L’utilisation d’une biopsie liquide d’origine sanguine en oncologie thoracique, principalement dans la prise en charge des patients atteints d’un cancer bronchopulmonaire non à petites cellules (CBNPC) de type non épidermoïde et de stade avancé ou métastatique, fait partie de nos jours du standard de prise en charge [1]. Toutefois, cette utilisation se fait dans le cadre de recommandations internationales, et à partir de l’ADN libre circulant isolé du plasma [1]. Ainsi, une biopsie liquide peut être réalisée au moment du diagnostic ou à progression tumorale, si une biopsie tissulaire tumorale ne peut pas être réalisée ou si cette biopsie n’est pas contributive pour le diagnostic morphologique et moléculaire [1]. Les tests moléculaires effectués à partir de l’ADN libre circulant permettent de détecter des altérations génomiques qui peuvent être accessibles à une thérapeutique ciblée. À progression tumorale, grâce à cette approche, il est possible d’identifier des altérations génomiques de résistance permettant parfois de proposer de modifier cette thérapie ciblée.
Hormis l’ADN libre circulant dans le plasma, une biopsie liquide réalisée chez un patient atteint d’un cancer du poumon peut permettre d’identifier et de caractériser d’autres composés sanguins, en particulier des cellules tumorales circulantes (CTC), des vésicules extracellulaires (notamment des exosomes), des ARN libres (comme les micro-ARN) et des protéines plasmatiques [2]. Cependant, les biomarqueurs associés à ces autres composés circulants ne sont pas intégrés aujourd’hui en routine dans l’offre de soins et ne sont pas validés dans la pratique clinique. Une des questions est de savoir si, malgré des résultats prometteurs, l’un ou plusieurs de ces composés seront utilisés ou non à l’avenir en clinique en oncologie thoracique. Parmi ces composés circulants, la détection et la caractérisation des CTC ont fait l’objet de nombreux travaux de recherche clinique et pourraient être associés en particulier à l’utilisation de l’ADN libre circulant pour optimiser l’identification de biomarqueurs diagnostiques, pronostiques et prédictifs en oncologie thoracique.
Cellules tumorales circulantes comme biomarqueurs diagnostique, pronostique et prédictif de la réponse thérapeutique dans les cancers pulmonaires
La mise en évidence des CTC chez les patients atteints d’un cancer pulmonaire a été réalisée dans différentes indications. Ainsi, des CTC peuvent être identifiées chez des patients atteints d’un cancer du poumon de stade avancé ou métastatique, mais aussi dans les stades précoces, en particulier avant l’intervention chirurgicale [3, 4]. Une association entre la présence de CTC et une progression tumorale d’un stade avancé, ainsi qu’une récidive tumorale chez certains patients opérés d’un CBNPC ont été ainsi observées [3]. Ces cellules tumorales sont en nombre très faible comparativement à l’ensemble des cellules hématologiques et circulent soit de façon isolée (figure 1), soit à plusieurs (figure 2) mais sans contact entre elles, soit sous la forme d’amas ou de “clusters”, appelés microthrombi tumoraux (figure 3), ces derniers ayant alors un potentiel invasif plus important [3]. Dans ces amas, les CTC interagissent avec les polynucléaires neutrophiles, les monocytes, les lymphocytes et/ou les plaquettes qui constituent ainsi un microenvironnement circulant [5]. Des biomarqueurs prédictifs d’une réponse thérapeutique comme une mutation de l’EGFR, un réarrangement d’ALK ou de ROS1, ou d’une résistance à des thérapies ciblées, peuvent être identifiés à partir des CTC [6-8]. Dans les traitements par immunothérapies, en particulier ciblant PD-L1, la mise en évidence de la protéine PD-L1 à la surface des CTC a été réalisée dans différentes études [9-11]. La possibilité de suivre l’évolution des CTC exprimant PD-L1 sous immunothérapie ou l’utilisation de cette approche comme biomarqueur prédictif de la réponse thérapeutique ont été envisagées à la suite de ces études, mais cela n’a pas été transféré en pratique clinique [12]. La recherche au niveau des CTC de l’expression membranaire et/ou cytoplasmique d’autres protéines ciblant des anticorps drogue-conjugués, en particulier c-MET, TROP2, HER2, HER3, CEACAM5, B7-H3, est possible [13].
