Le terme “birdshot chorioretinopathy” a été utilisé pour la 1re fois en 1980 par S.J. Ryan et A.E. Maumenee [1]. Il s’agit d’une uvéite postérieure du sujet d’âge moyen qui, malgré des signes fonctionnels peu spécifi ques, présente un tableau clinique le plus souvent facile à identifier. Cette uvéite évolue de manière subaiguë, ce qui peut être responsable d’un retard dia gnostique et de modalités de suivi délicates. La surveillance associe l’examen clinique, l’imagerie multi modale et les explorations fonctionnelles. La chronicité de l’atteinte et le pronostic défavorable à bas bruit en cas de traitement insuffi sant nécessitent la mise en place le plus souvent d’un traitement systémique comportant une épargne de corticoïdes par traitements immuno modulateurs ou par biothérapies.
Une présentation clinique évocatrice
Contexte clinique
La choriorétinopathie de birdshot (BCR) est une uvéite rare, principalement observée chez les descendants européens. La maladie touche surtout les personnes d’âge moyen, de 53 ans environ, et présente une légère prédominance féminine dans de nombreuses études. La BCR est fortement associée au HLA-A29, présent chez plus de 95 % des patients. Néanmoins, cette mutation ne suffit pas à expliquer entièrement le risque de développer une BCR, les formes familiales étant rares [2].
Signes fonctionnels peu spécifiques
La BCR est généralement bilatérale et symétrique. Les patients décrivent fréquemment un flou visuel, bien que l’acuité visuelle puisse être préservée. D’autres symptômes fréquents incluent des myodésopsies et une perte de sensibilité aux contrastes, des photopsies, une photophobie, des métamorphopsies, une réduction du champ visuel, sans rougeur ni douleur, ce qui peut entraîner des retards de diagnostic.
Caractéristiques cliniques
L’acuité visuelle initiale est supérieure ou égale à 5/10 chez plus de 75 % des patients [3] ; c’est donc un mauvais indicateur de l’activité ou de l’évolution de la maladie. Il n’y a, classiquement, ni synéchie iridocristallinienne ni précipité rétrocornéen, mais une très discrète inflammation de chambre antérieure est fréquemment présente, tout comme une hyalite minime. Au fond d’œil, on observe des taches caractéristiques ovoïdes profondes, choroïdiennes de couleur crème, qui peuvent confluer et se pigmenter avec le temps (figure 1, voir sur le PDF). Leur localisation en nasal inférieur de la papille est évocatrice. Un œdème papillaire est présent dans 24 à 28 % des cas [3]. Sont également retrouvées des hémorragies rétiniennes et des vascularites à type de périphlébites. L’œdème maculaire cystoïde est la principale cause de baisse d’acuité visuelle, il est présent dans 60 à 80 % des cas. L’atrophie parapapillaire est quasi constante, d’intensité variable, s’accroissant avec le temps, et elle pourrait constituer un marqueur d’une moins bonne acuité visuelle [4]. Certains patients évoluent vers l’atrophie choriorétinienne (figure 2, voir sur le PDF). Les facteurs pronostiques favorables incluent un âge tardif de survenue de la maladie et une inflammation oculaire initiale importante. Inversement, la présence d’une atrophie de l’épithélium pigmentaire maculaire en autofluorescence est de moins bon pronostic. L’acuité visuelle initiale ne semble pas avoir de valeur pronostique [5].
