Éditorial

Faut-il modifier nos stratégies diagnostiques dans les hypertensions artérielles secondaires ?


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L'expérience de la prise en charge des cas d'hypertensions “difficiles” (résistantes, secondaires, compliquées, sévères, etc.), ainsi que l'analyse de données récentes de la littérature médicale laissent entrevoir que les procédures diagnostiques actuellement utilisées manquent d'efficience.

Évoquons, par exemple, quelques situations que l'on rencontre quasi quotidiennement en cardiologie :

  • en cas d'hypertension artérielle et de sténose artérielle rénale serrée, faut-il décider de réaliser une revascularisation artérielle rénale (le plus souvent par angioplastie) et, si oui, en se fondant sur quels arguments ?
  • de très nombreuses études rapportent un retard au diagnostic dans les hypertensions artérielles secondaires, notamment dans l'hyperaldostéronisme primaire. Il s'écoule habituellement plusieurs années entre le premier élément qui aurait pu/dû faire suspecter le diagnostic et le diagnostic posé ;
  • les bilans hormonaux surrénaliens (ou corticosurrénaliens) sont différents selon les équipes. Il n'existe pas d'uniformisation des tests, notamment dynamiques. Parfois, les résultats sont clairs : il n'existe pas de désordre hormonal surrénalien ou alors il existe un franc hyperaldostéronisme/hypercorticisme. Néanmoins, parfois, et peut-être même souvent, les tableaux sont ambigus et ne permettent pas de poser un diagnostic précis ;
  • des données récentes de la littérature endocrinologique montrent que les barrières existant entre les hormones minéralocorticoïdes et les hormones corticostéroïdes semblent moins étanches que ce que nous avons appris sur les bancs de la faculté. Faudrait-il en tirer les conséquences dans le cadre de nos démarches diagnostiques ?
  • et en cas d'hyperaldostéronisme par sécrétion latéralisée, la stratégie chirurgicale (surrénalectomie unilatérale) doit-elle toujours être préférée et donc proposée aux patients, ou le traitement spécifique à base d'anti-aldostérone représente-il une alternative satisfaisante ?

Concernant la problématique de l'hypertension artérielle rénovasculaire, on peut être déçu, a posteriori, que les nombreux essais thérapeutiques n'aient pas suffisamment bien phénotypé les patients inclus. Si l'on avait inclus des patients dont l'hypertension artérielle est fortement soupçonnée d'avoir une composante rénovasculaire, aurait-on eu des résultats favorables dans le bras revascularisation artérielle rénale ? Un vaste essai thérapeutique serait nécessaire pour répondre à cette question.

Les hypertensions surrénaliennes sont bien entendu des maladies peu fréquentes, mais elles représentent tout de même la première cause d'hypertension artérielle secondaire. L'hypertension artérielle représente elle-même la 1re maladie chronique en France comme dans le monde, et constitue toujours la 1re cause de mortalité, avec plus de 10 millions de morts chaque année dans le monde.

Il serait judicieux de mener un essai comparant la stratégie chirurgicale au traitement spécifique médicamenteux chez les patients porteurs d'un adénome de Conn. Le suivi devrait être prolongé, les critères de jugement porter à la fois sur la mesure de la pression artérielle et de la kaliémie, la survenue d'événements cardiovasculaires, de fibrillation atriale, d'insuffisance cardiaque et rénale, l'apparition de démence, etc. Bref, un essai thérapeutique qui ne ressemblerait pas aux essais thérapeutiques classiques, notamment en raison de la nécessité d'un suivi très prolongé.

Le retard au diagnostic uniformément décrit dans les hypertensions artérielles surrénaliennes ne justifierait-il pas de réaliser précocement un bilan hormonal de dépistage ? Cette proposition va probablement faire grincer des dents à la fois les puristes de l'hypertension artérielle et les économistes de la santé ; le rapport coût/efficacité risquant de ne pas être au rendez-vous…

Le rédacteur de ce billet d'humeur a bien conscience qu'il ouvre la boîte de Pandore et qu'il pose toute une série de questions sans répondre à aucune ; néanmoins, il espère avoir convaincu le lecteur patient qui l'aura suivi jusqu'ici que la situation actuelle en matière de stratégie diagnostique des hypertensions artérielles secondaires n'est pas satisfaisante et qu'elle ne peut que s'améliorer dans l'avenir.



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