Dossier

Syndromes myélodysplasiques et leucémies aiguës myéloïdes


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Thérapies ciblées en association avec l'azacitidine

Cette année a été marquée par des résultats prometteurs dans les syndromes myélodysplasiques (SMD) et les leucémies aiguës myéloïdes (LAM), avec des combinaisons entre azacitidine et thérapies ciblées. Pour toutes ces études, on observe une augmentation des taux de réponse globale (RG), avec une augmentation parallèle des taux de rémission complète (RC). Toutes ces études sont réalisées sur de faibles effectifs avec des suivis médians courts, mais gardons l'espoir d'observer des augmentations de la survie globale (SG) dans un avenir proche…

APR-246

L'APR-246 est un analogue conformationnel de TP53 permettant de restaurer la conformation wild-type de la protéine p53 ainsi que sa fonction. D. Sallman (abstr. 676) et T. Cluzeau (abstr. 677) ont rapporté dans la même session les résultats de 2 études de phase II, respectivement américaine et française, évaluant l'efficacité et la tolérance de l'association azacitidine + APR-246 chez des patients atteints de SMD ou de LAM (seulement 20 à 30 % de blastes dans l'étude américaine) mutés pour TP53. L'APR-246 était administré par voie intraveineuse pendant 4 jours avant un schéma d'azacitidine classique. Les patients recevaient un minimum de 6 cycles de traitement et continuaient, en cas de réponse, jusqu'à la rechute, ou bien pouvaient bénéficier d'une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH) (avec possibilité de traitement d'entretien dans l'étude française). 55 et 53 patients ont été inclus respectivement dans les études américaine et française. Le taux de RG est de 87 %, dont 53 % de RC, dans l'étude américaine, et de 66 %, dont 49 % de RC, dans l'étude française. La différence de réponse peut s'expliquer par une population plus âgée (6 ans de différence) et la présence de LAM avec plus de 30 % de blastes dans l'étude française. Le profil de tolérance retrouve dans les 2 études l'absence d'augmentation de la toxicité hématologique, une toxicité digestive (constipation, nausées et vomissements) ainsi qu'une toxicité neurologique de l'ordre de 40 %, mais seulement 6 % de cas de grade 3-4. Cette toxicité était totalement réversible, avec une absence de récidive après une reprise à doses diminuées. Cette toxicité est corrélée à la fonction rénale et à l'âge du patient au début du traitement. La survie médiane est non atteinte dans l'étude française (suivi médian plus court) ; elle est de 11,6 mois dans l'étude américaine.

Inhibiteur de BCL2

Le vénétoclax a de nouveau été mis en avant cette année, mais dans les SMD. Une étude de phase Ib dans les SMD en rechute/réfractaires (R/R) a été présentée par A. Zeidan (abstr. 565), et une autre étude de phase Ib en première ligne par A. Wei (abstr. 568). Dans l'étude incluant les patients en R/R, le schéma retenu était le suivant : azacitidine 75 mg/m2/j pendant 7 jours + vénétoclax 400 mg/j pendant 14 jours par cycles de 28 jours. 38 patients ont été traités dans le cadre de cette étude de phase Ib. La principale toxicité observée était hématologique. Le taux de RG est de 40 %, avec 8 % de RC et 32 % de RC médullaire. La survie médiane est non atteinte, mais avec un suivi médian court. Dans l'étude en première ligne, le schéma retenu était le même que dans l'étude précédente. 57 patients ont été traités dans le cadre de cette étude. 97 % d'effets indésirables de grade supérieur ou égal à 3 ont été rapportés ; il s'agissait majoritairement d'effets indésirables hématologiques. Le taux de RG est de 77,2 %, dont 38,6 % de RC et 38,6 % de RC médullaire. Avec un suivi médian de 8,9 mois, la survie médiane est non atteinte.

Inhibiteur d'IDH2

C. DiNardo (abstr. 643) a présenté une étude de phase II randomisée (2:1) comparant l'azacitidine selon un schéma classique de 7 jours associée à l'énasidénib 100 mg/j en continu, d'une part, et l'azacitidine seule, d'autre part, chez des patients atteints d'une LAM IDH2 mutée en première ligne. 101 patients ont été inclus dans cette étude. Le taux de RG est significativement plus élevé dans le bras azacitidine + énasidénib, avec 68 % de RG, dont 50 % de RC, versus 42 % de RG, dont 12 % de RC, dans le bras azacitidine seule. La durée médiane de réponse est non atteinte dans le bras azacitidine + énasidénib. En parallèle, une diminution de la fréquence allélique du clone muté IDH2 était observée. En termes de tolérance, seuls 10 % de syndromes de différenciation ont été observés.