Imagerie multimodale
Les rétinophotographies sont très utiles pour documenter les taches caractéristiques. L’angiographie à la fluorescéine révèle généralement des vascularites rétiniennes veineuses. L’imagerie ultra-grand champ a permis de découvrir des plages de non-perfusion capillaire périphériques et des télangiectasies capillaires [6]. L’angiographie au vert d’indocyanine (ICG) est particulièrement informative et peut révéler des lésions avant qu’elles ne soient visibles au fond d’œil. En phase inflammatoire, on observe des taches hypofluorescentes aux temps précoces et intermédiaires, qui peuvent devenir isofluorescentes ou rester hypofluorescentes aux phases tardives. En phase quiescente, les lésions restent hypofluorescentes tout au long de l’angiographie (figure 1, voir sur le PDF). L’OCT permet de détecter et de suivre l’œdème maculaire. La BCR peut se compliquer de néovaisseaux choroïdiens mis en avant par l’OCT-angiographie (OCT-A). Les caractéristiques cliniques et celles de l’imagerie permettent l’évaluation de l’activité de la BCR. La maladie active se manifeste par des cellules vitréennes, un œdème maculaire et des vascularites rétiniennes en angiographie à la fluorescéine. Toutefois, sur l’angiographie ICG, il peut être difficile de différencier les lésions choriorétiniennes actives des cicatrices chroniques [7].
Épreuves fonctionnelles
Le champ visuel est désormais quasi systématiquement réalisé pour le suivi de la BCR, avec, néanmoins, dans la littérature, des différences de protocoles d’acquisition et de fréquences de réalisation. La majorité des patients présentent des anomalies du champ visuel comme une constriction périphérique, un élargissement de la tache aveugle, un scotome central ou paracentral, une diminution globale de la sensibilité rétinienne ou la persistance isolée d’un îlot central. Les anomalies du champ visuel ne sont pas toujours concordantes avec les lésions au fond d’œil et sont partiellement résolutives sous traitement. Dans la pratique clinique, les examens automatisés de type Humphrey sont souvent préférés pour le suivi objectif de l’évolution. Le champ visuel est un marqueur important de l’évolution de la maladie, même en cas d’acuité visuelle préservée. Il n’existe pas de consensus sur la fréquence de réalisation nécessaire pour le suivi. Dans la BCR, l’électrorétinogramme (ERG) global est souvent altéré, avec une atteinte des bâtonnets plus précoce que celle des cônes. L’ERG est un indicateur de l’évolution de la BCR et il aide à la décision thérapeutique, mais il peut-être difficilement disponible.
Critères diagnostiques et diagnostics différentiels
Malgré un tableau clinique caractéristique, plusieurs diagnostics différentiels doivent être considérés. Le principal d’entre eux, pour lequel il est parfois extrêmement difficile de trancher, est la sarcoïdose. En cas de présentation atypique, le lymphome intraoculaire primitif peut être redouté, un dosage de l’IL-10 dans l’humeur aqueuse et une IRM cérébrale sont alors nécessaires. Un bilan est proposé dans l’encadré 1 (voir ci-dessous) ci-contre devant une uvéite postérieure évocatrice de BRC à la fois pour le diagnostic positif et pour la recherche des diagnostics différentiels. Les critères de classification à visée de recherche initiale publiés en 2021 du SUN II (Standardization of Uveitis Nomenclature) précisent les données d’exclusion [8] (encadré 2, voir ci-dessous). Ils permettent également de poser le diagnostic à des stades précoces chez des patients porteurs de l’allèle HLA-A29+, sans taches choroïdiennes encore visibles au fond d’œil, mais présentes à l’angiographie ICG [8].
Encadré 1. Explorations proposées devant une suspicion de choriorétinopathie de birdshot pour le diagnostic positif et les diagnostics différentiels.
• “Bilan minimum”
- NFS, plaquettes, CRP, ionogramme sanguin, bilan hépatique
- Enzyme de conversion
- Imagerie thoracique (scanner thoracique)
- Sérologie syphilis (TPHA, VDRL)
- Intradermoréaction à la tuberculine + test de production d’interféron
- Typage HLA-A29
• À considérer en fonction du contexte
- Autres sérologies infectieuses
- IRM cérébrale et dosage interleukine 10 dans l’humeur aqueuse
CRP : protéine C réactive ; NFS : numération formule sanguine ; TPHA : treponema pallidum hemagglutination assay ; VDRL : venereal disease research laboratory.
Encadré 2. Critères de classification de la choriorétinopathie de birdshot SUN II (d’après SUN Working Group [8]).
