Éditorial

La rééducation des brûlés en France : des origines aux filières spécialisées


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L'épidémiologie, discipline où la France ne brille guère, comme l'a encore montré la crise sanitaire actuelle, permet d'estimer, selon des données publiées anciennes, à un peu plus de 8 000 les blessés hospitalisés pour brûlures en 2014 [1], alors que l'ATIH indique sur son site 12,9 millions d'hospitali­sations, toutes causes confondues, en 2019. Les ordres de grandeur ne sont pas comparables. Les quelque 8 000 brûlés annuels, nombre probablement stable d'une année sur l'autre, ne représentent qu'une faible partie de la masse des hospi­talisations : la brûlure est une maladie rare.

Bien sûr, tout un chacun a déjà expérimenté ce qu'est une brûlure lors d'un banal accident domestique sans gravité : contact bref avec la semelle d'un fer à repasser ou la grille d'un four, saisie d'un plat trop chaud, etc. Pourtant, même une brûlure limitée, évaluée à tort comme bénigne, mais située sur une zone fonctionnelle, peut entraîner de graves séquelles fonctionnelles, comme on pourra le lire dans ce dossier.

En réalité, peu de personnes, que ce soit parmi les médecins, les soignants ou la population générale, ont côtoyé des brûlés “graves”, marqués profondément dans leur corps, parfois dans leur visage. La brûlure, sous ses différentes formes, reste mal connue.

On a l'habitude de distinguer la brûlure (burn), c'est-à-dire la brûlure comme maladie, qui associe “les altérations biologiques (disease), le vécu subjectif du malade (illness) et le processus de socialisation des épisodes pathologiques (sickness)[2], des brûlures (burns), qui sont des blessures cutanées (les plaies et leurs conséquences : les cicatrices et les séquelles). La brûlure, c'est cette maladie qui débute le jour du traumatisme, avec parfois des conséquences générales qui imposent une réanimation intensive et nécessitent une prise en charge pluridisciplinaire – réanimation, mais aussi chirurgie, rééducation –, et qui va se poursuivre jusqu'à la maturation cicatricielle, plusieurs mois ou années plus tard. Au cours de ce processus, les brûlures auront cicatrisé, grâce à la chirurgie (greffes cutanées) ou de manière naturelle en utilisant les pansements (ce que l'on appelle la “cicatrisation dirigée”), l'état critique aura été maîtrisé par la réanimation, l'état fonctionnel amélioré par la rééducation, pour finalement restaurer la qualité de vie, mais “la brûlure” reste et perdure… La brûlure et ses conséquences complexes et multiples sont, en fin de compte, un modèle clinique qui illustre parfaitement l'intérêt de prises en charge globales, coordonnées, pluridisciplinaires. La médecine physique et de réadaptation occupe ainsi une place privilégiée dans le parcours de soins de la brûlure pour répondre aux objectifs du traitement jusqu'à la réinsertion du patient dans son environnement habituel et dans la société.

Chaque intervenant, chacun dans son champ de compétences, se reconnaît dans une dénomination commune de “brûlologue” au sein d'une vaste spécialité pluridisciplinaire : la “brûlologie”. Ce terme rude et lourd sans doute, sur le plan étymologique, mais parlant, s'est imposé après de longues batailles linguistiques à la Société française d'étude et de traitement des brûlures, devenue “Société francophone de brûlologie”.

