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Éditorial

Bis repetita…


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Le 19 octobre 2016, la commission de transparence de la HAS donnait un avis favorable au déremboursement des traitements symptomatiques contre la maladie d’Alzheimer, estimant qu’ils n’avaient plus leur place dans la stratégie thérapeutique de cette maladie, en raison notamment de “l’absence d’argument en faveur d’une pertinence clinique des effets versus placebo (dans les études disponibles), du risque avéré d’effets indésirables et d’interactions médicamenteuses chez des patients âgés et souvent polymédiqués”. Le service médical rendu (SMR) fut jugé insuffisant par la HAS, qui s’interrogeait sur la transposabilité des résultats des essais cliniques “dans la mesure où les traitements n’ont été évalués que dans le cadre d’essais cliniques incluant des patients qui sont en partie différents de ceux rencontrés en conditions réelles d’utilisation (en termes d’âge, de comorbidités, de traitements associés), dont la durée de traitement était limitée le plus souvent à 6 mois”. L’agence considérait que “les données sur les critères de santé publique, tels que le retard à l’entrée en institution, le passage à un stade de sévérité ultérieur, le poids sur les aidants ou la mortalité, [restaient] insuffisantes pour conclure à un impact favorable” et que ces spécialités “pourraient avoir, du fait de leurs effets indésirables, un impact négatif sur la santé publique”. La HAS indiquait que la stratégie thérapeutique pour prendre en charge les patients et améliorer leur qualité de vie devait se fonder principalement sur des interventions non médicamenteuses. Cette position, selon laquelle le déremboursement de ces médicaments devait conduire à un impact positif sur la santé publique ne manqua pas de susciter un certain étonnement dans les autres pays, comme l’illustra l’éditorial signé par des distingués spécialistes anglais de santé publique [1] lesquels recommandèrent pour le Royaume-Uni une approche pragmatique : “To ‘watch and wait’ to see whether the hoped for benefits are realised in France.” Nos collègues britanniques ont dû être déçus, car sauf erreur de ma part, aucune étude de santé publique n’a démontré… pardon, je me reprends : aucune étude de santé publique n’a été menée dans notre beau pays pour confirmer cet impact positif attendu du déremboursement annoncé avec une belle assurance par les autorités sanitaires de l’époque, déremboursement que d’ailleurs très peu d’autres pays ont mis en œuvre malgré la prophétie française !

Le 22 octobre 2025, la HAS a conclu que le SMR du lécanémab était insuffisant pour justifier d’une prise en charge par la solidarité nationale, précisant en outre que cette spécialité n’était pas susceptible d’avoir un impact supplémentaire sur la santé publique [2]. Cet avis défavorable à l’implémentation en France du premier anticorps antiamyloïde dont l’étude pivot internationale s’est révélée positive et qui bénéficie d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne restreinte aux patients atteints d’Alzheimer à un stade léger et non porteur d’une homozygotie E4, a suscité beaucoup d’interrogations, comme en témoigne la tribune précise et détaillée de Fabric  Gzil et de Nicolas Villain (p. 42). Quand on élargit le focus, et même si comparaison n’est pas raison, on ne peut qu’être frappé par la similitude de certaines des critiques exposées dans l’avis d’octobre 2025 avec celles d’octobre 2016 :

  • des “limites méthodologiques” soulevant un questionnement de l’agence sur la “transposabilité” de ces résultats à la population des malades français, cette dernière regrettant notamment l’exclusion des essais des “patients âgés de plus de 90 ans, pour une maladie dont l’âge moyen des patients atteints en France selon l’ALD est autour de 85 ans” selon la HAS ;
  • “une quantité d’effets modestes considérée comme non cliniquement pertinente”, tant pour le critère principal (l’échelle CDR-SB) que pour les critères secondaires ;
  • une durée d’étude de l’efficacité limitée à seulement 18 mois générant “des incertitudes sur l’efficacité à long terme” ;
  • “des risques importants d’événements indésirables identifiés associés [...] imposant des mesures de précautions strictes” susceptibles de conduire à “une modification radicale du parcours de soins et des problèmes dans l’organisation des soins” ;
  • “l’absence d’impact supplémentaire démontré sur la morbimortalité (retard à l’entrée en institution, passage à un stade de sévérité ultérieur et mortalité)” et “l’absence de démonstration d’un impact supplémentaire sur la qualité de vie” ;
  • l’affirmation selon laquelle, quoiqu’aucune des interventions non médicamenteuses disponibles utilisées dans la prise en charge “globale” de la maladie d’Alzheimer n’eût apporté clairement la preuve de leur efficacité, celles-ci restent recommandées et en constituent le fondement du traitement.

Ainsi, en presque 10 années, il semble que les évolutions des connaissances sur cette entité complexe qu’on continuer d’appeler maladie d’Alzheimer n’aient guère modifié la façon dont elle est perçue dans notre pays. Ne rien changer dans la manière dont notre ­communauté médicale aborde la lutte contre cette pathologie est somme toute assez confortable pour celle-ci, et rester campé sur une approche fondée exclusivement sur le “care” nous protège nous, les soignants, des efforts et des incertitudes d’un engagement innovant dans le “curare”. Ce qui transpire malheureusement de cet avis, c’est une perception malheureusement confuse de la maladie et le sentiment que nous vivons un quiproquo : d’un côté un essai clinique positif, ayant conduit à une AMM “restrictive” par prudence en Europe, portant sur des patients en début d’évolution symptomatique d’une maladie requérant une preuve biologique d’amyloïdopathie cérébrale, indemnes de lésions vasculaires significatives, très motivés pour tenter de retarder à moyen et à long terme leur entrée en dépendance, et qui ne seraient pas légion à accepter de s’astreindre à des perfusions périodiques pendant des mois et à une surveillance rapprochée ; de l’autre, la référence plus ou moins consciente à de très nombreux malades à des stades de démence avancée, qui sont déjà entrés dans cette dépendance depuis des années, souvent porteurs de cofacteurs de déclin cognitif et comportemental dont la fréquence augmente avec le vieillissement, et dont le plus souvent la prise en charge – seulement symptomatique, qui ne requiert pas de preuve biologique de protéinopathie cérébrale – repose sur une approche médicosociale. Pourtant, comme pour les autres maladies, il nous faut concilier ces 2 facettes, ne pas les opposer, car cela serait contraire à l’évolution des concepts et des pratiques reconnue partout dans le monde et même défendue dans notre propre pays par les différents plans et autres stratégies sur les maladies neurodégénératives. Pour ne pas écarter les patients paucisymptomatiques éligibles à ce type de traitement qui feraient le choix de s’engager dans un combat précoce contre la maladie qui les frappe – combat dont l’issue est certes modeste mais en l’état de la pratique médicale “pertinente” pour leur devenir –, il nous faut, très vite, sortir de ce malentendu.

Références

1. Walsh S et al. France removes state funding for dementia drug. BMJ 2019;367:l6930.

2. Haute Autorité de santé. LEQEMBI (lécanémab) – Maladie d’Alzheimer. Avis sur les Médicaments, novembre 2025. https://www.has-sante.fr/ jcms/p_3702487/fr/leqembi-lecanemab- maladie-d-alzheimer


Liens d'intérêt

M. Ceccaldi déclare avoir des liens d’intérêts avec Eisai, Lilly, Novo Nordisk, GE HealthCare, Biogen et Roche (consultances épisodiques).

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