Tribune

Covid-19 et cancer du sein : un jour viendra le temps du bilan


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Nous savons que la prédiction de l'avenir est un art difficile, ce qui ne nous empêche pas de lire, et parfois d'écrire, régulièrement des documents concernant l'évolution de notre discipline sur les années à venir. Nous avons traité dans cette revue de multiples dossiers sur les soins ambulatoires ou l'évolution des thérapeutiques ciblées. Mais qui d'entre nous aurait osé imaginer, ne fût-ce qu'un instant, un tel retentissement d'une pandémie virale sur l'ensemble de notre système de santé, dont des pans entiers ont été littéralement mis à genoux en l'espace de quelques semaines ? Dans ce maelström, le dernier dossier de La Lettre du Sénologue avait tout de même une valeur prémonitoire que nous n'avions pas envisagée à l'époque (j'ai l'impression de faire référence à un dossier de plus d'un an, tant d'événements s'étant accumulés depuis), puisqu'il s'agissait du burn-out des professionnels de la santé. Après presque 2 mois de lutte pour assurer les soins essentiels, dans un contexte, selon l'expression en usage, fortement dégradé, nous en sommes tous un peu là…

Les conséquences sur l'état de la cancérologie seront sans doute majeures, et nous commençons à peine à en prendre la mesure. Elles seront probablement très variables selon les territoires ; ceci étant, tous rapportent à des degrés divers une baisse des nouveaux diagnostics. L'impact en sera sans doute différent selon les profils de patientes. Intuitivement, on peut en effet penser que 2 à 3 mois de retard dans la réalisation d'une mammographie de dépistage ne devrait avoir que des conséquences limitées. Cela n'est cependant pas le cas pour des tumeurs agressives, dont certaines basculeront vers des indications de traitement néoadjuvant. Par ailleurs, nous ne savons pas quelle est la proportion de femmes jeunes, non concernées par le dépistage, dont la prise en charge commencera avec 2 mois de retard dus au confinement. Pour nombre d'entre elles, une perte de chances est probable. À l'opposé du spectre des cancers du sein, certaines patientes âgées seront sans doute aussi diagnostiquées avec un retard préjudiciable, lorsqu'elles auront été touchées par des formes sévères de la maladie, ayant dégradé leur autonomie pour de longs mois. Il sera à cet égard intéressant de connaître le nombre et le stade des nouveaux diagnostics de cancer du sein depuis le début de la pandémie et dans les mois qui suivront le retour à une vie plus normale.

La deuxième question préoccupante est celle de la désescalade thérapeutique. Là encore, le sujet fut traité dans notre revue, mais nul n'aurait osé imaginer qu'il se poserait un jour dans de telles conditions. Elle était sûrement légitime dans les régions les plus touchées, où le système de santé était phagocyté par l'urgence du Covid et où le simple fait de venir dans un établissement de santé pour recevoir une chimiothérapie pouvait faire courir un risque vital. Il est certes des situations où les traitements adjuvants peuvent être décalés de quelques semaines. Il est par ailleurs rarement problématique de décaler des consultations de surveillance. Enfin, les outils modernes de téléconsultation ont dans bien des cas permis de gérer certaines situations de façon tout à fait efficace. Cependant, la désescalade thérapeutique est une pente glissante et dangereuse, où les curseurs sont souvent difficiles à positionner. Le problème a par exemple été posé pour les patientes non curables, pour lesquelles le rapport risque-bénéfice du traitement n'est bien sûr pas le même que pour une forme triple-négative exigeant l'instauration rapide d'une chimiothérapie première. Ceci étant, il est éthiquement bien discutable de priver ces patientes d'une palliation efficace des symptômes apportée par un traitement spécifique bien conduit.

Plusieurs leçons peuvent d'ores et déjà être tirées de cette crise sanitaire qui est loin d'être finie. En premier lieu, on remarquera la mobilisation des équipes. Qui plus est, dans bien des cas, c'est au niveau des services, c'est-à-dire de la plus petite entité médico­administrative, et non au niveau des grands départements transversaux, que les premières mesures pragmatiques de protection ont été prises. Par ailleurs, dans le domaine de la sénologie, les sociétés savantes concernées ont été, avec le groupe de RPC de Nice-Saint-Paul, extrêmement réactives pour proposer des recommandations thérapeutiques permettant d'assurer la continuité des soins sans perte de chances. Enfin, les équipes de cancérologie ont été particulièrement résilientes, pour reprendre un terme consacré. À titre d'exemple, dans le territoire où j'exerce, et qui a été l'un des plus touchés de France, les services d'oncologie n'ont connu qu'une baisse d'activité modeste, de l'ordre de 20 %, alors qu'une grande partie du personnel était frappée par la maladie (ce qui contraste d'ailleurs avec l'incidence du Covid chez les patients sous chimiothérapie, qui semblent avoir globalement particulièrement respecté le confinement, mais ceci demande à être exploré).

Tout cela aura des conséquences durables qu'il nous faudra de longs mois pour évaluer. Des réformes du système de soins et de la gouvernance hospitalière sont également évoquées. On peut au moins dégager une tendance positive : tous se sont rapidement accommodés des réunions en visioconférence, et il est peu probable que l'on revienne en arrière. Pour en revenir enfin à la question de l'épuisement professionnel des équipes évoqué au début de cette tribune, il est probable que nous n'avons pas commencé à prendre conscience de son ampleur, sans parler des symptômes de stress ­post-traumatique chez nos patients eux-mêmes. Nul doute que nous serons amenés à développer la question des conséquences du Covid pour notre discipline dans les prochains numéros de La Lettre du Sénologue.


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L. Zelek déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec l’article.