Seattle, 19-22 février 2023
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Retour vers le futur ? Après le VIH, encore du VIH. Mais après le SARS-CoV-2 et le monkeypox : what else ?
Après 3 années de disette présentielle en tant que réunion entièrement virtuelle – constat partagé dans l’avion : on n’en peut plus de la 2D et de la copie d’écran ! – on veut du vivace, de l’échange, du physique même distancié, même masqué (FFP2 exigé au congrès + pass vaccinal), on veut le conférencier non-US citizen qui ne comprend pas la question, on attend l’activiste de toutes les CROI avec sa question vécue et pointue, et Christine Katlama qui remet la France au centre dans une question sans fin. La conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI), grand’messe nord-américaine du VIH, revient donc cette année dans un format présentiel au Summit Convention Center de Seattle (WA), dans un tout nouveau centre de conférence qui vient d'ouvrir dans la ville émeraude de l’État de Washington. Celle-là même qui a vu naître Bill Gates, Jimi Hendrix, Kurt Cobain… et la légalisation du cannabis. Ville qui accueille donc la CROI pour la sixième fois, dont la cuvée 2019 d’avant la guerre au Covid, et 2017. Cette édition est placée sous le signe de la sortie – espérée – de la crise Covid (228 abstracts acceptés quand même, 4 fois plus que pour les “people who inject drugs” (PWID), soit 51 abstracts, autant que pour les personnes trans (55 abstracts), ce qui est en soi une bonne nouvelle pour la trans-médecine. Serait-ce cette fois l’effacement définitif du monkeypox (61 abstracts acceptés) ? Le tout dans l’espoir de revenir aux fondamentaux du 95-95-95 dans la lutte contre le VIH/sida.
Cette édition du e-journal est celle d’une équipe soudée, et au taquet dès le vol aller, avec le Dr Jean-Philippe Madiou en guide spirituel et organisationnel (merci pour les 3 documents à remplir alors que le passage en douane s’est fait en 5 minutes sans tampon ni empreintes digitales, juste le temps de vérifier qu’on ne transportait pas de flacons de sang (!), le Pr Valérie Pourcher à la clinique, le Pr Laurence Morand-Joubert à la virologie et Thierry Leveau à la technique. Chacun a retrouvé ses réflexes dès le duty-free de Roissy… Le tout sous la houlette d’Edimark et de La Lettre de l’Infectiologue, grâce au soutien institutionnel sans faille de ViiV Healthcare. Une partie des éditions sera reprise sur www.vih.org, avec l’aimable accord d’Edimark qui couvre cette CROI en partenariat avec l’ANRS-MIE, www.anrs.fr.
Pourtant, la joie de se retrouver – bien réelle – est quelque peu ternie. D’abord, comment ne pas évoquer dans cette ouverture de conférence sur le sida, le décès, le 7 février dernier, de Daniel Defert, normalien, sociologue et compagnon de Michel Foucault, à la mort duquel il fonda l’association AIDES (voir encadré ci-dessous) ? Ensuite, le 1er décembre dernier, journée mondiale de lutte contre le sida, a été l’occasion d’évoquer le fossé qui nous sépare de l’éradication du VIH, surtout pour 2030. Dans une tribune au Monde [1], Peter Sands, directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et Winnie Byanyima, directrice exécutive de l’ONUSIDA, ont parfaitement résumé combien "la lutte contre le VIH a besoin d’un nouveau souffle”. En effet, la pandémie de Covid-19 a eu des effets dévastateurs sur les progrès réalisés dans la lutte contre le VIH. ”Mais, déjà avant le Covid-19, précisaient ces 2 auteurs, nous n’avions pas atteint nos objectifs en termes de réduction des nouvelles infections et des décès dus au VIH. Aujourd’hui, nous avons largement dévié de notre trajectoire... Les iniquités, marquées à la fois au sein des pays et entre les pays, continuent d’alimenter le VIH et le sida. Les atteintes persistantes aux droits humains et les inégalités de genre nous empêchent de progresser vers l’objectif de mettre fin au virus d’ici à 2030”. La plus grande partie des 1,5 million de nouvelles infections en 2021 a touché les personnes les plus vulnérables. Et de cela il sera largement question dans cette CROI 2023.
