• Avec le soutien institutionnel de
    Viiv Heathcare

« Rien pour nous sans nous »


Difficile à l’heure où s’écrit cet édito N°1 du e-journal – en plein océan Atlantique à des milliers de miles de Paris, confort mais loin de nos bases1 et en route pour un transit obligé à Minneapolis - de discerner ce qui sortira de la grand-messe US 2024 sur le VIH. Événement qui a suivi l’évolution des institutions, sociétés savantes et programmes de politiques publiques vers une globalisation – celle de la santé sexuelle et des infections émergentes, du monkeypox au Covid-19 en passant par les résistances bactériennes des IST – très présente à cette CROI de Denver (Colorado), au risque de perdre le fil de la lutte contre le sida. Cette nouvelle édition du-e-journal se construit une fois de plus sous la houlette bienveillante de la Lettre de l’Infectiologue (Edimark) et le soutien institutionnel, sans faille et en toute liberté éditoriale de ViiV Healthcare. Avec une reprise des principaux articles sur www.vih.org, en collaboration avec l’ANRS-MIE. L’occasion de mesurer déjà le vieillissement moins des acteurs (lien d’intérêt explicite de l’auteur) que des concepts : cure or not cure ? Vaccination : pourquoi si facile avec le Covid et pas avec le VIH ? 95-95-95, l’inaccessible étoile? La PrEP, une chance ou élément favorisant pour les IST ?...  Cette 31e CROI, et probablement la 20e édition du e-journal, distillera, avec une fine équipe soudée à la limite du fusionnel 3, le meilleur direct de la CROI. On se sait attendus, car désormais l’information se fait en temps réel tant il n’est pas certain que les médias traditionnels – en dehors du énième cas d’éradication artificielle avec un nom de ville, Berlin, Londres, Düsseldorf… – trouveront le moindre espace dédié à la lutte contre le sida et autres IST. L’actualité court-termiste occupe le devant de la scène, laissant peu de place pour le premier sujet de préoccupation des Français : la santé. Il en est ainsi. Et il sera intéressant de voir comment la politique américaine apparaît dans la très politique et policée conférence de la CROI où généralement rien ne dépasse du “fine”. Que ce soit le recul sur le droit à l’avortement, la nouvelle vague de la crise des opioïdes qui défie l’Amérique (#595,#995,#997,#1007), la crise migratoire qui affecte notablement Denver et le Colorado, le développement de la Prep bridée par un Obamacare réduit en son temps par l’administration Trump…

Soulignons ici ce paradoxe de la ville hôte de la CROI : avec 710 000 habitants, la capitale du Colorado est la ville américaine qui a absorbé le plus grand nombre de migrants, proportionnellement à sa population : plus de 38 500 en un peu plus d’un an. Les premiers bus sont arrivés du Texas en mai 2023, affrétés par un gouverneur républicain pressé de reporter le fardeau des migrants sur une ville démocrate. En décembre, la municipalité comptait 144 charters en provenance du Texas à 10 h de route seulement d’El Paso.  Denver est devenue l’épicentre de ce que les républicains, qui accusent Joe Biden d’être partisan des “frontières ouvertes”, appellent la “crise à la frontière”. En 1 an, Denver a dépensé 42 millions de dollars en hébergements et en services aux migrants. L’hôpital public a soigné 9 000 non-assurés avec un déficit de 180 millions de dollars, soit 10 % de son budget. Paradoxe dans le paradoxe : Denver est débordée, mais la population fait front de générosité et d’accueil. Nombre d’habitants estiment en effet de leur responsabilité d’aider ceux qu’ils préfèrent appeler les “nouveaux arrivants”.4

Denver ? Nous y sommes venus de mémoire de Croiste en 2006 (figure 1). Une seule fois. Peu de souvenirs. Mais Denver est pourtant inscrite en lettres d’or dans l’histoire de la lutte contre le sida, dont les 40 ans ont été commémorés l’an passé.



C’est en 1983 lors d’une conférence sur le sida à Denver, des malades du sida, activistes en devenir, firent irruption sur la scène des plénières pour protester contre le discours déshumanisant répandu dans le monde médical (figure 2 et 2 bis). Leur cri de ralliement : “Puisque vous ne pouvez rien faire pour nos vies, écoutez au moins ce que nous avons à en dire !”. C’est à Denver que s’écrira donc le principe du même nom avec la célèbre assertion :  “rien pour nous sans nous”. Qui constituera une des premières pierres de l’activisme sida mais aussi de ce qui, plus tard, allait devenir la “démocratie sanitaire”. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler ici quelques un des principes de Denver :

  • Soutenez-nous dans notre lutte contre ceux qui voudraient nous licencier, nous expulser de nos maisons, refuser de nous toucher ou nous séparer de nos proches, de notre communauté ou de nos pairs, car les preuves disponibles ne soutiennent pas l'idée que le SIDA peut être transmis par des contacts sociaux occasionnels”.
  • “Ne pas faire des personnes atteintes du sida des boucs émissaires, nous rendre responsables de l'épidémie ou généraliser nos modes de vie”.

‍Et pour les PVVIH :

  1. Avoir une vie sexuelle et affective aussi complète et satisfaisante que n'importe qui d'autre.
  1. Un traitement médical et une prestation de services sociaux de qualité sans discrimination d'aucune sorte, y compris l'orientation sexuelle, le sexe, le diagnostic, le statut économique ou la race.
  1. Le droit de recevoir des explications complètes sur toutes les procédures médicales et leurs risques, de choisir ou de refuser leurs modalités de traitement, de refuser de participer à des recherches sans mettre en péril leur traitement et de prendre des décisions éclairées sur leur vie.
  1. Le droit à la vie privée, à la confidentialité des dossiers médicaux, au respect de la personne et le droit de choisir qui sont leurs proches.
  1. Mourir – et VIVRE − dans la dignité.

