Au coin du Web

Débat autour de la notion de « troubles neurodéveloppementaux »


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Faisant suite à la discussion sur l'augmentation des troubles du spectre autistique publiée dans le dernier « Coin du Web », Jean-Pierre Bachy interroge sur l'objectif des plateformes de coordination et d'orientation (PCO), et de façon plus globale, sur la notion de troubles neurodéveloppementaux.

Selon le DSM-5, les troubles neurodéveloppementaux (TND) sont « un ensemble d'affections qui débutent durant la période du développement, souvent avant même que l'enfant n'entre à l'école primaire ; ils sont caractérisés par des déficits du développement qui entraînent une altération du fonctionnement personnel, social, scolaire ou professionnel ». Pour J.P. Bachy, cette définition n'explique pas le terme TND, d'autant que les pathologies exclues de ce champ pourraient être considérées aussi comme des « déficits » de développement, si on les compare au développement « normal ».

À l'ère des neurosciences, de la neurobiologie et la neuro­psychologie, les manifestations mentales et/ou d'origine mentale sont souvent formulées en termes d'organisation neuronale et du cerveau, observe-t-il. Ainsi, selon la définition retenue sur le site du gouvernement consacré au handicap, « le neurodéveloppement recouvre l'ensemble des mécanismes qui, dès le plus jeune âge, et même avant la naissance, structurent la mise en place des réseaux du cerveau impliqués dans la motricité, la vision, l'audition, le langage ou les interactions sociales. Quand le fonctionnement d'un ou plusieurs de ces réseaux est altéré, certains troubles peuvent apparaître : troubles du langage, troubles des apprentissages, difficultés à communiquer ou à interagir avec l'entourage ».

Si tout fonctionnement psychique, cognitif et/ou développemental se trouve sous-tendu par une organisation cérébrale (neurones, synapses, neuro­transmetteurs, au sein de régions ou d'aires cérébrales), qui reflète l'état du développement en cours, la dénomination de TND reste sujette à débat, car tous les troubles de l'enfance pourraient appartenir à cette rubrique, souligne J.P. Bachy.

Pour Michel Boublil, les neuro­sciences ont découvert l'existence de l'inconscient [1], même si ce n'est pas le vieil inconscient freudien bien sûr, mais un nouvel inconscient ­cognitif…

Les TND sont un mythe, affirme notre confrère, qui nous rappelle que, selon Roland ­Barthes, la fonction du mythe est d'évacuer le réel. Les Mytho­logies (Éditions du Seuil, 1957) démontent celle des TND, qui veulent dire neuro -organique -anti psychanalyse, explique-t-il. Ainsi, un père maltraitant devient la victime du TDAH de son fils, un couple violent, des parents à plaindre du « multidys » de leur enfant… Les TND sont une mythologie à laquelle il faut adhérer, même si le terme ne recouvre rien de précis, et justement parce que ça ne recouvre rien de précis puisqu'on ne peut pas en discuter le sens. Quiconque aujourd'hui contesterait le terme TND passerait pour un impie et verrait toutes ses demandes (MDPH-AJPP-PCO) refusées. Notre confrère nous invite donc à lire ou à relire les Mythologies de Roland Barthes.

Christophe Philippe s'interroge également sur le choix du terme TND, qui tend à mettre de côté les rôles des contextes relationnels, psychologiques et affectifs, socioéconomico-­culturo-historiques dans le développement humain.

Il illustre son propos par une situation clinique qui ne manquera pas de rappeler des cas similaires à bon nombre de praticiens… « Je reçois en consultation un enfant de 11 ans qui m'est adressé pour un TDAH “diagnostiqué” à l'école (SNAP IV-26 à l'appui). Je m'adresse à l'enfant, lui demandant s'il sait pourquoi il vient me voir ; sa mère intervient et lance d'un trait : – Oh, vous savez Docteur, à la maison j'ai déjà 2 “multidys” et un “TSA-Asperger”, lui, c'est sûr, il est TDAH »…

Concernant les PCO, J.P. Bachy et C. Philippe se réfèrent à un article d'Anne Delège, pédopsychiatre à Annecy, paru dans la revue Pratiques (n°88-février 2020), qui présente une analyse critique des TND et de leur prise en charge dans ce nouveau parcours de soins. « Au lieu d'un abord global et d'une écoute de l'enfant et de sa famille avant tout bilan, qui permet déjà souvent des améliorations significatives, les diagnostics tendent à être établis sur la base des bilans, épreuves et tests visant à mesurer et chiffrer les symptômes, et pratiqués en première intention, avec un manque de prise en compte de l'effet de ces bilans quant au ressenti de l'enfant. Les soins sont avant tout éducatifs, rééducatifs et médicamenteux, l'approche psychologique et sa part dans les soins étant réduites à la portion congrue puisque le remboursement des soins psychologiques n'est pas organisé d'une part, et que l'adresse aux structures de soins de ligne 2, laissé à la discrétion du médecin de la plateforme, pourra ne pas avoir lieu. Mais des additions de rééducations peuvent manquer leur but si des problèmes sous-jacents ne sont pas pris en compte ou si l'enfant n'est pas écouté dans l'expression singulière de ses besoins psychologiques. »

Rappelons que le repérage et la prise en charge précoce des enfants présentant un décalage des acquisitions, des difficultés relationnelles et/ou des troubles de l'apprentissage ont fait l'objet d'une recommandation de bonne pratique de la Haute Autorité de santé en mars 2020 intitulée « Troubles du neurodéveloppement - Repérage et orientation des enfants à risque » [2]. ■

Références

1. Lionel Nacache. Le nouvel inconscient. Éditions Odile Jacob, 2006.

2. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3161334/fr/troubles-du-neurodeveloppement-reperage-et-orientation-des-enfants-a-risque