Côté SARS-CoV-2, il sera intéressant de voir comment l’Amérique de Biden et de la CROI se sortent des variants et recombinants plus qu’inquiétants qui circulent encore à grande vitesse outre-Atlantique, laissant le BF7 chinois au rang de faire-valoir, à l’instar du variant d’Omicron BA5, le BQ 1.1, et plus encore du recombinant XBB 1.5, qui résulte d’une recombinaison génétique entre un sous-variant de 2e génération de BA.2, BJ.1, et un sous-variant BA.2.75, recombinant que les Américains ont baptisé Kraken, que la référence soit mythologique ou proche de Pirate des Caraïbes. Un indice, pour embarquer vers la CROI il faut le pass sanitaire, et pour le Convention Center un masque FFP2 et un QR code de vaccination. C’est le syndrome Djokovic... “Pour assurer la santé et la sécurité des participants, du personnel et des communautés environnantes de CROI, tous les participants de CROI 2023 doivent être vaccinés de manière appropriée. Le statut vaccinal doit être vérifié avant le départ pour l'événement en téléchargeant une photo de votre carnet de vaccination”. Sur le point scientifique, on suivra avec attention une session du mardi 19 février (S09) dédiée aux études thérapeutiques en late-breaker sur le Covid. Avec, par ordre d’apparition à l’écran, l’ensitrelvir (#166), l’interféron pégylé lambda (#167 ; étude Together), la combinaison de 2 anticorps monoclonaux dans l’essai ACTIV-2/A5401 (#168), l’interféron inhalé B1A (essai ACTG A5401, #169) et même la metformine (#170), paradoxe de l’histoire, tant le diabète apparaît comme facteur de risque majeur de Covid sévère. Enfin, en contextuel, Paul Volberding, le Rozenbaum californien de l’historique du sida, a précisé en marge de la CROI 2023 : “Nous semblons nous réveiller de 3 ans d'un cauchemar, les taux de décès et de maladies graves liés au Covid-19 diminuent malgré les variantes très transmissibles du SARS-CoV-2, l'utilisation du masque diminue et les organisations officielles déclarent la fin de l'urgence pandémique”.
On sait ce que l’on quitte en empruntant ce vol AF3622 Delta Airlines/Air France direct de Paris pour Seattle : une France fracturée par les conflits sociaux, la “gilletjaunisation” du débat public sur la réforme des retraites, une lutte contre le sida et autres maladies chroniques totalement invisibilisée par les conflits sus-cités, un hôpital public à genoux et des agences d’État, comme Santé publique France, laminées pas les crises successives du Covid et du monkeypox, dans l’attente de la très efficace nouvelle directrice, Caroline Semaille. Sans compter la façon dont le débat sur les pathologies émergentes ou la réduction des risques est escamoté par les “faits divers” à longueur de chaîne d’information continue... Sur ce point global de la désinformation et des fake news comme autant d’obstacles à la prévention, on suivra avec attention une session originale de cette CROI 2023 le mercredi, 16 h-17 h 30, “Science communication in the age of misinformation” (S09 ; #46-#48). Dans cette session, on retrouvera la très attendue Heidi Larson (Bruxelles), qui a étudié la façon dont se sont construites les rumeurs et les oppositions à certains vaccins, en suivant dans le temps et l'espace l'extension des articles de presse ou certains événements en Asie ou en Afrique.
Pour ce qui est des retraités précisément, à l’heure où la France et l’Assemblée nationale se déchirent sur le recul de l’âge de départ, le CROIyen va retrouver ses chers octogénaires de l’organisation du congrès, qui nous guident dans les méandre du Convention Center, vérifiant que le badge est bien placé côté face, ou le QR code sanitaire, à coup de “fine” et de “great”. Et la star planétaire, icône vivante de la lutte contre le sida, quintessence du mariage parfois contre nature de la science et de la politique, l’octogénaire Anthony Fauci est un tout jeune semi-retraité [2]. Il était très attendu en séance plénière d’ouverture qui “fêtera” (?) les 30 ans de la CROI – mais 1993 n’est pas vraiment une date historique de l’histoire du sida – dans une floraison de récapitulatifs et de perspectives... Anthony Fauci, devenu “le docteur de l’Amérique”, s’est en effet retiré de la vie politique en décembre dernier. Sa longévité exceptionnelle dans ses fonctions lui a permis de côtoyer 7 présidents des États-Unis, républicains ou démocrates, depuis Ronald Reagan. Cependant, cette figure familière aux yeux du monde entier a cessé d’être consensuelle, à l’aune de l’Amérique du Covid, fracturée et divisée par le soupçon, le complotisme et les procès en conflits d’intérêts. Un sondage publié en juin 2022 montrait qu’il ne bénéficiait que de 43 % d’opinions favorables. “J’en ai tellement marre de le voir, avait alors lancé le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, considéré comme la plus sérieuse option à Donald Trump pour l’élection présidentielle, lors d’un meeting : je sais qu’il dit qu’il va prendre sa retraite. Mais quelqu’un devrait attraper ce petit elfe et le jeter dans le Potomac !”. Pis encore, une dangereuse détestation semble s’être installée à son sujet. Lui qui avait toujours veillé à se tenir à l’écart de la politique est peu à peu devenu la bête noire des conservateurs, et la cible favorite des antivax, dans un contexte de politisation très forte de la crise Covid aux États-Unis. Lors d’une audition au Sénat, Anthony Fauci avait même accusé un élu républicain d’encourager les personnes proférant des menaces de mort à son égard. Depuis, il vit sous protection rapprochée. Un homme de 57 ans, originaire de Virginie, a été condamné à 3 ans de prison pour avoir envoyé des courriels menaçants au docteur. L’un d’eux annonçait que lui et sa famille seraient “traînés dans la rue, battus à mort et brûlés vifs”. Fin 2021, dans l’Iowa, un homme armé d’un fusil d’assaut a été arrêté au volant de son véhicule ; il disposait d’une liste de cibles à abattre, parmi lesquelles figurait Anthony Fauci.
