La prévalence du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) chez les adolescents de 12 à 18 ans est estimée à 5,6 % [1]. À cet âge, la problématique des addictions est à considérer. En effet, le taux de TDAH chez les adolescents présentant des conduites addictives est particulièrement élevé – jusqu’à un quart des adolescents traités pour un trouble de l’usage de substances (TUS) [2] –, ce qui soulève des questions de repérage et de structuration des soins. Par ailleurs, la présence d’une comorbidité addictive en cas de TDAH entraîne des spécificités cliniques et thérapeutiques qu’il s’agit de prendre en considération en pratique clinique.
Enjeux cliniques du TDAH à l’adolescence
Spécificités cliniques
Le TDAH se caractérise chez les adolescents par des spécificités cliniques qui peuvent différer de celles observées chez les enfants plus jeunes. Les adolescents peuvent devenir capables de masquer ou de gérer leur inattention, mais la difficulté à organiser leurs pensées, à respecter les délais ou à se concentrer pendant de longues périodes peut toujours persister. Ils rencontrent souvent des difficultés à s’organiser, à gérer leur emploi du temps ou à respecter les échéances. L’hyperactivité manifeste chez les enfants peut être remplacée par une agitation intérieure, de l’impulsivité ou des comportements plus discrets, comme la procrastination [3]. Les difficultés de concentration, l’incapacité à suivre les instructions ou à accomplir des tâches de manière structurée affecte souvent les résultats académiques des adolescents atteints de TDAH, qui présentent alors un risque accru d’échec scolaire et d’absentéisme. Ces difficultés peuvent être compliquées par des troubles du développement de la coordination motrice. Les adolescents présentant un TDAH peuvent aussi avoir des difficultés à entretenir des relations amicales stables ou à comprendre les règles sociales implicites. Ces troubles amplifient le manque de confiance en soi chez les adolescents [4]. Par ailleurs, l’impulsivité et l’irritabilité peuvent entraîner des conflits fréquents avec les pairs, la famille ou les enseignants. En effet, les comportements impulsifs peuvent se majorer, augmentant le risque de prise de décisions hâtives, de comportements à risque, comme la consommation de substances, la conduite imprudente ou les conflits avec la loi [5]. Ils sont également plus susceptibles de développer des troubles de l’humeur et des troubles anxieux, souvent en raison de l’accumulation de stress liée à leurs difficultés scolaires et sociales. Les sentiments de frustration, de rejet social ou d’échec peuvent s’intensifier à cet âge. D’autres troubles peuvent s’associer au TDAH de l’adolescent, comme les troubles du sommeil, les troubles du comportement alimentaire et l’obésité [6].
Le TDAH chez l’adolescent présente donc des défis spécifiques, et un suivi clinique adapté est important pour en gérer à la fois les symptômes et les comorbidités associées.
Focus sur les addictions avec substances et les addictions comportementales
Données épidémiologiques
L’association du TDAH et des TUS a fait l’objet de nombreux travaux, et des données récentes recueillies dans la littérature estiment à 21 % la prévalence d’un TDAH parmi les patients adolescents et adultes présentant un TUS de façon globale [7]. Plus spécifiquement, la prévalence approche 25, 19 et 18 % pour les troubles d’usage de l’alcool, de la cocaïne et des opiacés, respectivement. L’association à un TDAH est en faveur d’une expérimentation plus précoce du produit, de l’émergence plus rapide d’un TUS, d’une sévérité accrue du trouble addictif et d’un moins bon pronostic. Le TUS est, dans ce cas, plus complexe et il est davantage associé à d’autres conduites addictives [8]. La prévalence du TDAH est également très importante en contexte d’addictions comportementales (AC) (cf. “TDAH et addictions sans substance” dans ce numéro, p. 22), que le comportement addictif concerne l’usage des jeux vidéo ou d’argent, le sexe, l’alimentation ou encore les achats.
Cette association s’explique par un chevauchement endophénotypique entre le TDAH et les conduites addictives, notamment en raison de traits neurocognitifs similaires (comme l’impulsivité), mais aussi par une vulnérabilité génétique partagée [9]. De plus, les conduites addictives peuvent constituer des tentatives d’automédication face aux symptômes du TDAH et aux troubles qui lui sont associés [10].
La cooccurrence d’un ou de plusieurs troubles addictifs et d’un TDAH correspond au concept de pathologie duelle. Il existe en effet une modification de la présentation clinique de ces troubles ainsi que de leur évolution, du fait de leur association, avec une péjoration du pronostic pour le patient, y compris à l’adolescence [11].
Démarche diagnostique
Les conduites addictives (TUS et/ou AC) doivent faire l’objet d’un repérage systématique à l’adolescence en cas de TDAH [11]. Ce repérage concerne l’ensemble des professionnels de santé : médecins généralistes, pédiatres, pédopsychiatres, psychiatres, neuropédiatres, neurologues ou encore professionnels du milieu scolaire. Le diagnostic de la pathologie duelle devra être porté par un professionnel expérimenté s’appuyant sur des outils diagnostiques standardisés [11].
