Seattle, 19-22 février 2023
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La naissance de la CROI, les moutons à cinq pattes du “cure” et les femmes grandes oubliées de la prévention
Deux événements ont marqué en filigrane la séance plénière d’ouverture, ce dimanche soir 19 février 2023, comme la première journée de cette 30e CROI.
D’abord il y eut l’histoire de la création de la CROI évoquée par A. Fauci (NIAID, Whashington DC) entouré de ses gardes du corps (voir l’édito hier), sous un tonnerre d’applaudissements en standing ovation, tandis qu’une poignée d’antivax faisait le pied de grue avec des pancartes devant le Convention Center. Une histoire secrète, difficile à reconstruire, tant le discours américain est policé et le comité d’organisation conservateur. Si l’on a bien compris A. Fauci et Robert S. Schooley (San Diego, Californie), deux des quatre mousquetaires de départ, tout est parti en 1991 des mouvements de protestation vis-à-vis des restrictions imposées aux PVVIH pour entrer aux États-Unis sous l’ère Reagan. Mesure prise en 1987, 4 ans après la découverte du virus. Les États-Unis ajoutent alors le VIH comme “maladie contagieuse dangereuse” à sa liste d’exclusion à l’immigration, interdisant ainsi l’arrivée sur le territoire de voyageurs VIH+. Les personnes séropositives pouvaient obtenir un visa de séjour de 30 jours, ce qui les empêchait toutefois d'effectuer un séjour plus court pour un congrès, un meeting ou une réunion associative. Par conséquent, la 8e Conférence internationale sur le sida de 1992, qui devait normalement avoir lieu à Boston, est relocalisée à la hâte à Amsterdam. Le Los Angeles Times du 17 août 1991 titre : “Harvard décide de ne pas accueillir la conférence sur le sida de 1992 aux États-Unis”. Dès lors, une poignée de scientifiques américains décide de créer sa propre conférence internationale, la CROI, plutôt que… de lutter contre les lois discriminatoires aux frontières. Sous-entendu : nous ferons notre propre conférence, avec nos propres séropositifs. Les autres n'auront qu’à passer la frontière en tremblant et en cachant leurs antirétroviraux dans des flacons de vitamines, comme l’on fait tant de PVVIH. Ces restrictions ne seront abrogées que 22 ans plus tard ! Obama l'ayant en effet annoncé en octobre 2009 et la mesure étant entrée en vigueur le 4 janvier 2010 : les États-Unis ne restreindraient plus l'accès à leur territoire aux personnes contaminées par le virus du sida.
Et puis il eut l’appel et l’injonction militante haute en couleurs et en images de Yvette A. Raphael (activiste et PVVIH de Gauteng, Afrique du Sud) à “libérer” la prévention offerte pour et avec les femmes, et en tout premier lieu les anneaux vaginaux (vaginal ring) : “Find the money to fund the ring”, “PEPFAR, USAID were in the money for Doravirine ring”, “my vagina, my choice, my ring ”, “HIV prevention advocates in Africa demands for choice” etc . Ces mêmes anneaux qui furent lancés à la CROI et que l’on ne retrouve à la CROI 2023 que dans une seule communication orale (#127). Que sont-il devenus ? Mais il y a plus inquiétant encore. Les femmes sont absentes de la plupart des essais de PrEP de 1re génération (Ipergay, Prevenir, Proud, etc.). Et alors que la PEP à base de doxycycline dépasse largement le stade de proof of concept (voir les résultats très favorables d’ANRS 174 Doxyvac #119 et DOXYPEP #120), Jennel Stewart (dPEP Kenya Study team #122) a révélé les résultats négatifs d’un essai randomisé de PEP par la doxycycline versus le standard of care chez 449 femmes cisgenre âgées de 18 à 30 ans prenant la PrEP à Kisumu, au Kenya entre 2020 et 2022. Résultat : aucune efficacité préventive sur les principales IST (chlamydia, gonorrhée), sans savoir s’il d’agit d’une question de diffusion pharmacologique dans le tractus génital féminin, de résistance ou d’observance…
