L'immunothérapie, nouveau standard thérapeutique en situation néoadjuvante : résultats de l'essai CheckMate 816
En situation de cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) résécable, l'adjonction d'une chimiothérapie périopératoire est un standard thérapeutique historique pour les tumeurs de plus de 4 cm ou s'associant à des adénopathies médiastinales ; le bénéfice en survie globale de la chimiothérapie dans ce contexte, adjuvant ou néoadjuvant, est toutefois modeste, avec une réduction du risque de décès comprise entre 7 et 17 % en fonction du stade tumoral, dans les méta-analyses des essais randomisés princeps. L'avantage de l'approche néoadjuvante est fondé sur le fait que tous les patients reçoivent le traitement systémique, quand moins de 70 % le reçoivent dans la stratégie adjuvante, sur la possibilité d'une meilleure sélection des patients pour la chirurgie, en évitant aux patients rapidement progresseurs (10 à 15 % des patients) la résection, ainsi que l'obtention d'une réponse tumorale et d'un downstaging, associés à un pronostic favorable.
L'immunothérapie, standard thérapeutique en situation de CBNPC métastatique, seule ou en association avec la chimiothérapie, a été évaluée dans le cadre de l'essai CheckMate 816, de phase III, randomisé, ayant inclus 358 patients atteints d'un CBNPC de stade IB à IIIA selon la 7e classification TNM, résécable (N. Girard et al., abstr. CT012). Les patients recevaient ainsi 3 cycles de chimiothérapie seule ou associée au nivolumab, inhibiteur du point de contrôle immunitaire PD-1. La résection était programmée dans les 6 semaines qui suivaient la dernière injection de chimiothérapie et d'immunothérapie. Le critère de jugement principal était à la fois la réponse pathologique complète et la survie sans événement, évalué par un comité indépendant. La survie globale était un des critères de jugement secondaires (figure 1).
Après un suivi médian de 31,6 mois, le taux de réponse pathologique complète était de 24 % avec l'association chimiothérapie et nivolumab, et de seulement 2 % avec la chimiothérapie seule. La survie sans événement était de 31,6 mois et de 20,8 mois, respectivement (HR = 0,63 ; IC97,38 : 0,43-0,91 ; p = 0,0052) (figure 2). Ce bénéfice était retrouvé dans les sous-groupes explorés, fondés sur le stade, l'expression de PD-L1 dans les cellules tumorales ou l'histologie tumorale.
Au moment de cette première analyse intermédiaire, il existait un bénéfice en survie globale en faveur de l'association chimiothérapie et immunothérapie, avec une réduction du risque de décès de 43 %, à la limite de la significativité statistique avec ce suivi limité (figure 3).
L'étude démontre enfin, pour la première fois en situation randomisée, le caractère prédictif de la réponse pathologique complète sur le pronostic des patients ; la réponse pathologique complète doit donc être considérée comme un marqueur précoce de survie à long terme.
Le profil de tolérance de l'association chimiothérapie et immunothérapie était attendu ; le taux de complications postopératoires était en outre inférieur avec l'immunothérapie.
Ces données modifient profondément la prise en charge des patients atteints d'un CBNPC opérable, avec la démonstration, pour la première fois, d'un bénéfice en survie globale avec l'immunothérapie péri-opératoire, dans une stratégie néoadjuvante qui doit aujourd'hui s'appliquer à tous les patients atteints de tumeurs de plus de 4 cm ou associées à un envahissement ganglionnaire. En effet, les essais d'immunothérapie adjuvante n'ont, à ce jour, pas démontré ce bénéfice, et leur autorisation de mise sur le marché (AMM) est restreinte aux patients avec une expression élevée de PD-L1. En pratique, l'accès à l'immunothérapie néoadjuvante, que l'on espère rapide compte tenu de l'amplitude du bénéfice démontré dans l'essai CheckMate 816, impose le traitement néoadjuvant avant toute chirurgie de CBNPC opérables, dans une stratégie qui nécessite une prise en charge multidisciplinaire dès le diagnostic.
