Editorial

Réduire la mortalité doit-il être l'objectif de la prévention ?


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Les maladies cardiovasculaires, malgré les progrès considérables réalisés dans leur prévention et leur traitement dans les pays industrialisés, demeurent, et de loin, la première cause de mortalité au monde, l'essentiel de cette mortalité survenant dans les pays émergents où les traitements préventifs et curatifs n'ont pas encore pu être mis en œuvre à grande échelle. Dans les pays industrialisés, il y a eu, en revanche, une baisse spectaculaire de la morbimortalité cardiovasculaire et, en premier lieu, de celle d'origine coronaire, dont nous savons, grâce à de multiples analyses concordantes, qu'elle est principalement due aux progrès du traitement préventif (lutte contre le tabagisme, traitement de l'hypertension artérielle, diffusion du traitement de l'hypercholestérolémie par les statines, etc.) et, pour une moindre part, aux progrès du traitement curatif de l'infarctus du myocarde (traitement de reperfusion et mise en œuvre d'une prévention secondaire efficace). L'essentiel de ces progrès a été validé au cours de grands essais randomisés contrôlés qui ont permis de montrer l'efficacité des interventions pour la prévention des événements cardiovasculaires – souvent la mortalité cardiovasculaire, et parfois même la réduction de la mortalité toutes causes. Dans ce domaine, et compte tenu de l'importance relative de la mortalité cardiovasculaire dans l'ensemble des causes de décès, la recherche clinique cardiovasculaire a longtemps été “privilégiée”, car il a souvent été possible de démontrer que les interventions thérapeutiques efficaces pour réduire les événements cardiovasculaires diminuaient également la mortalité toutes causes. C'est, par exemple, le cas de l'angioplastie primaire dans l'infarctus du myocarde.

Pour autant, avec les progrès continus des traitements préventifs et curatifs, les taux d'événements cardiovasculaires, mortels ou non, compliquant l'évolution de la maladie coronaire, ont nettement diminué, rendant de plus en plus difficile la démonstration des nouveaux progrès. Dans ce contexte, la question se pose de savoir si les traitements testés actuellement doivent avoir pour objectif de réduire la morbidité cardiovasculaire (par exemple, la survenue de critères composites tels que le composite “décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral” [AVC]), la mortalité cardiovasculaire, ou même la mortalité toutes causes. Il est important de toujours analyser l'effet des traitements préventifs sur la mortalité toutes causes pour s'assurer qu'un bénéfice qui serait observé sur des événements non mortels ne serait pas contrebalancé par un effet délétère inattendu sur d'autres causes de mortalité. Néanmoins, c'est une situation exceptionnelle, heureusement, et, le plus souvent, on observe un bénéfice sur des événements morbides, mais sans réduction de la mortalité toutes causes. Les traitements préventifs qui ne réduisent pas la mortalité globale sont-ils inutiles ? Certainement pas, et pour plusieurs raisons.

1. Les objectifs des traitements des maladies cardiovasculaires ne peuvent pas être la seule réduction de la mortalité

Les affections cardiovasculaires sont à l'origine de morbidités et d'une altération de la qualité de vie, qui sont des objectifs importants du traitement. Des domaines entiers de la pathologie médicale, tels que la rhumatologie ou la dermatologie, n'influent pas sur la mortalité, ou peu, et pourtant les traitements disponibles dans ces domaines sont importants pour les patients et leur qualité de vie. Donc, même sans réduction de la mortalité, éviter la progression des maladies cardiovasculaires, éviter des événements aigus, mortels ou non, tels que l'infarctus ou l'AVC, limiter leurs conséquences sur le pronostic et sur la qualité de vie sont des objectifs importants des traitements.

2. La mortalité globale est un indice peu sensible de l'efficacité des traitements préventifs

Il est fréquent qu'un traitement préventif puisse réduire de façon spectaculaire le risque de survenue d'une affection donnée, sans que cela affecte le moins du monde la mortalité toutes causes. L'exemple caricatural est celui de la vaccination : la vaccination contre la rougeole éradique quasiment la maladie, mais la rougeole étant heureusement très rare, cela n'a aucun effet décelable sur la mortalité globale de la population générale. D'une façon générale, les conséquences du traitement préventif d'une maladie sur la mortalité toutes causes dépendent de l'importance relative que cette affection a dans la mortalité. Concernant les maladies cardiovasculaires, et particulièrement la maladie coronaire, il est important de se souvenir que les mécanismes de la mortalité liée aux affections coronaires passent en partie par le risque de survenue d'un nouvel infarctus du myocarde, mais également, pour une large part, par les complications liées à l'insuffisance cardiaque chronique et aux troubles du rythme, et il ne faut donc pas s'étonner que des traitements qui peuvent réduire le risque de survenue d'un nouvel infarctus du myocarde n'aient pas nécessairement un impact sur la mortalité toutes causes. Deux épidémiologistes anglais célèbres, les Drs P. Sasieni et N.J. Wald (1), ont récemment passé en revue de façon détaillée les problèmes méthodologiques posés par l'évaluation de l'efficacité des interventions préventives sur la mortalité. Ces considérations nous rappellent que les objectifs du traitement préventif des maladies cardiovasculaires sont avant tout de prévenir la survenue de ces affections et de leurs complications et d'améliorer leur pronostic. Il est désormais rare que les traitements préventifs puissent affecter la mortalité toutes causes, sauf dans des populations très ciblées et pour des affections dont la létalité est très élevée. À l'avenir, les progrès de la prévention cardiovasculaire reposeront probablement davantage sur l'addition de petits gains successifs sur la morbidité cardiovasculaire que sur la mise au point d'une intervention “miraculeuse” sur la mortalité cardiovasculaire ou la mortalité toutes causes.

Références

1. Sasieni P, Wald NJ. Should a reduction in all-cause mortality be the goal when assessing preventive medical therapies? Circulation 2017;135:1985-7.


Liens d'intérêt

Ph Gabriel Steg déclare avoir des liens d’intérêts avec :
– Bayer, Merck, Sanofi, Servier (Bourses de recherche) ;
– Amarin, Amgen, AstraZeneca, Bayer, Boehringer-Ingelheim, Bristol-Myers-Squibb, Lilly, Merck, Novartis, Novo-Nordisk, Pfizer, Regeneron, Sanofi, Servier (honoraires [orateur ou consultant]).