Vous l’avez lu dans votre journal préféré ou vu la télé, le petit club international très fermé des “moutons à cinq pattes” que sont les “guérisons VIH” par greffe de cellules souches portant la double délétion CCR5 delta-32, ont désormais un nouveau membre ! Après feu le “patient de Berlin” et le “patient de Londres”, voici le “patient de Düsseldorf”. Ce 20 février – sous embargo, comme par hasard, alors que la communauté scientifique VIH est réunie à la CROI 2023, sise dans la ville émeraude de l’État de Washington – Nature Medicine [1] et le consortium IciStem, dont fait partie le pasteurien Asier Sáez-Cirión, publient un nouveau cas de “probable guérison du VIH”, suite à une greffe de moelle osseuse issue d’un donneur portant la mutation génétique CCR5 delta-32. Cet homme, suivi à Düsseldorf, a reçu une greffe de cellules souches pour traiter sa leucémie, puis a pu interrompre son traitement antirétroviral contre le VIH de manière supervisée. Quatre ans plus tard, plus aucun virus du VIH n’est détectable dans son organisme. Les auteurs européens, à l’image de Asier Sáez-Cirión, se veulent on ne peut plus prudents : “Même si nous n’avons pas pu analyser tous les tissus du patient pour formellement écarter la présence du VIH dans l’organisme, ces résultats indiquent que le système immunitaire n’a pas détecté le virus après l’interruption du traitement antirétroviral”. Prudent, on le serait à moins. D’abord parce que cette technologie n‘est absolument pas adaptable à d’autres personnes que celles ayant une indication de greffe de cellules souches. Rappelons que Timothy Brown, le très célèbre patient de Berlin décédé le 29 septembre 2020 de sa maladie hématologique mais “guéri du VIH”, avait reçu 2 allogreffes consécutives avec un donneur homozygote CCR5Δ32, cherché dans le monde entier compte tenu de la rareté de l’événement génétique (< 1 %) et une irradiation totale corporelle. Exemple de guérison de l’infection à VIH-1 la plus longue, avec un recul de plus de 12 ans (2008-2020), sans rebond virologique en l’absence de traitement antirétroviral. Le patient de Londres, quant à lui, avait été révélé lors de la CROI 2019 à Seattle [2]. Adam Castillejo, infecté par le VIH-1, avait été allogreffé avec un donneur homozygote CCR5Δ32, sans irradiation corporelle, pour un lymphome de Hodgkin au stade 4B résistant aux multiples chimiothérapies. On parle moins des échecs, notamment ceux communiqués à la CROI 2015 à… Seattle [3]. Une équipe de Barcelone avait rapporté le cas d’un patient ayant bénéficié d’une greffe de moelle ”CCR5 delta32” pour un lymphome… mais le patient était décédé 3 mois après la greffe d’une rechute de son lymphome. Une équipe d’Essen (Allemagne) avait rapporté le cas d’un patient ayant reçu pour un lymphome une greffe de moelle osseuse utilisant un greffon “CCR5 delta32” ; 20 jours après la greffe, la charge virale VIH sanguine est redevenue détectable, du fait de l’émergence d’une souche utilisant le co-récepteur CXCR4, devenue la souche principale après la greffe… Et que dire des patients de Munster, Santiago du Chili, Minneapolis, Utrecht, décédés de leur maladie hématologique ? L’espoir reste – depuis 12 ans – le recours à la thérapie génique ciblant le récepteur CCR5 et/ou les anticorps monoclonaux anti-CCR5.
Références
- Björn-Erik Ole Jensen et al. In-depth virological and immunological characterization of HIV-1 cure after CCR5Δ32/Δ32 allogeneic hematopoietic stem cell transplantation. Nature Medicine, 20 février 2023.
- https://vih.org/20190306/le-patient-de-londres-un-second-cas-de-remission-fonctionnelle-du-vih/
- https://vih.org/20150302/le-patient-de-berlin-difficilement-reproductible/