L'échec d’un nouvel essai de phase III vaccinal contre le VIH, l'essai MOSAICO (HVTN 706/HPX3002 ; https://www.mosaicostudy.com/) sera au centre de cette CROI 2023 et l’objet d’une session spéciale le mardi 21 février (17 h 40-18 h). L’annonce avait provoqué déception, frustration et tristesse chez les chercheurs et les participants impliqués. L'essai testait l'efficacité et l'innocuité d'un schéma préventif de 2 vaccins contre le VIH avec un adénovirus 26 Mos4 VIH (vaccin Ad26)/Clade C et un Mosaic gp140 (vaccin gp140) dans plus de 50 sites et 8 pays, dont l'Espagne, l'Argentine, le Mexique, le Pérou et le Brésil. Le 18 janvier dernier, le HIV Vaccine Trials Network (HVTN) – l'organisation à l'origine de la recherche clinique basée précisément au Fred Hutchinson Cancer Center de Seattle – a annoncé dans un communiqué que l'essai avait été interrompu à la suite des résultats décevants d'une analyse intermédiaire prévue par le comité indépendant de surveillance des données et de la sécurité de l'étude (DSMB). Bien que le vaccin expérimental ait été "généralement bien toléré", le conseil a déterminé que la combinaison vaccinale n'était pas efficace pour prévenir les infections, par rapport au groupe placebo… La fin de l’étude MOSAICO doit, selon l’ONUSIDA, “conjurer une flamme inextinguible en faveur de l’innovation et faire prendre conscience de l’urgence de veiller à ce que les options éprouvées de prévention du VIH et de traitement atteignent toutes les personnes qui en ont besoin”. “L’issue décevante de l’étude vaccinale souligne une nouvelle fois l’importance de déployer les innovations disponibles en matière de traitement et de prévention du VIH, notamment la PrEP orale, les solutions injectables à action prolongée et l’anneau vaginal”, a déclaré la directrice exécutive de l’ONUSIDA, Winnie Byanyima. Après un tel échec de phase III vaccinale, qui s’ajoute à une liste déjà copieuse, il conviendra de suivre les modèles vaccinaux originaux actuellement en phase I, comme le cd40.hivri.env vaccine ( #324) de l’essai ANRS/vri06, que présentera l’équipe d'Yves Lévy et Jean-Daniel Lelièvre.
Cela comble ce besoin crucial d’outils de prévention efficaces, en attendant des candidats-vaccins qui feraient leurs preuves. Car des données sur la PrEP, cette 30e CROI en regorge, avec plusieurs sessions dévolues à la PrEP injectable par cabotégravir dans les essais HPTN 083 et 084 (#159-161), HPTN 08-01 chez les adolescentes cis en Afrique (#162) ou chez les hommes afro-américains et les femmes transgenre qui ont des rapports avec des hommes aux États-Unis (#161). Ou bien le développement d’insert à usage rectal comportant l’association elvitégravir-TAF dans l’essai MTN-039 (#164) ou l’ultra-long-acting implant d’islatravir, très attendu aussi (#165). En tout lien d’intérêt, dans le sillage de la PrEP on suivra les interventions du Pr Jean-Michel Molina (#119 ; hôpital Saint-Louis, Paris) et du Pr Jade Ghosn (#36 ; hôpital Bichat, Paris). Le premier sur les résultats de l’étude ANRS-174 DoxyVAC de prophylaxie post-exposition (PEP) par doxycycline et/ou vaccination contre le méningocoque B comme outils de prévention contre la syphilis, le Chlamydia trachomatis et le gonocoque. Le second sur l’incidence du monkeypox et l’impact de la vaccination contre la variole dans ce même essai ANRS 174 Doxyvac. Concernant la PEP antibiotique ou vaccinale, le proof of concept a déjà été validé par l’essai ANRS-Ipergay. Cette fois il s’agit, comme pour l’essai américain DOXYPEP (#120) d’établir le niveau de protection, l’impact sur le microbiote et les niveaux de résistance observés en cas d’échec de la PEP. Ensuite, il conviendra d’établir comment ses avancées préventives contre les IST peuvent se traduire, ou non, en recommandations nationales et internationales.
