“Nous trouvons de tout dans notre mémoire. Elle est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met la main tantôt sur une drogue apaisante, tantôt sur un poison dangereux.”
Marcel Proust
Seattle, 19-22 février 2023
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“Nous trouvons de tout dans notre mémoire. Elle est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met la main tantôt sur une drogue apaisante, tantôt sur un poison dangereux.”
Marcel Proust
Tout retour de CROI – en présentiel s’entend – impose cette interrogation multifacettes : que retenir de cette CROI 2023 après 3 années de disette en zoom, que rapporter qui puisse avoir un intérêt pour notre pratique clinique, pour les recherches ou les staffs, quels souvenirs seront imprimés en nous ? D’abord, le contexte : le VIH est toujours là 40 ans après la découverte du virus, les objectifs OMS ont pris du retard, les VIHologues, pour beaucoup, ont vieilli, mais l’Amérique de Biden est encore plus tolérante avec ses vieux ; d’autres virus occupent l’espace, du monkeypox au SARS-CoV-2, sans qu’on sache si l'on a bien tiré les leçons de la pandémie sida... Et puis, il y a les chiffres de fréquentation : 3 499 personnes inscrites, c’est moins qu’avant le Covid, mais Seattle n’est pas la ville la plus attractive des États-Unis : avec son centre-ville qui se vide, on dirait parfois un dowtown fantôme. Macy's, Abercrombie & Fitch ou Banana Republic sont fermés, ou déplacés. Et l’on a vu beaucoup de désespérance chez certain(e)s congressistes. Parmi ces 3 500 “croiyens”, 2 947 le sont in person et 552 en virtuel, 72 pays sont représentés, 40 % des inscrits viennent de l’extérieur des États-Unis, et 959 y venaient pour la première fois. Peu de Français présents, c’est une évidence, moins de 50 à vue de congressiste. Peu de communications ou de posters français en miroir de cette absence, si l’on excepte les études de l’ANRS-MIE (3 communications orales, avec DoxyVAC X 2 et Promise, et 20 posters) sans parler de l’omniprésence classieuse* de Jean-Michel Molina.
Retiendra-t-on l’omniprésence de la recherche en santé sexuelle, de la PrEP futuriste à la PEP antibiotiques des IST, du microbiote aux diffuseurs d’antirétroviraux long acting qui sortent un peu plus les maladies vénériennes de la naphtaline ? Mais aussi les variations dans le violet capillaire de Chloé Orkin (Queen Mary University of London) dans sa très élégante présentation des infections monkeypox chez 382 PVVIH et immunodéprimées, dont 2 formes disséminées (#173) ? Inévitablement, la CROI s’est ouverte aux pathologies émergentes : après le VHC, ce fut au tour du monkeypox et du SARS-CoV-2. Retiendrai-je pour ma part le nombre de fois où des collègues bien attentionnés m’ont demandé quand je prenais ma retraite** (n = 4, dont 2 en conflit d’intérêts sur le sujet) ? Ou bien la session iconoclaste sur la recherche vaccinale anti-VIH de mardi avec 10 minutes pour expliquer que l’énorme essai de phase III HVTN 706/ HPX3002/Mosaico est un échec total (combien de millions de dollars engloutis ?) et qu’avec Lawrence Corey (Seattle) on comprend que toute cette recherche est repartie à zéro, notamment dans le sillage de la réussite des vaccins ARN anti-Covid ?
L’état de la ville est une interrogation de plus. Une ville où l’on construit partout, autour du palais des congrès flambant neuf, alors que Seattle traverse une crise du logement sans précédent (dans les 10 dernières années, la valeur médiane d’une maison y a bondi de 80 %, alors que le revenu médian de ses habitants n’a augmenté que de 55 %) et qu’il n’y a jamais eu autant de personnes qui dorment dans la rue ou dans les parcs de la ville. Cette paupérisation influence l’épidémiologie du VIH dans la ville, avec une augmentation d’incidence chez les sans-abri, les usagers de drogues et principalement les femmes en situation de vulnérabilité. L’effet post-Covid se fait sentir sur l’économie locale avec les GAFAM (Amazon, Microsoft, etc.) qui ont leur siège dans la ville émeraude et qui, après avoir embauché à tour de bras durant la crise sanitaire (954 000 personnes en 2021), licencient massivement ?
