Dilatation des artères rénales et protection néphronique : mythe ou réalité ?
Mis en ligne le 01/12/1998
Auteurs :
La Lettre du Cardiologue - n° 304 - décembre 1998 3
extraordinaire développement des techniques de trai-tement
endoluminal des artères rénales nous conduit
aujourd’hui à nous interroger sur le bénéfice réel de ces
méthodes de revascularisation pour la protection de la fonction
rénale. Le bénéfice attendu est à mettre en balance pour chaque
patient avec les risques de la procédure, qui sont d’autant plus
importants qu’il s’agit de sujets âgés et polyvasculaires (1).
Les patients concernés par cette indication sont les sujets por-teurs
d’une néphropathie “ischémique”. L’atteinte athéromateuse
rénovasculaire intéresse la globalité du parenchyme rénal qui est
en situation d’ischémie : l’ensemble de l’arbre artériel est le siège
d’une sténose supérieure à 75 %. Il peut s’agir d’une sténose bila-térale
ou d’une sténose associée à une thrombose controlatérale.
Toute autre situation, par exemple un petit rein de néphroangio-sclérose
sans sténose vraie, associé à une sténose controlatérale,
ne sera pas considérée comme étant une bonne indication à un
geste de revascularisation (2).
QUELS SONT LES ARGUMENTS DE LA LITTÉRATURE
EN FAVEUR D’UNE ATTITUDE “INTERVENTIONNISTE” EN
CAS DE NÉPHROPATHIE ISCHÉMIQUE ?
Il y a tout d’abord l’histoire naturelle de la maladie rénovascu-laire,
que nous connaissons grâce à des études rétrospectives,
basées sur des autopsies, mais aussi des études prospectives, par
écho doppler par exemple (3). Sa prévalence est élevée, puisque
50 % des patients de plus de 75 ans ont une sténose des artères
rénales, de même que 37 % des patients ayant une artériopathie
des membres inférieurs.
Cette affection est évolutive : 50 % des patients ont une évoluti-vité
de la sténose avec 16 à 44 % d’occlusion en fonction de la
sévérité de la sténose, la bilatéralisation est observée dans 40 %
des cas et l’atrophie rénale dans 37 % des cas.
Au plan fonctionnel, l’évolution se fait vers l’insuffisance rénale
terminale dans 50 % des cas environ (3).
Avec l’augmentation de l’espérance de vie, nous observons une
augmentation des maladies rénovasculaires dans les causes d’in-suffisance
rénale terminale, puisqu’elles représentent 15 à 25 %
des cas après 60 ans. L’amélioration des techniques de dépistage,
en particulier l’écho doppler rénal, a également contribué à une
augmentation de leur incidence.
Le pronostic de cette néphropathie ischémique est mauvais,
puisque la survie n’est que de 5 % à 10 ans avec une mortalité
par infarctus ou AVC très élevée en dialyse (3).
Dans deux situations particulières, le bénéfice de l’angioplastie
paraît indiscutable :
– Dans les œdèmes pulmonaires récidivants associés à une insuf-fisance
rénale, mais pas forcément à une hypertension artérielle.
L’artériographie révèle en général des lésions bilatérales ou sur
rein unique et l’angioplastie peut transformer une situation car-dio-
rénale compromise.
– Chez les patients en hémodialyse : deux études récentes rap-portent
de très bons résultats de la revascularisation (par angio-plastie
ou chirurgie) chez des patients en hémodialyse depuis une
à neuf semaines. Soixante-dix pour cent des patients sont libérés
de la dialyse à un an dans l’étude de Hansen ; il précise cepen-dant
que le gain est plus important en cas de dégradation rapide
de la fonction rénale en préopératoire (4).
QUELS SONT LES RÉSULTATS DES ÉTUDES CONCERNANT
ANGIOPLASTIE ET FONCTION RÉNALE ?
Toutes les études publiées sont rétrospectives avec les incon-vénients
inhérents à ce type d’études :
– Absence d’homogénéité des patients, due au grand polymor-phisme
de la maladie rénovasculaire : type de sténose (uni- ou
bilatérale, ostiale ou non), associée à d’autres atteintes vascu-laires,
comorbidité, niveau d’insuffisance rénale.