L'histoire a commencé dans les années 1970. À cette époque, c'est la chirurgie qui dominait largement la spécialité. La réanimation, en effet, balbutiait. Quant à la rééducation, que l'on appelait alors RRF (rééducation-réadaptation fonctionnelle), elle n'a de statut officiel que depuis 1965, bien qu'elle soit enseignée depuis les années 1950. En ce qui concerne les brûlés, c'est aux États-Unis, à la fin des années 1960, qu'ont paru les premières publications montrant l'intérêt d'une prise en charge spécifique des brûlés en rééducation par le posturage pour limiter les séquelles cicatricielles. Le Pr Jean-Pierre Jouglard, chirurgien plasticien responsable du centre de traitement des brûlés (CTB) de Marseille, ouvert en 1973, fera connaître ces publications en France au Dr Madeleine Malavaud, anesthésiste-réanimateur de formation et chef de service à l'hôpital Léon-Bérard à Hyères (RRF). Le Dr Malavaud accueille, en 1974, les premiers patients brûlés pour leur rééducation dans l'établissement, avec, en 1975, la création d'un service dédié pour les brûlés [3]. L'idée de créer un service dédié à la rééducation des brûlés, sur le modèle des CTB exclusivement destinés aux brûlés, est née. Ce service a contribué à la formation de médecins rééducateurs qui ouvriront progressivement d'autres services de rééducation des brûlés en France, au nombre de 4 en 1982. La création de tels services contribue, en parallèle, au développement des CTB en France. La rééducation des brûlés s'organise, les médecins des différents services mettent en commun leur expérience pour codifier la prise en charge et pour développer la coopération en amont (soins aigus, chirurgie) et en aval (RRF) dans ce qui n'est pas encore une filière de soins dûment authentifiée, mais qui le deviendra. L'organisation naturelle d'une filière de prise en charge globale prend forme et s'impose comme incontournable pour traiter les brûlés dans un continuum thérapeutique où les médecins et les chirurgiens doivent aussi se déplacer au sein des différentes structures de soins. Aujourd'hui, ces filières sont devenues un élément réglementaire structurant la prise en charge en rééducation non plus en RRF, mais en service de soins de suite et de réadaptation (SSR), et peut-être, dans un avenir proche, en SMR (soins médicaux et de réadaptation), selon les décrets en cours de préparation. Pour l'heure, ce sont toujours le décret no 2008-377, du 17 avril 2008, relatif aux conditions d'implantation applicables à l'activité de SSR, et la circulaire DHOS/­O1 no 2008-305, du 3 octobre 2008, relative aux décrets no 2008-377 du 17 avril 2008 réglementant l'activité de SSR, avec ses annexes définissant les 9 ­mentions spécialisées autorisées, qui sont en vigueur. La filière de soins est actée par une convention entre CTB et professionnels des SSR. Elle permet un flux fluide, déchargeant au plus vite les lits de réanimation, ce qui nécessite pour le service de SSR de prendre en charge des patients “lourds”, dépendants, pour un programme de rééducation complexe incluant la réalisation de pansements et les moyens de maîtriser la douleur induite. Le flux inverse, de l'aval vers l'amont, est également facilité, pour assurer la continuité du traitement chirurgical des séquelles cicatricielles et reprendre sans retard les différentes composantes du programme de rééducation.

L'évolution de cette organisation est en cours : une réforme du régime des autorisations des mentions spécialisées s'annonce. Elle devrait permettre une meilleure discrimination médicoéconomique des plateaux techniques spécialisés, qui sont coûteux en moyens humains et nécessitent une rééducation spécialisée faisant appel aux techniques numériques et robotisées, dont les patients brûlés doivent bénéficier.

Toutefois, la réforme devrait davantage exiger le fonctionnement en filière, en incluant maintenant ce qui passe après le SSR lors du retour à domicile, préparé très précocement durant l'hospitalisation par nos indispensables assistantes sociales, en intégrant dans ce parcours de soins, d'une part, les professionnels libéraux, et particulièrement les MKDE, qui auront à acquérir les compétences indispensables à la poursuite de ces soins spécialisés (vacuothérapie, presso­thérapie, posturage, etc.) dans le cadre d'un réseau local ou locorégional ; et, d'autre part, les structures ambulatoires, telles que l'hôpital de jour ou l'hôpital de semaine.

L'objectif est d'assurer une prise en charge de qualité, optimisée, au bénéfice du patient brûlé et d'une qualité de vie qui corresponde à ses attentes, exprimées et accompagnées dans le respect éthique du principe d'autonomie en se conformant “aux données actuelles de la science”, de façon à lui donner les meilleures chances de récupération physique, psychique et sociale. Le patient brûlé est, en effet, devenu un véritable patient-expert, à même d'aider ses pairs, même si nous, “sachants”, avons encore aujourd'hui des difficultés à accepter ce “sachant profane”.

Références

1. Paget LM, Thélot B. Les victimes de brûlures hospitalisées en France métropolitaine en 2014 et évolution depuis 2009. Santé publique France, 2018. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/traumatismes/brulures/documents/rapport-synthese/les-victimes-de-brulures-hospitalisees-en-france-metropolitaine-en-2014-et-evolution-depuis-2009

2. Cathébras P. Qu’est-ce qu’une maladie ? Rev Med Interne 1997;18(10):809-13.

3. Queruel P et al. Histoire du traitement des brûlures en France. La place de l’hôpital Léon Bérard (Hyères) : rééducation, société savante, association de patients. Ann Burns Fire Disasters 2020;33(1):69-82.


Liens d'intérêt

P. Queruel déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec l’article.