Retiendra-t-on que pendant que les congressistes tentaient de percevoir comment atteindre un jour les objectifs OMS du 95-95-95 en matière de lutte contre le VIH, compte tenu du retard pris dans le déploiement des nouveaux outils de prévention, principalement chez les non-HSH, et de l’effet péjoratif de la crise sanitaire Covid, l’information en France était ailleurs ? On y discutait de l’avis récent de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la fin de la vaccination obligatoire des soignants contre le Covid et de la très politique réintégration des soignants non vaccinés (moins de 0,3 % des 1,2 million d’agents). Sans compter le bruit fait autour du patient guéri de Düsseldorf, ou la science pour la science (voir notre première édition).
Mais de ce Covid en CROI 2023, retiendra-t-on l’étude assez rare de Rebecca Fielding-Miller (université de San Diego, #210) dont devraient s’inspirer bien des décideurs politiques ? L’étude de la corrélation entre le port du masque à l’école et la circulation du SARS-CoV-2 dans les eaux usées à San Diego (CA) a démontré que la probabilité d’un prélèvement positif au SARS-CoV-2 des eaux usées diminuait de moitié (ORa : 0,49 ; IC95 : 0,27-0,90) pour chaque augmentation de 10 % du port du masque (parents, enseignants et enfants). Au passage, le chairman de la CROI, Robert T. Scholley, en session d’ouverture nous avait vanté l’arrivée des “sciences sociales et cognitives” à a CROI***. Ce n’est pas évident en épluchant le programme. Peut-être l'année prochaine à Denver ?
On retiendra à l’évidence la poussée de CBG/RPV en thérapeutique et en préventif, avec aussi les interrogations sur l’avènement d’un nouveau syndrome de LEVI ; celle du lénacapavir avec ou sans anticorps neutralisants à large spectre, molécule prometteuse qui cherche partenaire particulier. Comme dans la chanson.
Enfin, comment ne pas retenir cette dernière session, et première du genre à la CROI, sur “la communication scientifique à l’heure de désinformation” (S09) ? Avec 3 communications de haut vol dans le sillage de l’explosion des fake news durant la crise Covid. Rappelons ici, en léger décalage, un sondage Ifop-Reboot-Fondation Jean-Jaurès d’octobre 2022, qui révélait que 17 % des 18-24 ans considèrent que “la science apporte plus de mal que de bien” – il étaient seulement 6 % en 1972 – et 41 % “autant de bien que de mal”… Plus encore, 17 % de cette génération Z pense “qu’il est possible que la Terre soit plate” et 27 % que “les êtres humains ne sont pas le fruit d’une longue évolution”. Parmi les facteurs de risque de scepticisme authentifiés figurent le temps passé sur des microblogging comme Twitter ou autres réseaux sociaux (TikTok, Telegram) ; si, modestement, cet e-journal drivé par La Lettre de l’Infectiologue, avec le soutien institutionnel de ViiV Healthcare, peut avoir contribué un tant soit peu à une information de qualité, c’est déjà un début de satisfaction.
Gilles Pialoux
*Néologisme attribué à Serge Gainsbourg, formé sur l'adjectif "classe", auquel s'ajoute le suffixe "-ieux", qui peut évoquer l'adjectif "précieux".
** pas maintenant !
*** “Je savais déjà que la question du sida ne pouvait pas être plus longtemps confinée comme question médicale”, Daniel Defert (1937-2023), le 29 septembre 1984 ; lettre constitutive de la création de l’association AIDES.
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