“Big Brother vous regarde.” (George Orwell, 1984)
On peut parfois avoir cette image de la télésurveillance, désormais largement développée en cardiologie. Loin de la dystopie orwellienne, la télémédecine, et plus largement la télésanté, s’est imposée au cours des 20 dernières années comme un outil structurant et essentiel dans la prise en charge des patients. Or cette vision intrusive est parfois perçue comme telle par les patients, ce qui suggère qu’il faut bien comprendre ces nouveaux outils et ces nouvelles organisations, pour bien les expliquer et bien les utiliser.
La télémédecine, définie comme une pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication, met en relation des professionnels de santé entre eux ou avec un patient. Elle permet d’établir un diagnostic, d’assurer un suivi préventif ou post-thérapeutique, de solliciter un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire, ou encore d’effectuer une surveillance de l’état des patients.
La cardiologie apparaît comme une discipline particulièrement adaptée, à travers les dispositifs qui, par nature, offrent des possibilités de télésurveillance, mais aussi par l’intermédiaire de divers examens paracliniques réalisables à distance.
Dans ce nouveau numéro thématique de la Lettre du Cardiologue, nous découvrons l’étendue de la télécardiologie, un domaine en pleine croissance, offrant diverses applications pour les patients atteints de maladies cardiaques.
C’est déjà une réalité tangible, puisque la télésanté est intégrée au droit commun en France, avec des remboursements pour certaines activités.
Les articles, rédigés par des experts reconnus, détaillent la télésurveillance des prothèses implantables, véritable fer de lance de la télémédecine en cardiologie. Il s’agit d’un outil majeur pour améliorer la pertinence des soins en permettant un suivi quotidien des paramètres techniques du dispositif (batterie, impédance des sondes, seuils, etc.) et surtout la détection précoce d’arythmies ou de dysfonctionnements. Cette surveillance permet surtout d’anticiper les complications graves, mais aussi de réduire le nombre de consultations en présentiel. Des études ont montré des bénéfices sur la réduction des hospitalisations et, dans certains cas, de la mortalité, ainsi qu’en matière d’amélioration de la réactivité clinique.
Plus récemment, la télésurveillance de l’insuffisance cardiaque a montré son efficacité pour anticiper les décompensations et améliorer la qualité de vie, et s’est imposée comme le gold standard de la prise en charge des patients insuffisants cardiaques. Elle repose sur une surveillance multiparamétrique (questionnaires sur les symptômes, fréquence cardiaque, tension artérielle, poids, bio-impédance). Qu’elle soit invasive (via des dispositifs implantables comme les défibrillateurs ou les capteurs de pression pulmonaire tels que CardioMEMSTM) ou non invasive (via une autoévaluation quotidienne ou des dispositifs portables), des études confirment sa capacité à réduire les hospitalisations, la durée des séjours et, dans certains cas, à diminuer la mortalité et améliorer la qualité de vie des patients.
Les cardiologues doivent connaître et envisager parfois de pratiquer la téléexpertise, un échange à distance entre professionnels de santé, crucial pour l’accès aux soins dans les zones sous-dotées. Elle permet à un professionnel de santé de solliciter à distance l’avis d’un ou plusieurs professionnels médicaux. Particulièrement adaptée à la cardiologie pour l’analyse d’ECG, d’échographies cardiaques ou de résultats biologiques, elle accélère les diagnostics et optimise les décisions thérapeutiques. Elle réduit considérablement les délais pour obtenir un avis spécialisé, diminue les déplacements inutiles des patients et renforce la collaboration interprofessionnelle.
La téléconsultation médicale facilite l’évaluation des symptômes, l’ajustement des traitements (particulièrement utile en période de titration, et pouvant être délégué) et un contact plus rapproché, même en phase avancée de la maladie ou lorsque le déplacement est difficile. La téléréadaptation offre une option alternative aux centres de réadaptation et améliore la capacité fonctionnelle et la qualité de vie.
En période de pénurie de l’offre, et dans la perspective d’aggravation des cardiopathies dans les 10 prochaines années, ces outils apparaissent comme autant d’innovations, non pas pour pallier cette pénurie, mais pour augmenter la pertinence des soins, au profit des patients comme des soignants (consultations adaptées, gestes techniques automatisés comme vérifier l’état d’un pacemaker), afin de solliciter la ressource humaine au bon moment et d’une façon optimisée.
Tous ces développements appellent une réglementation dont nous devons connaître au moins les grands principes, précisant les conditions de mise en œuvre et les obligations et responsabilités légales des praticiens.
Malgré ses nombreux avantages, la télémédecine doit encore relever plusieurs défis, à commencer par son coût. La formation des professionnels et surtout l’adhésion des patients à la technologie et la régularité de l’autosurveillance restent des freins potentiels. Des inégalités d’accès persistent, notamment pour les populations âgées ou isolées, en raison de l’illectronisme ou du manque de couverture réseau.
Néanmoins, les perspectives d’évolution sont prometteuses, comme l’intégration de l’intelligence artificielle pour le prétraitement des données, l’analyse prédictive des anomalies physiologiques, l’automatisation des mesures par des capteurs intelligents, l’évaluation de nouveaux biomarqueurs numériques. Le développement des équipes de soins spécialisés (ESS) en cardiologie, financées depuis 2025, permettra une utilisation plus large de la téléexpertise et une meilleure coordination territoriale.
En somme, la télémédecine transforme profondément la prise en charge des patients en cardiologie. Elle représente une avancée majeure pour améliorer la qualité de vie, réduire les hospitalisations, optimiser les traitements et rendre les soins plus accessibles et personnalisés. Il s’agit de l’utiliser à bon escient, au profit de tous.

