé également la présence à six séances opé-ratoires
de proctologie durant cette même année.
Création d’un DESC de proctologie médico-chirurgicale
Ce nouveau diplôme national formerait les futurs gastroentérologues à la pratique de la
chirurgie proctologique. Son schéma organisationnel
pourrait s’établir ainsi : désignation d’une faculté de référence portant caution universitaire ;
définition de trois régions territoriales (Ile-de-
France, régions Ouest et Est) ; identification dans chaque région de structures reconnues
qualifiantes de par leurs enseignants ainsi que
leurs activités diagnostiques et thérapeutiques en proctologie médico-chirurgicale ; nomination
d’un coordinateur par région.
La formation d’une durée de deux ans comporterait un enseignement théorique divisé en trois
modules communs aux trois régions, sanc-tionné
par un diplôme universitaire, et un enseignement pratique et chirurgical, dispensé dans ces
centres formateurs qualifiants, compre-nant
quatre stages de six mois, le ou les semestres effectués durant l’internat du Diplôme d’Études
Spécialisé (DES) pouvant être pris en
compte. L’inscription serait ouverte, selon certains critères à définir, à un ensemble
hétérodisciplinaire regroupant : spécialistes des mala-dies
de l’appareil digestif, chirurgiens viscéraux, gynécologiques et obstétriciens. Le financement de
postes budgétés, en accord avec les
Directions Régionales des Affaires Sanitaires et Sociales (DRASS), impliquerait une
transformation de certains postes du DES et du
Diplôme Interuniversitaire de Spécialisation (DIS).
Les centres formateurs en proctologie médico-chirurgicale devront répondre à certaines
normes. Leur accréditation pour cinq ans, renou-velable,
sera subordonnée à l’adhésion à des critères communs imposant une unité de lieu composée
de lits reconnus dans la spécialité,
une activité opératoire soutenue en proctologie, un plateau technique permettant les
explorations fonctionnelles du périnée postérieur,
l’imagerie périnéale et de l’intestin terminal dont l’échographie endo-anale. Ces structures
seraient à l’origine de travaux inédits de haut
niveau dans la spécialité. Elles associeraient une activité bibliographique dense et une
coopération étroite avec les autres acteurs du plan-cher
pelvien. Des services de proctologie médico-chirurgicale et de chirurgie viscérale pourraient
postuler à cette accréditation. Ces
centres ne sont pas imaginaires et existent déjà dans les grandes lignes tant à Paris qu’en
province (2). Un titre de spécialiste en proctolo-gie
médico-chirurgicale avaliserait l’obtention du DESC.
299
Principaux avantages et inconvénients de ces modifications
La formation en proctologie pour les gastroentérologues emprunterait dès lors deux voies :
l’une médico-instrumentale (DES et DIU), l’autre médico-chirurgicale (DESC).
Le temps nécessaire à ces changements imposera une phase transitionnelle comblant le dif-
férentiel
de mise en place du DIU, envisageable dès l’année prochaine, et la création d’un
DESC requérant au moins trois années. La formation durant cette période de transition
s’étalant sur trois ou quatre ans devra s’inspirer, dans ses grandes lignes, des modalités de
l’enseignement actuel.
Adaptation du DES
– Avantages : formation minimale de tous les futurs gastroentérologues à la proctologie
médico-instrumentale ; pas de surcoût financier pour l’étudiant concernant cette formation
de base, partie intégrante de sa spécialité.
– Inconvénients : imposerait au chef de service d’accorder une demi-journée hebdomadai-re
à l’interne durant son semestre dans leur unité ; nécessité d’une reconnaissance, selon
un cadre à définir, des confrères non hospitalo-universitaires participant à cet enseigne-ment.
DIU
– Avantages : les constituants du DIU existent déjà sous la forme des DU régionaux qui
assurent une formation théorique et pratique pour l’exercice ambulatoire. Ils permettent
d’ouvrir la voie à la formation de nombreux gastroentérologues, voire d’autres collègues
issus de spécialités satellites.
– Inconvénients : il ne prépare pas à l’exercice de la chirurgie proctologique, nécessite un
surcoût d’inscription et demande un réel consensus entre tous les responsables des DU.
DESC
– Avantages : il assure une formation en proctologie médico-chirurgicale rigoureuse. Sa
durée permet des travaux scientifiques de haut niveau dans la spécialité. Les chirurgiens
digestifs et gynécologiques pourraient effectuer un semestre de formation par le biais de
cette filière qui prélude à l’évolution prévisible vers un pôle périnéal de notre discipline. Le
diplôme aurait une reconnaissance claire tant auprès des autorités européennes (Union
européenne des médecins spécialistes) que nationales (Conseil de l’Ordre des médecins).
– Inconvénients : s’agissant d’une création, sa mise en place est plus lourde que pour le
DIU. Elle nécessite l’autorisation conjuguée des instances de tutelle : ministère de l’É-ducation
nationale et de l’Enseignement supérieur et ministère chargé de la Santé. Le
soutien actif des diverses sociétés gastroentérologiques, coloproctologiques universi-taires
ou non et chirurgicales, est important. L’accord des différentes collégiales en gas-troentérologie
et chirurgie viscérale est nécessaire. Sa voie est étroite, car il formerait
moins de dix gastroentérologues par an. Le risque théorique, pour certains chirurgiens,
de voir des gastroentérologues dépasser leurs compétences en chirurgie proctologique
n’est pas réaliste. La révision de la nomenclature conduite par la Caisse nationale d’as-
surance
maladie a clairement défini le cadre de la chirurgie proctologique. De plus, l’as-surance
professionnelle des proctologues opérants ne devrait continuer à prendre en
compte que les actes chirurgicaux à cotation faible (actuellement inférieurs ou égaux à
Kc 80).