– Difficulté de standardiser les méthodes d’évaluation de la fonc-tion
rénale et de son éventuelle amélioration. Quel critère de fonc-tion
rénale faut-il utiliser ? Clairance de la créatinine, clairance de
l’inuline, formule de Cockcroft ? Faut-il comparer, comme Pat-tynama
(5), les pentes de dégradation de la fonction rénale avant
puis après revascularisation ? Dans cette étude, l’amélioration post-angioplastie
± endoprothèse a été évaluée à 60 % à un an.
– Le suivi après revascularisation est variable, dépassant rarement
12 mois.
Deux études prospectives sont disponibles à ce jour :
– celle de Weibull, qui compare le traitement chirurgical et l’an-gioplastie
et fait apparaître un bénéfice sur la fonction rénale légè-rement
supérieur pour la chirurgie (6) ;
– l’étude EMMA (P.F. Plouin), qui compare le traitement par
angioplastie transluminale au traitement médical et rapporte un
É D I T O R I A L
Dilatation des artères rénales et protection
néphronique :
mythe ou réalité ?
??P. Bernadet-Monrozies*
L‘
* Praticien hospitalier, service de néphrologie Pr Suc, Hôpital Rangueil,
1, av. Jean-Poulhes, 31403 Toulouse Cedex 4.
La Lettre du Cardiologue - n° 304 - décembre 1998 4
bénéfice modéré de l’angioplastie sur le plan tensionnel, mais au
prix d’un taux de complications élevé (11).
Globalement, les études avec angioplastie transluminale (ATL)
seule rapportent 68 % d’amélioration ou stabilisation et 32 %
d’aggravation, avec une mortalité de 6 % (7).
Depuis 1991, les études évaluent les résultats de l’ATL avec endo-prothèse
(EP). Concernant la perméabilité primaire, ils sont net-tement
améliorés par rapport à l’ATL seule.
Les résultats sur la fonction rénale semblent également amélio-rés,
mais au prix de complications certainement supérieures. Une
des études les plus récentes étudiant la fonction rénale est celle
de Harden, en 1997, qui rapporte sur 23 patients chez lesquels on
a étudié la pente 1/créatinine avant et après angioplastie avec
endoprothèse une stabilisation ou une amélioration de la fonc-tion
rénale chez 69 % d’entre eux (9).
Les résultats comparatifs sur la fonction rénale des trois tech-niques
ATL seule, ATL avec EP et chirurgie font apparaître un
léger avantage pour la chirurgie (tableaux I et II).
Les échecs fonctionnels après les techniques endoluminales
concernent un tiers des patients dont l’état est aggravé, ce qui
signifie que leur fonction rénale va s’altérer rapidement après le
geste et non pas après des mois ou des années d’évolution spon-tanée.
Cette aggravation survient souvent chez des sujets fragili-sés,
polyvasculaires, et constitue en général une complication
directe de la procédure (infarctus d’aval, dissection, tubulopathie
à l’iode, embolies cholestéroliques) (1). Le taux de complications
est difficile à évaluer car il inclut des complications mineures et
des complications majeures pouvant conduire à l’hémodialyse,
voire au décès. Il se situe autour de 10 % et varie en fonction de
l’expérience des équipes. Il est par ailleurs admis que la mise en
place d’une EP augmente le risque de complications (9 % versus
13 %) (tableau III, p. 7).
É D I T O R I A L
Nombre Nombre améliorés stabilisés aggravés
d’études de patients (%) (%) (%)
ATL
(d’après Rimmer, 1993) 5 183 43 57
ATL + stent
(1991 à 1997) 4 100 32 38 28
Chirurgie
(d’après Greco, 1997) 8 490 48,4 35 16,6
Tableau I.
Résultats comparatifs
sur la fonction rénale
ATL,
ATL + stent,
chirurgie.
Nombre d’études Nombre de patients améliorés + stabilisés (%)
ATL 5 173 68
ATL + stent 6 208 78
Chirurgie 8 490 83
Auteur Année Nombre Améliorés + stabilisés Aggravés Suivi Resténoses Complications Mortalité
(%) (%) (%) (%) (%)
Rees 1991 14 72 28 4 39 17 7
Van de Ven 1995 24 91 8 9 16 13 8
Dorros 1995 30 56 45 6 25 13 5,3
Harden 1997 32 68 28 8 12 21 19
Blum 1997 68 100 0 27 10 4 4
Pattynama 1994 40 60 40 12 10 15 2
Total 208 78 21 15 11 7
Tableau II. Résultats sur la fonction rénale de l’angioplastie avec endoprothèse d’après les études
publiées dans la littérature depuis 1991 (séries de
plus de dix patients).
