Éditorial

Les traitements du cancer du sein attaquent la féminité


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En matière de psycho-oncologie, 2 figures s'imposent à mon esprit, 2 psychologues-psychanalystes à l'origine de la prise en charge ­psychologique des patients atteints de cancer : Andrée Lehmann, à l'institut Gustave-Roussy, et Nicole Alby, à l'hôpital Saint-Louis, fondatrice d'Europa Donna, et qui nous a malheureusement quittés en 2017. Dès la fin des années 1970, elles se sont battues contre vents et marées pour la reconnaissance de la nécessité de cette prise en charge. Quel chemin parcouru ! Et ce en grande partie également grâce à l'action des malades, notamment aux États généraux du cancer de 1998.

En sénologie, l'importance de la prise en charge des aspects psychologiques s'est peut-être imposée plus rapidement que pour d'autres pathologies cancéreuses. Le sein, en effet, comme Natacha Espié le souligne, est un organe symbolique de la féminité, de la maternité, de la sexualité, et toute atteinte à son niveau remet en cause l'identité féminine. Le cancer certes, mais en plus le sein !

Les traitements du cancer du sein soignent le cancer mais, en même temps, attaquent la féminité : chirurgie mammaire plus ou moins mutilante, chute des cheveux, des poils pubiens, ménopause précoce, sécheresse vaginale, perte ou diminution de la libido, infertilité, etc.
Le corps, en laissant se développer le cancer, a trahi ces femmes, générant inquiétude et anxiété. Et nos traitements ainsi que notre prise en charge vont participer bien malgré nous à la perte des repères que ces femmes s'étaient construits tout au long de leur vie. Elles ne se reconnaissent plus !

La non-observance, liée majoritairement aux effets indésirables des traitements, concerne tout particulièrement l'hormonothérapie : bouffées de chaleur, insomnie, sueurs nocturnes, arthralgies, prise de poids… et l'astreinte de la prise quotidienne d'un comprimé pendant 5 à 10 ans qui renvoie tous les jours au cancer que l'on ne peut oublier. L'article de Léonor Fasse fait une revue remarquable sur ce sujet très important dans notre pratique quotidienne. Une étude menée par la Sécurité sociale dans la région de Bordeaux retrouve 31 % d'abandons de traitement à 5 ans, ce qui représente à l'échelle de la France plus de 24 000 femmes (1).

Florian Scotté dresse un tableau de la place essentielle de la psycho-oncologie dans le cadre des soins de support et un état des lieux de la prise en charge psychologique en cancérologie.
Il nous offre un plaidoyer pour le bonheur et fait le point sur des études cliniques récentes qui mettent en avant la nécessité ou les bénéfices d'actions menées en psycho-oncologie concernant la thématique de la maladie cancéreuse.

Laurent Zelek aborde la place de la culture dans la représentation du cancer, et notamment en Afrique de l'Ouest ; il mène, conjointement avec des anthropologues, un travail sur le vécu du cancer par ces femmes. En France, Tobie Nathan, déjà à Bobigny, et Georges Devereux ont développé l'ethnopsychiatrie, qui prend en compte la dimension culturelle du sujet, la difficulté n'étant pas de “transcrire (traduire) d'une langue dans une autre, mais de transposer une vision du monde dans une autre”.

Enfin, et de manière peut-être inattendue, Jean-Jacques Zambrowski nous explique comment le suivi psychothérapeutique peut réduire le coût de la prise en charge des cancers.

Écouter pour soigner – parler pour guérir, nous dit Marilyne Baranes, résumant ainsi fort justement le contenu de ce dossier ! 

Références

1. Bosco-Lévy P, Jové J, Robinson P, Moore N, Fourrier-Réglat A, Bezin J. Persistence to 5-year hormonal breast cancer therapy : a French national population-based study. Br J Cancer 2016;115(8):912-9.


Liens d'intérêt

M. Espié déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.