Cette opportune réunion estivale de la commission travaillant à la réforme de l’enseigne-ment
de la proctologie médico-chirurgicale, au sein du bureau de la SNFCP, ouvre une
réflexion sur l’avenir de notre discipline. Elle avait pour vocation de préciser les voies de
formations raisonnablement envisageables, leurs avantages et inconvénients. Elle s’inscrit
dans la volonté d’éclairer les membres de notre société et la préparation des journées
annuelles de novembre 1998 à Paris, où ce sujet
d’actualité sera abordé. Plusieurs options peuvent dès à présent être proposées (tableaux II, III,
IV et V). Les décisions prises devront tenir
compte de l’historique et de l’originalité de la proctologie hexagonale. Sous notre responsabilité
sera ainsi engagée la formation des proc-tologues
de demain.
DES
UNIFICATION ADAPTATION CRÉATION
6 mois
Proctologie
médico-instrumentale
Proctologie
médico-chirurgicale
DIU
1 an
DESC
2 ans
Tableau II. Les voies de la réforme (option 1).
DES
UNIFICATION ADAPTATION
6 mois
Proctologie médico-instrumentale
DIU
1 an
Tableau III. Les voies de la réforme (option 2).
DES
ADAPTATION CRÉATION
6 mois
Proctologie
médico-chirurgicale
Proctologie
médico-instrumentale
DESC
2 ans
Tableau IV. Les voies de la réforme (option 3).
DESC
CRÉATION
Proctologie
médico-chirurgicale
Proctologie
médico-instrumentale
2 ans
DIU
UNIFICATION
1 an
DES
Tableau V. Les voies de la réforme (option 4).
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (12), n° 9, novembre 1998 300
Conclusion
Si cette mutation est souhaitable et attendue, est-elle possible ?
Il existe de nombreux écueils qui procèdent de l’identité même de la proctologie. Cette
discipline non reconnue comme hospitalo-univer-sitaire
est, de plus, médico-chirurgicale ; une formation, certes imparfaite, existe depuis plusieurs
décennies où se mêlent compagnonna-ge,
bénévolat et transmission du savoir, mais face aux défis s’annonçant pour notre discipline
doit-elle rester en l’état dans un monde médi-cal
en profonde évolution ? La création du futur espace européen et la réforme probable de
l’internat ne constituent-elles pas un moment
opportun pour réaliser cette mutation et proposer un projet clair aux instances européennes ?
L’ano-rectum doit aujourd’hui être considé-ré
autant en termes d’étage postérieur du périnée que d’extrémité terminale de l’appareil digestif,
élargissant ainsi les champs d’investi-gation
et de réflexion de notre spécialité.
Pour que cette transformation du mode d’enseignement réussisse, aucun acteur, partie
prenante de cette mutation, ne devra se sentir lésé
ou ignoré.
Dr P. Atienza*
* Rapporteur, au sein du bureau de la SNFCP, de la commission sur la réforme de l’enseignement de la proctologie
médico-chirurgicale.
Références
1. Anonymous. Criteria for CME-certification by the European Gastroenterology Board. Eur J
Gastroenterol hepatol 1995 ; 7 : 1127-8.
2. Arnous J., Parnaud E., Denis J. Première expérience en France d’un service de proctologie. La revue de
médecine 1974 ; 15 : 969-74.
3. Atienza P. L’enseignement de la proctologie : impossible réalité ? Gastroentérol Clin Biol 1998 ; 22 :
263-5.
4. Beattie A.D. et coll. The European Diploma of Gastroenterology : progress towards harmonization of
standards. Eur J Gastroenterol Hepatol 1996 ; 8 :
403-6.
5. Mallinson C.N., Greff M.V. De la formation des spécialistes en hépatogastro-entérologie dans l’Union
européenne. Hépato-Gastro 1994 ; 4 : 373-6.
6. Nicholls R.J. So you want to train in coloproctology. Br J Hosp Med 1997 ; 57 : 571-2.
7. Rhodes J.M. CME-certification by the European Board of Gastroenterology. Gut 1996 ; 39 : 149-50.
8. Suduca P. La proctologie : une spécialité chirurgicale ? Hépato-Gastro 1997 ; 4 : 277-8.
9. Toghill P.J. CME-certification by the European Board of Gastroenterology. Gut 1997 ; 40 : 431.
10. Villet R. Les troubles de la statique pelvienne de la femme : vers la périnéologie. Act Méd Int
Gastroentérol 1997 ; 4 : 95-6.
É d i t o r i a l
Rapport de la réunion du 7 août 1998 à Paris regroupant les membres de la commission sur la réforme de
l’enseignement de la proctolo-gie
médico-chirurgicale. Présents : les Drs P. Atienza, P. Coulom, R. Ganansia, P. Guyot, L. Siproudhis,
B. Watrin. Excusés : les Prs M.A. Bigard, R. Parc. Réactualisé lors de la réunion téléphonique du 30/09/98.