Au cours de ces 20 dernières années, on a vu augmenter de manière drastique la prévalence de l'obésité, avec, en 2016, 17 % de la population française répondant à la définition de l'obésité, soit un IMC ≥ 30 kg/m2.
Les rapports entre le tissu adipeux et le tissu osseux sont complexes. Une méta-analyse de 2005 a montré que l'augmentation de 1 point d'IMC au-delà de 25 kg/ m2 (surpoids) constituait un facteur prévenant la survenue d'une fracture ostéoporotique [1]. Cependant, le lien entre l'augmentation de l'IMC et la protection antifracturaire n'est pas linéaire et, à partir du seuil de l'obésité, il n'y a plus d'effet protecteur. Cet effet est la conséquence d'une augmentation de la densité minérale osseuse (DMO), qui constitue dès lors un phénomène adaptatif à l'augmentation de l'IMC. Ainsi, la relation positive entre l'augmentation de l'IMC et la protection antifracturaire disparaît après l'ajustement pour la DMO [1]. Par ailleurs, les données montrent que l'obésité ne protège pas de l'ensemble des fractures. Ainsi, au travers de la cohorte GLOW [2], J.E. Compston et al. ont démontré que les sujets obèses avaient un taux de fractures prévalentes et incidentes de cheville et de l'extrémité inférieure du tibia plus important que les sujets non obèses, mais un taux plus faible de fractures du poignet et de la hanche. Un travail mené à partir de la base de données de Catalogne [3] a montré que les femmes obèses, comparées à celles avec un IMC < 25 kg/m2, avaient une augmentation de l'incidence des fractures de l'extrémité supérieure de l'humérus. Ces données ont également été confirmées par la cohorte Million Women Study [4]. Les 2 fractures les plus emblématiques de l'ostéoporose, les fractures vertébrales et les fractures de hanche, se caractérisent dans la plupart des études par une incidence et une prévalence plus faibles chez les sujets obèses que chez ceux de poids normal. Cela a notamment été constaté dans la cohorte de Catalogne précédemment mentionnée [3]. Cependant, les données ne concordent pas toutes, et un travail finlandais récent [5] a montré que la probabilité de survenue d'une fracture de hanche était plus importante chez les femmes les plus jeunes (entre 58 et 70 ans) en cas d'obésité comparativement à un poids normal. En revanche, au-delà de 70 ans, on retrouvait la notion d'un effet protecteur de l'obésité vis-à-vis de la probabilité de survenue d'une fracture de hanche.
Les études de cohortes ont montré un effet protecteur de l'obésité concernant la survenue de fractures vertébrales, tant chez les femmes que chez les hommes [3]. Cependant, une étude transversale publiée en 2012 [6] a montré une plus grande prévalence des déformations vertébrales chez les femmes pour un IMC > 35 kg/ m2. Cela n'a pas été observé chez les hommes. Un travail plus récent issu de UK Biobank n'a pas retrouvé de relation entre l'IMC et la présence d'une fracture vertébrale [7]. Signalons toutefois que le diagnostic de fracture vertébrale reposait sur un questionnaire adressé aux patients et non sur des éléments iconographiques.
Quelques travaux sont disponibles concernant l'intérêt de la mesure de la DMO chez les patients obèses [8]. Globalement, elle paraît utile chez ces sujets pour évaluer le risque de fracture de fragilité. En d'autres termes, la DMO d'un sujet obèse ayant une fracture ostéoporotique est plus basse que celle d'un sujet obèse n'en ayant pas. Des facteurs d'ordre technique sont cependant à prendre en considération, à savoir la capacité de résistance de la table d'examen, qui n'est pas garantie au-delà de 160 kg. Le positionnement du pannicule adipeux n'est par ailleurs pas toujours aisé lors des mesures réalisées au niveau de la hanche.
Les explications quant à la survenue élective de certaines fractures chez les sujets obèses sont multiples. Certaines sont la conséquence d'éléments d'ordre biomécanique. Ainsi, pour les fractures de l'extrémité supérieure de l'humérus, on conçoit que les forces exercées au sol chez un sujet obèse après une chute sur l'épaule soient beaucoup plus importantes que chez un sujet non obèse. Il faut également, pour cette fracture, prendre en considération la faiblesse du pannicule adipeux, y compris chez un sujet obèse, notamment en comparaison de ce qu'il en est au niveau de l'extrémité supérieure du fémur. Précisons également que le risque de chute est augmenté en cas d'obésité. Au-delà de ces éléments, d'autres explications peuvent certainement être avancées. Les sujets obèses sont plus souvent carencés en vitamine D du fait d'un stockage important de celle-ci dans le pannicule adipeux, fréquemment à l'origine d'une hyperparathyroïdie secondaire. La sécrétion en excès de certaines cytokines pro-inflammatoires qui caractérisent l'obésité pourrait aussi constituer une piste intéressante. Enfin, certaines adipokines dont la synthèse est perturbée en cas d'obésité (particulièrement la leptine et l'adiponectine) pourraient également jouer un rôle et permettre de comprendre l'effet protecteur de l'obésité sur les fractures ostéoporotiques (de la hanche notamment).■