L'efficacité à long terme des thérapies ciblées contre KRAS et ALK
Parmi les mutations de KRAS, la plus fréquente est la mutation G12C, identifiée chez 13 % des patients atteints d'un CBNPC, de type non épidermoïde. Les mutations de KRAS font partie des panels de séquençage utilisés en routine. Le changement de pratique clinique principal en 2021 a été la mise à disposition du premier inhibiteur de cette mutation, le sotorasib (AMG 510). Une des difficultés du ciblage de KRAS est liée au fait que, dans sa conformation inactive, KRAS fixe le guanosine diphosphate (GDP). À la suite de l'activation de récepteurs aux facteurs de croissance, le GDP fixé à la protéine KRAS est échangé pour du guanosine triphosphate (GTP), ce qui conduit à l'activation de KRAS qui peut alors à son tour activer diverses voies de signalisation intracellulaire. Le sotorasib est une molécule qui se lie de manière covalente et spécifique à la forme inactive de KRAS G12C et empêche son passage à sa forme active liée au GTP. Le sotorasib a été évalué dans l'essai de phase II CodeBreak 100. Cet essai a inclus 124 patients. Tous les patients avaient reçu au moins 1 ligne de traitement anticancéreux antérieur : 43 % des patients avaient reçu 1 ligne de traitement, 35 %, 2 lignes de traitement et 22 %, 3 lignes de traitement. Plus de 90 % des patients avaient reçu une chimiothérapie et une immunothérapie. Le sotorasib était administré à la dose de 960 mg, par voie orale. Le taux de réponse était de 37,1 % et le taux de contrôle de la maladie était de 80,6 %. Parmi les patients qui ont eu une réponse au sotorasib, la durée médiane de réponse était de 11,1 mois. La survie sans progression était de 6,8 mois.
Lors du congrès de l'AACR, les données de l'essai qui combinait les résultats des 174 patients, inclus dans les phases I et II, ayant reçu la dose recommandée de 960 mg, ont été actualisées (Dy et al., abstr. CT008). Le taux de réponse était de 40,7 %, la durée médiane de réponse, de 12,3 mois, et la survie sans progression, de 6,3 mois. La médiane de survie globale était de 12,5 mois (figure 4) ; surtout, le taux de survie à 2 ans était de 33 %. Aucun facteur clinique de survie prolongée n'était identifié.
Une attention particulière doit probablement être portée sur les séquences thérapeutiques, en particulier avec une immunothérapie antérieure, pouvant avoir une demi-vie longue et ainsi persister lors de l'introduction du sotorasib. La médiane de survie globale était évaluée à 12,5 mois. Les caractéristiques cliniques, la ligne de traitement ou une exposition à un anti-PD-L1 n'étaient pas associées à une différence d'efficacité. De même, ni la fréquence allélique de la mutation KRAS G12C, ni la charge mutationnelle, ni les co-altérations (TP53, STK11) n'étaient associées à une différence d'efficacité.
Le sotorasib est aujourd'hui un traitement du quotidien, dans le cadre de l'accès précoce ouvert en France, du fait de la fréquence de l'altération KRAS G12C, et au travers de l'accès précoce en cours depuis 1 an en France. L'essai de phase III CodeBreak 200 est une étude multicentrique, randomisée, en ouvert, qui évalue le sotorasib en comparaison du docétaxel, terminée aux inclusions, et dont les résultats sont attendus lors des futurs congrès.
Le lorlatinib est un inhibiteur de 3e génération d'ALK qui cible des mutations de résistance survenant sous inhibiteurs de 1re ou de 2e génération. Il est actuellement disponible en France en cas de progression sous inhibiteurs d'ALK de 2e génération, alectinib ou brigatinib, standards en 1re ligne.
L'essai de phase III CROWN a comparé en 1re ligne le lorlatinib (100 mg/j) au crizotinib (250 mg × 2/j) chez 296 patients atteints d'un CBNPC avec réarrangement de ALK (B. Solomon et al., abstr. CT223) (figure 5). Un quart des patients présentaient des métastases asymptomatiques du système nerveux central, traitées ou non. L'étude est positive sur son critère de jugement principal qui était la survie sans progression selon le comité de revue indépendant de l'étude, avec, après 36,7 mois de suivi, une réduction du risque de progression de 83 % dans le groupe lorlatinib comparativement au groupe crizotinib (HR = 0,27 ; IC95 : 0,184-0,388 ; p < 0,001) (figure 6). Le taux de survie sans progression était de 64 % à 3 ans dans le groupe lorlatinib, versus 19 % dans le groupe crizotinib. Le taux de réponse était de 77,2 versus 58,5 %.
Le taux de réponse intracrânienne chez les patients avec métastases cérébrales mesurables au diagnostic était de 65 % dans le groupe lorlatinib et de 18 % dans le groupe crizotinib. Le temps jusqu'à progression intracrânienne était très significativement allongé dans le groupe lorlatinib, à la fois chez les patients avec métastases cérébrales (HR = 0,21 ; IC95 : 0,10-0,44) et chez les patients sans métastases cérébrales (HR = 0,29 ; IC95 : 0,19-0,44) (figure 7). Surtout, la réduction du risque de progression intracrânienne était réduit de 90 % chez les patients avec métastases cérébrales, et de 98 % chez les patients sans métastases cérébrales.
La principale critique de l'essai est d'avoir choisi le crizotinib comme bras contrôle, alors que, actuellement, les inhibiteurs de 2e génération sont le standard en 1re ligne ; cependant, les résultats montrés à long terme sont de nature à conforter la place du lorlatinib en 1re ligne en situation de réarrangement de ALK, au vu de l'efficacité et de la protection de la progression cérébrale chez tous les patients. La détermination des mécanismes de résistance est probablement à prendre en compte dans cette analyse.