G. Richard-Carpentier (abstr. 678) a présenté les résultats d'une étude de phase II évaluant cette même association, mais dans les SMD de haut risque en première ligne ou en R/R. Le taux de RG sur 13 patients en première ligne est de 85 %, dont 23 % de RC, avec une survie médiane non atteinte (suivi médian : 4 mois). Le taux de RG sur 18 patients en R/R est de 56 %, dont 28 % de RC, avec une survie médiane également non atteinte (suivi médian : 6,6 mois). En termes de tolérance, seuls 19 % de syndromes de différenciation ont été observés.

Inhibiteur d'IDH1

Un nouvel inhibiteur d'IDH1 a été introduit au cours du congrès : l'olutasidénib. J. Cortes (abstr. 674) a présenté une étude de phase I/II évaluant l'association de l'azacitidine à ce nouvel inhibiteur dans les SMD IDH1 muté en première ligne. Les résultats des 7 premiers patients ont été rapportés. Ils montrent un taux de RG de 56 %, dont 25 % de RC, avec seulement 13 % de syndromes de différenciation. Aucune donnée de survie n'était disponible sur ce faible nombre de patients.

Enfin de l'immunothérapie dans la LAM ?

Cette année a également été marquée par de nombreuses études négatives utilisant l'immuno­thérapie avec inhibiteurs de checkpoints ­(PD-1­/­PD-L1), mais également par l'émergence d'immunothérapies prometteuses telles que les anticorps bispécifiques anti-CD123/CD3 et anti-CD33/CD3, un nouvel anticorps anti-CD123 conjugué, un anticorps anti-CD70 et un anticorps anti-CD47 (macrophage checkpoint).

Flotétuzumab

Le flotétuzumab est un anticorps bispécifique anti-CD123/CD3. G. Uy (abstr. 733) a présenté les données d'une étude de phase II avec une phase d'escalade de doses sur 47 patients, puis une phase d'extension sur 80 patients atteints de LAM en R/R (dont 30 patients réfractaires primaires). La dose retenue est de 500 ng/kg/j i.v. en continu. 96 % des patients ont présenté un syndrome de relargage cytokinique (SRC), mais avec seulement 8 % de cas de grade 3 grâce à l'utilisation du tocilizumab de façon précoce. Le taux de RG (RC, RCh, RCi) est de 30 %, avec néanmoins nettement moins de réponses observées dans la population réfractaire à plus de 4 lignes de traitement.

AMG-673

L'AMG-673 est un anticorps bispécifique anti-CD33/CD3. M. Subklewe (abstr. 833) a présenté les résultats d'une étude de phase I réalisée chez 30 patients souffrant d'une LAM en R/R. L'administration s'effectuait par voie intraveineuse sur 2 courtes périodes de 14 jours. 53 % de SRC, dont 13 % de grade 3, ont été observés, corrélés au pourcentage de blastes à l'instauration du traitement. L'étude est actuellement à son 11e palier d'escalade de doses, sans aucune dose limite de toxicité (DLT) observée. À ce jour, 41 % des patients ont obtenu une réduction blastique, dont 1 RC et 5 rémissions partielles.

AMV-564

L'AMV-564 est également un anticorps bispécifique anti-CD33/CD3, mais avec 2 sites de fixation pour le CD33 et 2 sites de fixation pour le CD3. J. Cortes (abstr. 834) a présenté les résultats d'une étude de phase I portant sur 41 patients atteints d'une LAM en R/R. L'administration s'effectuait par voie intraveineuse continue pendant 14 jours tous les 28 jours. 39 % de SRC, dont 0 % de grade 3-4, ont été observés. À ce jour, 35 % des patients ont obtenu une réduction blastique, dont 2 RC/RCi, 1 RCp et 2 RP.

