Depuis ses origines, la place de la psychiatrie dans les soins a évolué et a généré de nombreux débats. Relève-t-elle de l’âme, du psychisme, du cerveau ? Doit-on séparer le psychique de l’organique, du somatique ? D’autres organes sont-ils impliqués dans la santé psychique ? Autant de questions qui se sont retrouvées au cœur de l’actualité ces dernières années, à l’heure où les neurosciences occupent une place centrale dans la recherche.
La question de l’origine des troubles mentaux remonte à l’Antiquité. À cette époque, la “folie” était souvent attribuée à des causes surnaturelles ou divines. Les Égyptiens, les Grecs et les Romains invoquaient tantôt l’action des dieux, tantôt des déséquilibres corporels. En particulier, Hippocrate proposait de lier les troubles mentaux aux déséquilibres des humeurs. Dans cette perspective, la “folie” devient une maladie du corps, mais aussi de l’âme au sens large. Au Moyen Âge, les explications spirituelles et religieuses reprennent le dessus. Les troubles psychiques sont alors associés au péché, à la possession démoniaque, et les soins prodigués consistent essentiellement en des pratiques d’exorcisme ou d’enfermement. Le changement apparaît avec l’arrivée de la Renaissance et le siècle des Lumières. Philippe Pinel développe l’idée d’un traitement moral des troubles mentaux : délier les fous de leurs chaînes et leur offrir un cadre de soins devient un acte fondateur pour toute la profession. La psychiatrie devient une discipline médicale, tout en conservant une forte dimension morale et philosophique. Le malade mental passe progressivement de “fou” à “sujet souffrant d’une maladie”. C’est ainsi qu’au XIXe siècle, la psychiatrie se structure scientifiquement. Les premières classifications apparaissent, comme celle d’Emil Kraepelin en 1899. Elles articulent descriptions cliniques et hypothèses biologiques. C’est le début des approches catégorielles, parallèlement à l’essor de la neurologie. Dans ce contexte, se développent les approches localisationnistes, portées en particulier par Jean-Martin Charcot, à l’hôpital de la Salpêtrière. Elles proposent l’idée que les troubles psychiques reposent sur des altérations cérébrales qui pourraient être localisées et traitées.
Au début du XXe siècle, un courant de pensée complètement différent s’impose comme une véritable révolution : la psychanalyse freudienne. Freud, neurologue de formation, abandonne l’idée d’une causalité strictement cérébrale et propose un modèle dynamique de l’inconscient, des conflits psychiques et des mécanismes de défense. La psychiatrie devient alors, pour une part importante du XXe siècle, une “médecine de l’âme”, dans laquelle la compréhension du vécu, du récit et des fantasmes prime sur l’examen du cerveau. Cette orientation a profondément marqué la psychiatrie, notamment en France et dans les pays latins, tout en l’éloignant partiellement des sciences biologiques.
À partir des années 1950, la découverte des psychotropes (chlorpromazine, lithium, antidépresseurs tricycliques) montre pour la première fois que des molécules agissant directement sur les neurostransmetteurs peuvent changer
le vécu et les comportements. Cette pharmacologie psychiatrique ouvre la voie à une conception plus biologique des troubles mentaux. À partir des années 1980, avec la publication du DSM-III, la psychiatrie s’éloigne de la psychanalyse, et adopte une approche descriptive et catégorielle, avec pour objectif de faire avancer la fiabilité diagnostique et la recherche biologique. Le développement de l’imagerie cérébrale (IRM, TEP) et de la génétique renforce cette orientation : la schizophrénie, la dépression, les troubles bipolaires ou l’autisme sont progressivement étudiés comme des pathologies cérébrales, liées à des circuits neuronaux, des dysfonctionnements synaptiques ou des vulnérabilités génétiques. Les neurosciences cognitives apportent de nouveaux modèles, en reliant les altérations cognitives (mémoire, attention, régulation émotionnelle, par exemple) à des anomalies observables au niveau cérébral. Parallèlement, la montée en puissance des biomarqueurs, via la génétique, la biologie et la neuro-imagerie fonctionnelle, couplée à l’intelligence artificielle, ouvrent la voie vers des approches personnalisées à travers la psychiatrie de précision.
Malgré ces avancées spectaculaires, la question reste ouverte : la psychiatrie est-elle uniquement “dans le cerveau” ? Les perspectives actuelles sont le développement des approches intégratives, couplant les dimensions sociales et culturelles, notamment via le modèle biopsychosocial. Quelles sont les perspectives pour ces approches intégratives, et quelles sont les avancées récentes ? Tout d’abord, le développement des approches corporelles, et notamment du sport, dans les soins psychiatriques montre à quel point la prise en compte du corps peut permettre une amélioration directe des symptômes, notamment anxieux et dépressifs. Ces résultats sont soutenus par de nombreuses études qui montrent des liens bidirectionnels entre le cerveau et le reste du corps, par exemple concernant la perception de la douleur ou l’alimentation (notamment via le microbiote). À la lumière de ces nouvelles données, il semble que les dysfonctionnements cérébraux aient un rôle important dans la physiopathologie des troubles mentaux. Cependant, ces dysfonctionnements ne semblent pas limités au seul cerveau, comme en attestent d’ailleurs les travaux récents sur les hypothèses inflammatoires dans les troubles mentaux. La psychiatrie serait-elle systémique ? Quoiqu’il en soit, les approches intégratives ouvrent un chemin vers des options complémentaires aux approches médicamenteuses, sociales et thérapeutiques. En particulier, soigner les aspects corporels, qu’ils soient cutanés, musculaires, digestifs ou cardiaques, constitue une porte d’entrée vers de nouvelles approches de soins modulant notamment la plasticité cérébrale, l’inflammation et le système nerveux sympathique.