Le lorlatinib a obtenu une AMM européenne en 1re ligne thérapeutique.
Le durvalumab, traitement de consolidation après chimioradiothérapie séquentielle
En situation de consolidation après radiochimiothérapie concomitante pour les CBNPC de stade III non résécables, l'essai PACIFIC a comparé, chez 713 patients non progresseurs, un traitement adjuvant par durvalumab, un inhibiteur de PD-L1, versus un placebo pendant 12 mois ou jusqu'à progression. Les patients devaient avoir reçu au moins 2 cycles de chimiothérapie à base d'un sel de platine de façon concomitante à la radiothérapie. Le durvalumab (10 mg/kg i.v.) était commencé dans les 42 jours qui suivaient la fin de la radiochimiothérapie. Les données de survie à 5 ans ont été présentées lors du congrès (D.R. Spigel et al., abstr. 8511).
La survie globale médiane était de 47,5 mois dans le bras durvalumab versus 29,1 mois dans le bras placebo. Cela correspond à une réduction du risque de décès de 28 % en faveur du bras durvalumab. Le taux de survie globale à 5 ans était de 42,9 % dans le bras durvalumab versus 33,4 % dans le bras placebo. La survie sans progression médiane était de 16,9 mois dans le bras durvalumab versus 5,6 mois dans le bras placebo, ce qui correspond à une réduction du risque de progression de 45 % avec le durvalumab. Le taux de survie sans progression à 5 ans était de 33,1 % dans le bras durvalumab versus 19,0 % dans le bras placebo. Plus de 75 % des patients vivants étaient donc non progresseurs, et sans traitement antitumoral.
Lors de l'inclusion des patients, le statut PD-L1 de la tumeur n'était pas requis et, d'ailleurs, il est inconnu pour 37 % des patients. L'analyse en sous-groupes n'a pas montré de différence en termes de survie sans progression, que l'expression de PD-L1 sur les cellules tumorales soit inconnue, inférieure à 25 % ou supérieure ou égale à 25 %. Toutefois, l'Agence européenne des médicaments a demandé une analyse complémentaire, non prévue au départ, critiquable sur le plan méthodologique, sur l'expression de PD-L1, négative ou positive à la surface des cellules tumorales, avec le seuil minimal d'expression de 1 %. Celle-ci ne montrait pas de bénéfice significatif pour les patients dont la tumeur n'exprime pas PD-L1. De ce fait, l'AMM européenne du durvalumab a été restreinte, pour l'instant, aux patients dont la tumeur exprime PD-L1 à au moins 1 % des cellules tumorales. En France, une recommandation temporaire d'utilisation est en cours pour permettre aux patients porteurs d'une tumeur PD-L1 négative d'accéder au traitement par durvalumab.
L'essai PACIFIC-6 est un essai de phase II ayant évalué le durvalumab en situation de consolidation après chimioradiothérapie séquentielle, chez des patients possiblement de PS jusqu'à 2, qui a été présenté lors du congrès de l'ELCC (M.C. Garassino et al. ELCC 2022, abstr. 108 MO). Parmi 117 patients inclus, l'âge médian était de 68 ans, 98 % des patients présentaient des antécédents médicaux significatifs, notamment cardiovasculaires, et seuls 3 avaient un PS à 2.
Le critère de jugement principal était l'incidence des effets indésirables de grade 3 ou 4 dans les 6 mois qui suivaient le début de l'administration du durvalumab, et il a été atteint par 5 patients (4,3 %). Tous ces événements qui ont été rapportés dans l'essai sont survenus dans les 6 mois qui suivaient le début du traitement, et 2 de ces événements étaient des pneumopathies de grade 3-4. Pendant la durée totale médiane du traitement, soit 32 semaines, 77 % des patients ont présenté des événements de tout grade et 19 % des patients, des événements de grade 3-4.
En ce qui concerne l'efficacité, la survie médiane sans progression était de 10,9 mois (IC95 : 7,3-15,6). La survie globale médiane était de 25,0 mois (IC95 : 25,0-NE), avec un taux de survie à 12 mois de 84,1 %.
Ces données confortent les résultats de la consolidation par durvalumab, avec des chiffres de survie sans progression certes inférieurs à ceux de PACIFIC ou même de PACIFIC-R, dans une population de pronostic plus défavorable, mais supérieurs à ceux du bras contrôle de PACIFIC.
Conclusion
Les congrès de l'ELCC et de l'AACR ne doivent pas être négligés. Y sont légitiment mises en avant des données cliniques pertinentes pour la pratique, originales, et finalement attendues par les spécialistes en oncologie thoracique.■
FIGURES