Une CROI c’est avant tout un programme et des chiffres : 1 902 abstracts soumis en incluant les 220 late breaking pour un taux de sélection qui se maintient dans l’apreté : 56 % (1 067/1 902). Les places sont chères et un peu de Français ont leur photo sur le podium du  programme cette année : Jean-Michel Molina, désormais seul Français du scientific program committee etprésentateur d’une communication orale (#124) sur les résultats finaux et rectifiés de l’essai ANRS 174 Doxyvac (en tout lien d’intérêt), Bruno Spire (#IS 10) sur les promesses et les loupés de la prévention biomédicale du VIH, Fabien Zoulim  (# 32) autour des nouveaux biomarqueurs de l’hépatite B comme  outils de stratégies thérapeutiques innovantes sur la route du “cure”, et Béatrice Bercot pour une lecture attendue de la résistance microbienne associée à la prophylaxie postexposition (PeP) des IST par doxcycline. Sans oublier les modérateurs : Karine Lacombe (S08), sur les hépatites et la tuberculose et Franck Boccara (IS09) sur la prévention cardiovasculaire. Un binôme placé donc sous l’aile protectrice de Saint-Antoine. Nous y reviendrons. Pour le reste, les Français(es) seront en poster, ce qui n’est pas déshonorant. Pour ce qui est des thématiques phares et des populations cibles (figure 3) on notera l’excellente résilience du SARS-Cov-2 (193 abstracts acceptés) qui relègue l’ex-variole du singe (Mpox) au rang de figurante. En dépit de l’épidémie qui sévit actuellement en République démocratique du Congo (RDC) avec un changement de paradigme qui questionne la science, passant d’une transmission zoonotique à celle d’une IST5 dont la prévention est une urgence planétaire.

Au registre des curiosités, on notera une session (#38) sur la problématique des personnes déplacées avec 2 communications ukrainiennes annoncées et qui sera en miroir d’un poster en late breaker (# 1069) sur les clusters polonais (VIH1 A6) entremêlant réfugiés ukrainiens de la guerre et HSH. Mais aussi l’absence de l’item “chemsex” dans le moteur de recherche. 

Mais pas de CROI sans message d’espoir initial. Dès demain, il y aura une pluie de nouveaux antirétroviraux avec ou sans anticorps monoclonaux (MK 8527, GS 1720, VHS 810109, SAR 441236, etc.). Et puis comment ne pas saluer déjà l’explosion dans le programme de la PeP des IST, notamment avec doxycycline − a fortiori avec une session consacrée au “retour de la syphilis” − où la renaissance de la recherche vaccinale avec ce titre comme totem : “The HIV vaccine : don’t stop believing”.  Ce n’est pas un take-home message mais la sentence constitue une lueur d’espoir utile pour aborder cette CROI 2024. À l’heure où certaines modélisations éloignent un peu plus l’objectif du 95-95-95, à l’instar des travaux britanniques tendant à démontrer que l’objectif proche de l’éradication, soit 50 nouvelles infections chez les HSH en 2030 n’a aucune chance d’être atteint6-7. Des voies, audacieuses ou utopiques, pour mettre fin au sida, il sera aussi question à Denver.

Gilles Pialoux

Figure 1 : la CROI en carte jusqu’en 2023

Figure 2  et 2 bis : Denver 1983

Figure 3 : nombre d’abstracts sur les infections émergentes et les populations clés


Références

  1. .Je m’étais promis de ne pas parler, cette fois, des vins in bord de peurd’être stigmatisé, mais comment passer sous silence le Macon-Lugny “Les charmes” d'Albert Bichot (2022) de Delta Airlines, une merveille de gras un peu beurré avec une belle longueur en bouche dans le chardonnay, combat perdu d’avance pour les Chardonnay californiens des bars d’hôtel dont le temps pour atteindre la saturation des papilles est exactement celui de la CROI : 4 jours.
  2. © Jacques Brel.
  3. Le Pr Laurence Morand-Joubert à la virologie, le Pr Valérie Pourcher à la clinique, le Dr Jean-Philippe Madiou à la console, au tableau Excel, à la rédaction et en Tour Leader, Thierry Leveau à la technique et au flegme, et votre éditorialiste à la baguette. Preuve s’il en est du groupe fusionnel, l’auteur de ces lignes a attendu plus d’une heure pour s’enregistrer après ses partenaires, nécessitant pas moins de 3 intervenants dans 4 langues le désenregistrement des autres membres du groupe un temps sans siège pour finalement embarquer. Seule séquelle : l’obtention d’une carte d’embarquement “seat request” pour le trajet Minneapolis-Denver, entre voyage debout et genoux du stewart/hotesse ? Du jamais vu de mémoire de Platinum (J-Ph. Madiou) ;
  4. Lire le reportage de Corine Lesnessur Lemonde.fr
  5. Se reporter à l’excellent article de Martine Peeters et Eric Delaporte sur vih.org (https://vih.org/20240228/mpox-en-republique-democratique-du-congo-dune-maladie-tropicale-negligeable-a-une-menace-epidemique-generalisee/).
  6. Cambiano V. et al. Lancet HIV. 2023;10(11):e713-e722.
  7. Sullivan AK et al. Lancet HIV. 2023;10(12):e790-e806.

Découvrez nos publications