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La Lettre du Cardiologue - n° 304 - décembre 1998 7
L’évaluation du rapport bénéfices/risques relève d’un essai pros-pectif
qui est actuellement initié par le CHU de Clermont-Fer-rand.
La question posée est donc celle du bénéfice de l’ATL par
rapport au traitement médical sur la fonction rénale, avec une éva-luation
précise de la qualité de vie des patients.
Cette étude permettra également d’établir un consensus sur les
indications exactes des gestes de revascularisation, ce qui nous
manque cruellement en pratique quotidienne.
QUELS PATIENTS DOIT-ON SÉLECTIONNER POUR UN GESTE
DE REVASCULARISATION DANS UN BUT DE PROTECTION
NÉPHRONIQUE ?
De multiples facteurs interviennent en effet dans la discussion de
l’indication :
– des facteurs propres au patient (âge, comorbidité, état corona-rien,
autre atteinte vasculaire, carotidienne en particulier) ;
– l’évaluation précise de la fonction rénale et de la qualité du
parenchyme rénal restant par des méthodes qu’il faut standardi-ser
(échographie, scanner sans produit de contraste, voire PBR) ;
– le bilan lésionnel des lésions rénovasculaires (type de sténose,
dissection, présence de plaques, athérome aortique, accessibilité
à un geste d’angioplastie).
Enfin, rappelons l’importance du phénomène de resténose dans
les résultats à long terme : 35 % pour les sténoses ostiales, 12 %
pour les sténoses non ostiales. Ces résultats sont-ils améliorés par
la mise en place d’une endoprothèse ? La question est encore
débattue, mais il semble qu’ils ne le soient pas (1).
EN PRATIQUE, IL FAUT DISTINGUER DEUX SITUATIONS
La situation de “sauvetage rénal”, où la revascularisation s’im-pose
sans discussion : insuffisance rénale aiguë ou œdème pul-monaire
à répétition en relation avec des sténoses bilatérales ou
sur un rein unique, les reins étant de taille normale.
Des situations, plus fréquentes, où la revascularisation est pro-posée
dans un but de protection néphronique. L’altération de la
fonction rénale est en général plus lentement progressive et l’in-dication
de l’angioplastie est plus discutable.
En fonction des données de la littérature, on peut dégager
quelques éléments de bon pronostic (3, 10) :
– altération rapide de la fonction rénale,
– niveau de créatinine inférieur à 30 mg/l,
– sténose supérieure à 75 % intéressant les trois quarts du paren-chyme
rénal,
– taille des reins à revasculariser supérieure ou égale à 9 cm à
l’échographie,
– absence d’athérome aortique important avec plaques ulcérées.
CONCLUSION
En présence d’une altération de la fonction rénale, la découverte
de lésions rénovasculaires bilatérales et complexes est de plus en
plus fréquente. Bien souvent, cette maladie rénovasculaire s’in-tègre
dans un contexte de polyathéromatose qu’il faut évaluer et
qui prend une place importante dans la discussion thérapeutique.
L’indication de la revascularisation dans les situations complexes
doit faire intervenir de multiples facteurs propres au patient, aux
données de l’artériographie et au contexte vasculaire associé.
En dehors du contexte général du patient, les éléments à évaluer
en premier sont, d’une part, l’importance du parenchyme rénal
en situation d’ischémie, la taille des reins et la qualité du paren-chyme
restant, et, d’autre part, “l’accessibilité” technique ou le
“risque de la procédure”, qui sera évalué avec le radiologue et
dépendra largement de son expérience
En l’absence d’étude prospective randomisée, aucune certitude
n’est acquise concernant le rapport des bénéfices aux risques dans
les situations d’insuffisance rénale, et en attendant les résultats
de ces études, les situations sont réglées au cas par cas de façon
multidisciplinaire : la logique et la raison nous indiquent qu’il
faut revasculariser un patient insuffisant rénal si le parenchyme
restant paraît convenable et si le risque encouru n’est pas trop
important. ?
R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S
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É D I T O R I A L
Resténose Complications Mortalité
(%) (%) (%)
ATL 12-35 9 6
ATL + stent 11-39 13 7
Chirurgie 4 8
Tableau III. Résultats comparatifs des complications ATL,
ATL + stent, chirurgie.
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