IMGN-632

L'IMGN-632 est un anticorps conjugué anti-CD123. N. Daver (abstr. 734) a présenté les résultats d'une étude de phase Ib portant sur 95 patients LAM en R/R ou leucémie à cellules dendritiques plasmacytoïdes (blastic plasmacytoid dendritic cell neoplasm, BPDCN). Il y avait 2 schémas d'administration :

  • une injection toutes les 3 semaines (72 patients dont 62 LAM et 10 BPDCN) ;
  • une injection à J1, J4 et J8 toutes les 3 semaines (23 patients LAM).

En termes de tolérance, 24 % des patients ont présenté une réaction liée à la perfusion, et seulement 10 %, une neutropénie fébrile et 10 %, des nausées. Le taux de RG était de 22 % pour les LAM en rechute, 28 % pour les LAM réfractaires et 30 % pour les BPDCN. Des essais cliniques sont en cours dans la LAM, la LAL et le BPDCN. Des essais cliniques d'association azacitidine + vénétoclax ou en première ligne chez les patients ayant une MRD+ postinduction vont ouvrir prochainement.

Cusatuzumab

Le cusatuzumab est un anticorps anti-CD70. Cet anticorps cible la cellule souche leucémique et le signaling CD70/CD27. A. Ochsenbein (abstr. 234) a présenté une étude de phase I menée chez 12 patients atteints d'une LAM en première ligne. Le schéma d'administration était un schéma classique de 7 jours d'azacitidine associée au cusatuzumab administré à J3 et J7. La tolérance est excellente, et aucune DLT n'a été observée. Le taux de RG est de 100 %, dont 83 % de RC/RCi, dont 44 % avec une MRD inférieure à 10−3. L'étude de phase II va ouvrir prochainement dans le but de confirmer ces résultats très prometteurs.

Magrolimab

Le magrolimab est un anticorps anti-CD47. Cet anticorps est un “macrophage immune checkpoint” et permet de réactiver les macrophages contre la cellule leucémique. D. Sallman (abstr. 569) a présenté les résultats d'une étude de phase Ib réalisée sur 62 patients souffrant de SMD et de LAM en première ligne. La dose maximale tolérée n'a pas été atteinte. Le taux de RG est de 92 %, dont 50 % de RC, dans les SMD et de 64 %, dont 41 % de RC et 14 % de RCi, dans les LAM. Les études annexes biologiques montrent une diminution des cellules souches leucémiques, les lymphocytes T régulateurs, et une augmentation en parallèle des lymphocytes T4 et T8.

MBG-453, nivolumab, durvalumab, pembrolizumab, ipilimumab

Tous ces anticorps sont des anticorps inhibiteurs de checkpoints. Le MBG-453 est un inhibiteur de TIM3. Le nivolumab, le durvalumab et le pembro­lizumab sont des inhibiteurs de PD-1/­PD-L1. L'ipilimumab est un inhibiteur de CTLA4. Des études évaluant ces anticorps en association avec l'azacitidine ou la décitabine ont été rapportées chez des patients souffrant de LAM en première ligne ou en R/R. L'association décitabine + ­MBG-453 (Borate U et al., abstr. 570) ne montre pas de supériorité par rapport aux résultats connus de la décitabine seule. L'association azacitidine + durvalumab ne montre pas non plus de supériorité sur la décitabine seule (Zeidan A et al., abstr. 829). L'association azacitidine + nivolumab (Daver N et al., abstr. 830) ne montre pas de supériorité sur l'azacitidine seule. Une analyse de sous-groupes sur un faible effectif montre un possible bénéfice chez les patients n'ayant jamais reçu d'agents hypométhylants ou en première rechute. Un essai azacitidine + vénétoclax + nivolumab va ouvrir prochainement dans les LAM en première ligne et en R/R. Néanmoins, l'association azacitidine + pembrolizumab (Gojo I et al., abstr. 832) permet d'obtenir un taux de réponse de 70,6 %, dont 47 % de RC, chez des patients atteints de LAM en première ligne, avec une survie médiane de 13,4 mois et un taux de RG de 31 %, dont 7 % de RC, chez des patients LAM en R/R, avec une survie médiane de 11,2 mois. Enfin, l'association azacitidine + nivolumab + ipilimumab (Daver N et al., abstr. 830) montre des résultats encourageants, avec 30 % de RC/RCi chez 31 patients LAM en R/R et une durée médiane de réponse de 8,2 mois.

