Dossier

Première ligne : patients non éligibles à l'autogreffe


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Essai TOURMALINE-MM4 : l'ixazomib peine à convaincre en entretien malgré des résultats statistiquement significatifs

L'étude TOURMALINE-MM4, présentée en poster (Dimopoulos MA et al., abstr. 8527), posait la question de l'entretien par ixazomib chez des patients non éligibles à l'autogreffe. Chez ces sujets, les dernières études démontrent l'intérêt d'un traitement prolongé (étude FIRST avec lénalidomide + dexaméthasone [1], étude ALCYONE avec daratumumab + bortézomib + melphalan + prednisone [2]). L'un des standards de traitement actuels étant le melphalan + prednisone + bortézomib (MPV), qui est administré sur une durée fixe (maximum : 12 mois), il était logique de se poser la question d'un traitement d'entretien dans ce contexte. Les patients devaient avoir reçu un traitement d'induction pendant 6 à 12 mois et devaient être au moins en réponse partielle. Ils étaient ensuite randomisés entre un bras placebo (n = 281) et un bras ixazomib (n = 425). La médiane d'âge était de 72 ans. Un tiers des patients avait plus de 75 ans. Plus de 80 % des patients ont reçu un traitement d'induction à base d'inhibiteur du protéasome (MPV majoritairement). La durée médiane du traitement d'induction était de 9,5 mois. Avec un suivi médian de 21,1 mois, la survie sans progression (SSP) à partir de la randomisation était supérieure dans le bras ixazomib (17,4 contre 9,4 mois ; HR = 0,659 ; p < 0,001), ce qui correspond à une diminution du risque de progression de 34 % (figure 1). Les données de SSP à partir de l'instauration du traitement d'induction montrent également la supériorité du bras ixazomib, avec une SSP médiane de 26,3 mois contre 20,3 mois (HR = 0,650 ; p < 0,001). Le bénéfice en SSP était présent dans tous les sous-groupes analysés. Comme dans tous les essais évaluant l'ixazomib, les données de tolérance objectivent une toxicité digestive importante avec nausées, vomissements, diarrhées chez un quart des patients, mais également des rashs et des neutropénies.

Essai ENDURANCE : des résultats dont on ne sait que faire malgré un nombre impressionnant de patients

L'objectif de l'étude ENDURANCE (Kumar S et al., LBA3) était de comparer un traitement d'induction par bortézomib + lénalidomide + dexaméthasone (VRd) à un traitement par carfilzomib + lénalidomide + dexaméthasone (KRd). Les patients ont été randomisés entre un bras VRd (12 cycles) et un bras KRd (9 cycles). Une deuxième randomisation était prévue après induction pour évaluer la durée de l'entretien par lénalidomide (24 mois contre entretien jusqu'à progression). Les résultats présentés sont ceux de la première randomisation, et donc de l'efficacité du traitement d'induction. Les patients éligibles à une autogreffe pouvaient être inclus et autogreffés après 12 mois de traitement à la discrétion des investigateurs. Les patients à haut risque étaient exclus (t(14;16), t(14;20), del(17p), LDH > 2 N). 1 087 patients ont été inclus (542 dans le bras VRd et 545 dans le bras KRd). L'âge médian était de 65 ans ­(extrêmes: 32-88). 50 % des patients avaient plus de 65 ans, et environ un tiers, plus de 70 ans. Une t(4;14) était présente chez 9,4 % des patients et une t(11;14), chez 19 %. 27 % des patients ont reçu une autogreffe. Avec un suivi médian de 15 mois, il n'y a pas de différence significative de SSP entre les 2 bras (médiane : 34,6 mois pour le bras KRd contre 34,4 mois pour le bras VRd) (HR = 1,04 ; p = 0,742) (figure 2). Chez les patients de plus de 70 ans, la SSP médiane est supérieure dans le bras VRd (37 contre 28 mois). L'analyse de sous-groupes montre que les 255 patients ayant une cytogénétique anormale semblent tirer un bénéfice du traitement par KRd. En ce qui concerne les taux de réponse, il n'y a pas de différence significative entre les 2 groupes (86,7 % pour le bras KRd contre 84,3 % pour le bras VRd ; p = 0,132). Le taux de réponse complète (RC) est similaire dans les 2 groupes (18,3 contre 14,5 % ; p = 0,261). Les données de tolérance sont cohérentes avec la toxicité attendue des traitements. On observe plus d'événements cardiovasculaires et rénaux dans le bras KRd (16,1 contre 4,8 %), majoritairement de grade ≥ 3 (12,6 et 4,6 %, respectivement). À l'inverse, on observe plus de neuropathies périphériques dans le bras VRd (53,6 contre 24,4 % dans le bras KRd), mais majoritairement de grade 1-2 (grade ≥ 3 : 8 contre 0,8 %).