Certaines analyses ont montré que des CTC pouvaient être isolées très tôt chez certains patients atteints d’un CBNPC de stade I, voire chez des patients atteints d’une bronchopneumopathie chronique obstructive sans image tumorale identifiable sur l’examen tomodensitométrique [14]. De nombreuses CTC peuvent être isolées et caractérisées également dans les cancers pulmonaires à petites cellules. Des modèles expérimentaux ont été possibles à partir de ces CTC pour mieux les caractériser sur les plans phénotypique et génomique, en ayant aussi la possibilité d’injecter ces cellules chez la souris et de faire développer des modèles de tumeurs injectées par voie sous-cutanée [15, 16].
Avantages et limites de l’utilisation des cellules tumorales circulantes comme biomarqueurs dans les cancers pulmonaires
Compte tenu des données très prometteuses obtenues à partir de la recherche et de la caractérisation des CTC chez les patients atteints d’un cancer pulmonaire, il serait intéressant de comprendre pourquoi ce type d’approche n’est pas utilisé en pratique quotidienne actuellement et que seule la caractérisation moléculaire réalisée à partir de l’ADN libre plasmatique est possible en routine. En effet, comparativement aux autres biomarqueurs sanguins, les CTC constituent le véritable reflet du potentiel métastatique d’un cancer pulmonaire et permettent de définir les profils génomique et protéique des cellules tumorales qui peuvent être invasives [17]. Plusieurs paramètres sont à prendre en considération concernant les limites d’utilisation des CTC comme biomarqueurs en pratique quotidienne. Un des paramètres importants est associé à la méthodologie permettant la détection. Ainsi, de nombreuses méthodes sont possibles, reposant sur des techniques directes ou indirectes [18]. Ces techniques utilisent des propriétés physiques de taille ou de densité, ou sont liées aux caractéristiques antigéniques des CTC [18]. Aucune de ces méthodes n’a été validée par la Food and Drug Administration aux États-Unis pour les patients atteints d’un cancer pulmonaire. La complexité de ces méthodes, la maîtrise de la phase préanalytique, la difficulté de reproduire les résultats, les variations de sensibilité et de spécificité des tests, leur coût éventuel, l’absence de mise en place d’un remboursement des actes par les systèmes de soins au niveau national font que le choix d’une technique par rapport à une autre n’a pas permis une validation et un transfert de la recherche translationnelle à la pratique clinique [18, 19].
Perspectives
Compte tenu du déploiement massif des approches de RT-PCR, de PCR digitale et surtout de next-generation sequencing (NGS) à partir des biopsies liquides et des acides nucléiques plasmatiques libres circulants, la place des CTC en oncologie thoracique est aujourd’hui restreinte à des projets de recherche translationnelle. Faut-il ainsi considérer que ce type de biomarqueur n’a pas sa place à l’avenir dans l’offre de soins des patients atteints d’un cancer du poumon ? Plusieurs pistes d’optimisation peuvent cependant s’envisager et permettre d’intégrer les CTC au même titre que l’ADN libre circulant. L’optimisation de la technologie est incontournable, et pourrait permettre une utilisation en routine. Cela passe par une automatisation des phases préanalytique et analytique, une excellente spécificité et sensibilité de la méthode envisagée, des coûts maîtrisés et la confirmation de la valeur pronostique de cette détection ou la possibilité de mettre en évidence des biomarqueurs prédictifs d’une réponse aux thérapies ciblées ou des autres thérapies personnalisées, en particulier de l’immunothérapie ou de la réponse aux anticorps drogue-conjugués. Une des difficultés est certainement de parvenir à combiner à la fois la détection et la caractérisation génétique des CTC en utilisant des approches de “single cell”, en considérant le plus souvent la faible quantité de matériel biologique recueillie pour faire ces analyses. La mise en culture des CTC pourrait apporter une solution possible, mais cette culture est, à ce jour, plus aisée lorsqu’elle est réalisée à partir de cellules isolées d’un cancer pulmonaire à petites cellules que d’un CBNPC. Une des perspectives est peut-être de combiner les approches méthodologiques sur plusieurs composés sanguins circulants (par exemple en combinant la détection de l’ADN circulant et les CTC, ou la détection des exosomes et des CTC). Bien que séduisante dans l’objectif d’optimiser les approches pronostiques et prédictives, cette stratégie est confrontée à plusieurs problématiques, à la fois d’ordre technologique, de délai de rendu des résultats en cas de transfert dans le domaine clinique, de coût et de remboursement, de possibilités de décentralisation dans les établissements de santé, et de validation inter-laboratoire. Seule la possibilité de réaliser des études multicentriques et des essais cliniques associant l’identification des CTC, la réponse thérapeutique, la survie sans progression et la survie globale des patients pourrait permettre d’utiliser à l’avenir les CTC comme biomarqueurs en pratique quotidienne.■
FIGURES