Traitement d'entretien dans la LAM

Plusieurs études ont montré l'intérêt d'un traitement d'entretien dans la LAM. Ce traitement doit-il être proposé à tous les patients ou seulement aux patients en MRD positive ?

CC-486

Le CC-486 est la formulation orale de l'azacitidine. A. Wei (LBA-3) a présenté les résultats de l'étude de phase III internationale QUAZAR AML-001 évaluant le CC-486 en traitement d'entretien chez des patients atteints de LAM en première ligne. Au total, 460 patients ont été inclus dans cette étude. 43 % des patients étaient en RC avec une MRD positive dans le bras CC-486, et 50 % dans le bras placebo. En termes de tolérance, on observe majoritairement des effets indésirables digestifs modérés selon l'orateur, mais avec néanmoins 43 % d'interruptions de traitement et 16 % de réductions de doses, principalement pour une toxicité hématologique de type neutropénie. Les patients traités par CC-486 ont une SG médiane significativement plus élevée que les patients sous placebo : 24,7 versus 14,8 mois (p = 0,009). Cette différence était encore plus marquée dans la population MRD positive.

Azacitidine en traitement d'entretien chez le sujet âgé

E. Oliva (abstr. 117) a présenté les résultats de l'étude de phase III Qoless AZA-Amle randomisant l'azacitidine versus des soins de support en postconsolidation chez 149 patients souffrant de LAM en RC1 et âgés de plus de 60 ans. L'azacitidine était administrée par voie sous-­cutanée à la dose de 50 mg/m2/j pendant 7 jours puis 75 mg/m2/j pendant 7 jours pour 6 cycles au total, puis tous les 56 jours pendant 4 ans et demi. Deux ans et 5 ans après la randomisation, aucune différence significative n'était observée entre les 2 bras concernant le taux de rechutes. L'azacitidine prolonge significativement la survie sans rechute, mais seulement chez les patients de plus de 73 ans.

Décitabine en traitement d'entretien chez le sujet âgé

J. Foran (abstr. 115) a présenté les résultats de l'étude de phase II randomisée E2906 chez 311 patients atteints de LAM en RC1 et âgés de plus de 60 ans. La décitabine était administrée par voie intraveineuse à la dose de 20 mg/m2/j pendant 3 jours toutes les 4 semaines pendant 1 an. Avec un suivi médian de 49,8 mois, l'analyse globale montre une tendance à une meilleure SSP dans le bras décitabine. Le bras entretien avec décitabine montre cependant une SSP significativement supérieure dans les LAM FLT3 ITD négatives. La décitabine était bien tolérée, avec seulement 9 % de neutropénies fébriles.

Azacitidine chez les patients avec MRD positive après allogreffe

U. Platzbecker (abstr. 644) a présenté les résultats de l'essai RELAZA2 évaluant l'azacitidine chez 41 patients souffrant de SMD/LAM avec une MRD persistante après allogreffe de CSH. L'étude consistait à traiter de façon pré­emptive ces patients par de l'azacitidine à la dose de ­75 mg/m2/j­ pendant 7 jours tous les 28 jours pendant 24 mois. Avec un suivi médian de 9 mois, le taux de SG à 1 an est de 94 %, et le taux de SSP, de 44 %. L'utilisation de l'azacitidine en entretien après allogreffe en fonction de la MRD semble prévenir ou retarder la rechute.

Conclusion

L'actualité de ce congrès de l'ASH 2019 a été riche dans les SMD et les LAM. Les thérapies ciblées montrent une bonne efficacité en association avec les agents hypométhylants, ce qui conduira rapidement à un traitement à la carte de ces hémo­pathies. Les résultats décevants de l'immuno­thérapie­ ciblant les inhibiteurs de checkpoints ont laissé la place à d'autres types d'immunothérapie, avec des résultats très prometteurs nous amenant à réfléchir à comment les intégrer dans nos stratégies de traitement actuelles : association précoce, entretien, MRD positive ? Enfin, on assiste au retour du traitement d'entretien dans la LAM, avec les résultats encourageants du CC-486. Il ne reste plus qu'à concevoir un bel essai de stratégie intégrant toutes ces nouvelles thérapeutiques…■


Liens d'intérêt

T. Cluzeau déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.