Commentaire

Les résultats de l'étude TOURMALINE-MM4 sont positifs. Cependant, leur pertinence clinique est très limitée. En effet, la SSP médiane du bras ixazomib à partir de l'instauration du traitement d'induction est de 26 mois (SSP de la séquence induction + entretien), ce qui est inférieur à la SSP médiane observée avec le lénalidomide + dexaméthasone (32 mois dans l'étude MAIA [3]). Les contraintes liées à un traitement par MPV puis ixazomib sont plus importantes que celles liées à un traitement par lénalidomide + dexaméthasone (tout oral). Par ailleurs, les données de tolérance de l'ixazomib en entretien ne sont pas très satisfaisantes, avec beaucoup de troubles digestifs, ce qui obère la qualité de vie des patients, d'autant que les données présentées par A. Larocca et al. à l'ASH en 2018 [4] ont montré qu'il était possible d'alléger le traitement par lénalidomide + dexaméthasone chez les patients fragiles sans perte d'efficacité. Mais surtout, le remboursement très prochain de l'association daratumumab + lénalidomide + dexaméthasone est attendu par tous, et cette association deviendra très rapidement le traitement de référence de première ligne chez les patients non éligibles. Il s'agit d'un traitement jusqu'à progression dont la tolérance est correcte. Dans ce contexte, il n'y a pas de place pour l'ixazomib en entretien. Le seul créneau serait pour les rares patients ayant une contre-indication aux IMiD, mais, dans ce cas, l'association daratumumab + MPV (dont le remboursement est également attendu prochainement) serait préférée.

L'étude ENDURANCE est impressionnante par le nombre de patients inclus et posait une bonne question. Cependant, les résultats sont difficiles à interpréter, pour plusieurs raisons. Un grand nombre de patients n'ont pas reçu le traitement protocolaire complet. Ainsi, seuls 324 patients (61,6 %) ont reçu 9 cycles de KRd et 228 patients (43,3 %) ont reçu les 12 cycles de VRd. Cette étude a inclus des patients éligibles et d'autres non éligibles. Environ 50 % des patients avaient plus de 65 ans. 27 % des patients ont finalement été greffés. La population est donc très hétérogène en termes d'âge mais également de traitements reçus. Par ailleurs, dans cette étude, la SSP des 2 bras est mauvaise ; à titre de comparaison, la médiane de SSP du bras Rd de MAIA est de 31,9 mois alors que seuls des patients non éligibles à l'autogreffe ont été inclus. Enfin, l'exclusion des patients à haut risque cytogénétique interroge, car le carfilzomib a démontré à plusieurs reprises son intérêt dans cette population. Les résultats auraient pu être différents chez les patients à haut risque.

Quoi qu'il en soit, les résultats d'ENDURANCE ne plaident pas en faveur du remplacement du VRd par le KRd en induction chez les patients non éligibles à la greffe. Le VRd reste pour le moment un standard de traitement de première ligne chez les patients non éligibles. Par ailleurs, comme écrit plus haut, à court terme, le standard de traitement va être l'association daratumumab + lénalidomide + dexaméthasone, et il faudra davantage s'interroger sur l'intérêt de l'ajout du bortézomib à cette association que sur la pertinence du KRd en première ligne.

Pour les patients éligibles à la greffe, les résultats d'ENDURANCE ne remettent pas en cause l'intérêt du KRd en induction préautogreffe. Pour mémoire, l'étude FORTE, présentée à l'ASH en 2018 [5], avait montré que le KRd permettait d'obtenir des taux de réponse et de MRD négative très importants en induction. Par ailleurs, comme discuté plus haut, les associations anti-CD38 + KRd semblent très efficaces en induction, y compris chez les patients à haut risque.■

AVIS D'EXPERT

Les résultats de TOURMALINE-MM4 sont positifs, mais ne vont pas induire de changement dans nos pratiques. En attendant le remboursement de l'association daratumumab + lénalidomide + dexaméthasone, il paraît plus logique de proposer à nos patients âgés un traitement par lénalidomide + dexaméthasone avec ajout éventuel du bortézomib chez les patients les plus en forme (fit) ou ayant une maladie agressive, des facteurs de mauvais pronostic cytogénétique.

L'étude ENDURANCE posait une bonne question. Malgré l'inclusion d'un grand nombre de patients, ses nombreux biais font que les résultats ne nous apportent que peu d'informations et, en tout cas, ne remettent pas en cause nos pratiques. Dans l'attente du remboursement des associations à base d'anti-CD38 en première ligne, les standards de traitement restent le lénalidomide + dexaméthasone et, éventuellement, le VRd.

FIGURES

Première ligne : patients non éligibles à l’autogreffe - Figure 1
Première ligne : patients non éligibles à l’autogreffe - Figure 2

Références

1. Benboubker L et al. Lenalidomide and dexamethasone in transplant-ineligible patients with myeloma. N Engl J Med 2014;371(10):906-17.

2. Mateos MV et al. Daratumumab plus bortezomib, melphalan, and prednisone for untreated myeloma. N Engl J Med 2018;378(6):518-28.

3. Facon T et al. Daratumumab plus lenalidomide and dexamethasone for untreated myeloma. N Engl J Med 2019;380(22):2104-15.

4. Larocca A et al. Efficacy and feasibility of dose/schedule-adjusted Rd-R Vs. Continuous Rd in elderly and intermediate-fit newly diagnosed multiple myeloma (NDMM) patients: RV-MM-PI-0752 phase III randomized study. Blood 2018;132 (Supplement 1):305. https://doi.org/10.1182/blood-2018-99-111796

5. Gay F et al. Carfilzomib-lenalidomide-dexamethasone (KRd) induction-autologous transplant (ASCT)-Krd consolidation Vs KRd 12 cycles vs carfilzomib-cyclophosphamide-dexamethasone (KCd) induction-ASCT-KCd consolidation: analysis of the randomized forte trial in newly diagnosed multiple myeloma (NDMM). Blood 2018;132(Supplement 1):121. https://doi.org/10.1182/blood-2018-99-112093


Liens d'intérêt

Olivier Decaux déclare avoir des liens d’intérêts avec Janssen, Celgene, Amgen, Takeda, GSK, AbbVie, Novartis, Roche, The binding site, Siemens et Sebia.