L’actualité internationale sera aussi au cœur de certaines communications, cachée dans le flot des communications ou des posters. À l’image de la communication #203 sur la charge virale contrôlée chez les PVVIH et usagers de drogues en… Russie (LINC-IIRCT) ou (#151) la phylodynamique des variants VIH en Pologne et en Ukraine.
Sinon, a priori à Seattle il y a encore des espaces de bureau à louer dans Rainier Tower toujours pas terminée – 1301 5th Ave – ce gratte-ciel du centre-ville, fuselé, qui semble presque être à l'envers… On se souvient du coup d'arrêt dans l'expansion vertigineuse d'Amazon à Seattle en 2019 lors de la précédente CROI. Dans un contexte de relations très tendues avec les autorités locales, le géant du e-commerce avait annoncé qu'il renonçait à s'installer dans le futur gratte-ciel de la ville. Bonne nouvelle, par contre : on a échappé cette année, pour cause de calendrier, à la sirupeuse et dégoulinante Saint-Valentin et à la finale du Super Bowl, dont certains se souviennent de la retransmission par écrans disséminés dans les salles immenses de posters lors de plusieurs CROI. Cette année, les tabloïds vibrent de “la plus fracassante des annonces”, de mémoire de parturiente. Après plus de 7 ans d'absence, Rihanna a fait son grand retour musical au Super Bowl en assurant le show de la mi-temps de la grande finale du championnat de football américain, ouvrant le zip de sa combinaison rouge dévoilant aux centaines de millions de spectateurs une proéminence signe d’un heureux événement à venir. Enfin, à Seattle, c’est la fuite des cerveaux à Grey's Anatomy. On l’a appris avec déchirement en marge de la CROI, après 6 saisons sous les habits d'Izzie Stevens, la résidente de chirurgie au Seattle Grace Hospital, Katherine Heigl, a quitté la série culte, officiellement pour des raisons familiales. De même, après plusieurs mois d’attente, le départ de Meredith (Ellen Pompeo) de Grey’s Anatomy est imminent ! Jeudi 23 février 2023 sur CBS aux États-Unis, la médecin effectuera en effet ses adieux à ses collègues pour partir vivre à Boston avec ses 3 enfants… sans jamais se retourner ?
- https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/01/la-lutte-contre-le-vih-doit-nous-servir-d-inspiration-pour-vaincre-toutes-les-autres-maladies-infectieuses-y-compris-le-covid-19_6152473_3232.html
- https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/22/anthony-fauci-conseiller-de-la-maison-blanche-sur-le-covid-19-quittera-ses-fonctions-en-decembre_6138698_3210.html
Gilles PIALOUX
Hommage à Daniel Defert
On ne raconte pas quelqu’un comme Daniel Defert. Ou alors il faudrait s’y mettre à plusieurs. Mais beaucoup ne sont plus là pour témoigner, à l’image de ce signe du typex sur les carnets d’adresses des survivants qui résume toute une part de l’histoire du sida qu’il a tant marquée, pensée, incurvée. Pour beaucoup d’entre nous, acteurs de la lutte contre le sida, Daniel aura été un sémaphore dans la carrière, dans l’engagement hors les murs, mais aussi dans toute une partie de la réflexion autour de la santé et de la place du malade. Homme délicieux, à la fois pudique et extraverti, apaisé et en colère, doux et acerbe parfois, tendre souvent. Je l’avais rencontré au milieu des années 80 en l’interviewant pour Libération sur la question du dire sa séropositivité. J’ai pu rédiger pour le site VIF quelques souvenirs personnels ou publics de cet homme hors du commun [1]. On retiendra en exergue de cette CROI 2023 cette citation dans une lettre du 29 septembre 1984, annonçant la création de AIDES : “Je savais déjà que la question du sida ne pouvait être plus longtemps confinée comme question médicale”. GP |