• Critères diagnostiques 1 + 2 + 3 OU 4
1. Choroïdite bilatérale multifocale
a. Taches multiples choroïdiennes blanc crème ou jaune-orange ovales ou rondes
ET
2. Pas ou peu d’inflammation de segment antérieur
a. Absence ou inflammation légère de chambre antérieure ET
b. Pas de précipités rétrocornéens ET
c. Pas de synéchies postérieures
ET
3. Peu ou pas d’hyalite
OU
4. Choroïdite multifocale avec
a. HLA-A29+ ET soit b., soit c.
b. Taches multiples choroïdiennes blanc crème ou jaune-orange ovales ou rondes choroïdiennes
c. Taches multiples à l’angiographie au vert d’indocyanine sans atteinte décelable au fond d’oeil
• Critères d’exclusion
1. Sérologie syphilis positive : recherche systématique
2. Diagnostic de sarcoïdose (présence d’adénopathies bilatérales hilaires ou mise en évidence de granulomes non caséeux sur biopsie) : recherche systématique
3. Diagnostic de lymphome intraoculaire sur vitrectomie ou biopsie tissulaire : recherche non systématique, à réaliser en fonction du tableau et du contexte cliniques.
Nouveautés thérapeutiques et stratégie de suivi
Le traitement de la BCR n’est pas standardisé et varie selon les centres. La décision d’instaurer un traitement dépend de la sévérité des symptômes, de l’évolution de la maladie et des comorbidités du patient. Les traitements ponctuels des rechutes inflammatoires ne sont pas associés à un bon pronostic visuel, encourageant le plus souvent la mise en place d’un traitement systémique à long terme, en collaboration avec le médecin interniste [8].
Corticothérapie
Les corticoïdes systémiques sont souvent utilisés en 1re intention, bien qu’ils soient considérés comme un traitement d’attente avant l’efficacité des immunosuppresseurs. En effet, même si l’œdème maculaire de la BCR répond à la corticothérapie, il récidive généralement à des doses de prednisone inférieures à 15 mg/j, une dose trop élevée pour une utilisation longue.
Traitements immunosuppresseurs et immunomodulateurs
Le mycophénolate mofétil est actuellement plus répandu en raison de son bon profil de sécurité et de son efficacité. L’interféron alpha-2a est très efficace pour contrôler l’inflammation et l’œdème maculaire, mais utilisé en 2e ligne, en raison d’effets indésirables psychiatriques et d’un syndrome pseudogrippal. Actuellement, sa disponibilité est limitée.
Biothérapies
Utilisées en 2e ligne après échec ou intolérance aux immunosuppresseurs conventionnels pour le moment, les biothérapies permettent une épargne de corticoïdes efficace. Lesanti-TNF alpha, comme l’adalimumab ou encore l’infliximab, ont montré une efficacité dans le contrôle de l’inflammation et la réduction de la corticodépendance. Les antirécepteurs de l’interleukine 6, comme le tocilizumab par voie s.c. ou i.v., sont remarquablement efficaces pour améliorer l’acuité visuelle et réduire l’œdème maculaire, avec des résultats prometteurs dans les cas réfractaires. Il reste pour l’instant proposé après échec des immunosuppresseurs et des anti-TNF alpha, mais son activité sur l’œdème maculaire et son pouvoir épargneur de corticoïdes pourraient à terme modifier les algorithmes thérapeutiques [9, 10]. La forme i.v. semble permettre d’obtenir une résolution plus rapide de l’œdème maculaire dans les uvéites sévères et réfractaires [11].
Conclusion
En résumé, la BCR a une présentation clinique évocatrice ; son évolution chronique, insidieuse et sévère, nécessite une stratégie thérapeutique agressive ainsi qu’une surveillance clinique et paraclinique régulière sur le long terme. Une approche multidisciplinaire est nécessaire pour optimiser la prise en charge thérapeutique et favoriser l’épargne de corticoïdes.||

