C’est quoi le “monde réel” ?
Le décalage horaire (−8 heures d’été) pousse à la réflexion voire à l’introspection. Par exemple à 4 h du matin quand vous vous retrouvez plein phare dans votre chambre d’hôtel alors que votre collègue de rédaction est de l’autre côté de la cloison bridant tout velléité d’allumer la télé. Pour y suivre par exemple l’interview exclusive qu’a donné durant la CROI l’actuel ministre de la Santé de Trump, Robert F Kennedy Jr à la plus conservatrice des chaînes américaines, Foxnews. Sans un mot sur le VIH. Rappelons ici quelles casseroles trainent cet avocat devenu ministre de Trump II, en rupture avec son illustre famille, ne serait-ce qu’au regard de qui nous occupe ici. Antivax notoire avant et durant la crise sanitaire du Covid, pourvoyant la fake news selon laquelle il y aurait un lien de cause à effet entre la vaccination contre la rougeole et l’autisme. Mais aussi un des rares négationnistes du sida ayant encore une audience aussi importante aux États-Unis. Obsédé par Bill Gates, Anthony Fauci et Big Pharma, contre lesquels il écrit un livre, RFK Jr fait souvent référence à “l’orthodoxie” selon lequel le VIH serait à lui-seul la cause du sida. Tout en répétant que, thème classique des négationnistes : “personne n’a été en mesure de citer une étude qui démontre leurs hypothèses en utilisant des preuves scientifiques”1. Mais mes pensées nocturnes furent tout autre. Devant les menaces et le démantèlement d’une partie de la recherche contre le sida aux Etats-Unis (voir notre édito de J0) au-delà de la peu efficace dénonciation n’est-ce pas à l’Europe à s’organiser autrement ? Comme elle le fait dans son soutien revisité à l’Ukraine. En France notamment où des voix s’élèvent pour dénoncer les menaces de baisser les budgets de la recherche dans ce contexte, à l’instar de la directrice générale de l'Institut Pasteur, Yasmine Belkaid : "Il y a 0,3 % d’investissement en France pour la recherche fondamentale, contre 1 % en Allemagne”2. L’Europe ne va-t-elle pas devoir faire de la recherche autrement, collaborer avec les pays émergents différemment, ouvrir d’autres espaces afin de palier le désengagement des États-Unis ? C’était mon questionnement nocturne.
La CROI est aussi l’occasion de consulter les données de “vraie vie” rebaptisées “dans le monde réel”, sait-on pourquoi ? S’agissant par exemple des antirétroviraux injectables sur lesquels s’était refermée la CROI 2024 c’est assez copieux. La database OPERA qui est une base de données longitudinale et anonyme de soins de santé touchant 260 clinics aux États-Unis dans 23 états et représentant 14 % des PVVIH sur le territoire américain en est une bonne source. Sur 2 858 patients sous cabotégravir + rilpivrine (CAB/RPV) LA ayant reçu au moins une paire d’injections 30 % ont eu au moins 1 injection retardée et 12 % ont « oublié » des injections (# 674 – voir notre édition de demain). Parmi les facteurs identifiés on retrouve dans 68 % des cas un problème d’assurance privée, habitus nord-américain. Sans effet réel sur l’efficacité globale puisque 95 % des patients avait une charge virale < 50 copies/mL. Le “monde réel” permet aussi de tester l’impact du non-respect des RCP de cette bithérapie. Dans une cohorte américaine TRIO (# 675) de 1 198 patients sous CAB/RPV 2 % présentaient des mutations de résistance aux INI et 19 % à au moins 1 INNRTI avec une efficacité globale (CV < 50) de 95 %. Ce qui va dans le même sens que l’étude CARES dont les résultats à S 96 seront présentés à San Francisco ce mercredi (non infériorité confirmée par rapport au traitement oral en Afrique ; 247/255 (96,9 %) versus 250/257 (97,3 %) avec à l’inclusion : 8 % de mutations de résistance RPV archivées [sans mutations APOBEC], 57 % de sous-type viral A1 et 21 % d’IMC de base ≥ 30kg/m2 éléments contre-indiquant théoriquement CAB/RPV. Signant une grande efficacité au-delà des conventions.
Parmi les autres bonnes nouvelles du jour il faut chercher du côté des nouveautés (Session #07), et il en faut. À l’image de l’association lénacapavir/téropavimab/zinlirvimab (LEN + TAB + ZAB) tous les 6 mois passée en phase II (#151) et qui soutient la comparaison avec un traitement oral ce qui en fait le premier traitement combiné semestriel. Ou le proof of concept de deux nouvelles molécules, le VH4524184 (VH-184), nouvel inhibiteur d'intégrase de troisième génération ou le VH4011499 (VH-499) nouvel inhibiteur de capside (# 152 et # 153) ainsi qu’une nouvelle formulation du lénacapavir injectable annuellement (# 154). Cela pousse donc vers le toujours plus long acting.