Comme à tout âge, l’évaluation diagnostique doit être la plus précoce possible, idéalement en contexte d’abstinence et en dehors de phases d’intoxication sévère et de sevrage [8]. En cas de comorbidité, le clinicien est invité à suivre la démarche diagnostique classique de chaque trouble, en restant attentif aux potentielles superpositions des présentations cliniques, aux synergies entre les troubles, et à la temporalité des symptômes [11] pour distinguer les comorbidités, les complications du trouble, et les diagnostics différentiels.
Plusieurs outils cliniques peuvent aider au diagnostic [12] : l’échelle ADHD-RS recherche les critères DSM-IV du TDAH à partir de versions pour les parents et les enseignants ; le SNAP-IV vise à collecter les critères du TDAH et du trouble oppositionnel avec provocation chez les parents et enseignants ; l’échelle de Conners dispose aussi de versions pour les parents et les enseignants, mais elle n’a pas été validée en langue française. Le Young DIVA-5 (Diagnostic Interview for ADHD) est un entretien clinique structuré à visée diagnostique, utile entre 5 et 17 ans [13], traduit, mais non validé en français. Le bilan neuropsychologique n’est pas indispensable dans la démarche diagnostique.
Enjeux thérapeutiques d’un TDAH avec comorbidité addictive chez l’adolescent
Au sujet du traitement médicamenteux
À l’adolescence, le méthylphénidate est la molécule de choix en matière d’efficacité et de tolérance [14, 15]. Cependant, les quelques travaux étudiant spécifiquement l’efficacité du méthylphénidate chez les adolescents présentant des conduites addictives retiennent des résultats négatifs ou équivoques [16]. En France, seules les spécialités à base de méthylphénidate disposent d’une AMM dans l’indication du TDAH chez les adolescents. La prescription après 18 ans n’est encadrée par l’AMM que pour certaines spécialités. Le traitement médicamenteux ne devra être proposé qu’en association à une prise en charge psychosociale.
Pharmacothérapie et risque addictif
Il est important de noter que la prescription de psychostimulants dans le cadre d’un TDAH n’est pas associée à un sur-risque de développer des conduites addictives [17]. Au contraire, plusieurs données scientifiques suggèrent un effet protecteur (probablement faible) du traitement médicamenteux dans l’apparition de TUS [10, 11]. Z. Chang et al. [18] ont étudié l’effet de la médication sur la prévalence des TUS chez 38 753 individus de tous âges, issus des registres suédois, chez lesquels un diagnostic de TDAH avait été porté. Trois ans plus tard, cette prévalence était plus faible de 31 % chez les personnes ayant reçu un traitement psychostimulant par rapport à celles n’en ayant pas reçu, et plus la médication était longue, plus la prévalence de TUS était réduite. E.N. Schoenfelder et al. [19] ont mis en évidence, au travers d’une méta-analyse portant sur plus de 2 300 individus, que les personnes atteintes de TDAH étaient 2 fois moins à risque de tabagisme lorsqu’ils étaient régulièrement traités par psychostimulants. Une médication précoce et à posologie plus forte serait en faveur d’une protection vis-à-vis des TUS et du tabagisme [20], peut-être en lien avec un rétablissement du déséquilibre dopaminergique observé dans les addictions.
Modalités de prescription
La prescription d’un psychostimulant chez les adolescents devra être proposée au mieux en période d’abstinence ou de réduction des conduites addictives, sans retarder inutilement son instauration lorsque cela n’est pas possible [11]. Dans ce cas de figure, mais hors AMM, les traitements non psychostimulants (atomoxétine, guanfacine, bupropion) devront être considérés [11]. Un électrocardiogramme n’est nécessaire avant de commencer le traitement chez les adolescents présentant un TDAH et un TUS qu’en cas d’antécédents familiaux, de symptômes évocateurs d’un problème cardiovasculaire et/ou qu’en cas de prise de médicaments ou de consommation de substances pouvant majorer le risque cardiovasculaire (cocaïne et amphétamine notamment) [11]. La surveillance du pouls et de la tension artérielle sera régulière durant toute la période de traitement, ainsi que de la croissance staturopondérale [11, 15].
Limites
Le risque de rupture de soins est particulièrement fort chez les adolescents et jeunes adultes [21]. Selon une étude prospective récente, seuls 47 % des adolescents (12-17 ans) et 39 % des jeunes adultes (18-24 ans) bénéficiaient toujours du traitement 1 an après son instauration, alors qu’ils n’étaient plus que 30-40 % à 5 ans [21].
Une vigilance particulière doit être portée sur le risque de mésusage, plus prévalent chez les adolescents et jeunes adultes [10]. La prescription d’une forme à libération prolongée est, de ce fait, préférable [11].
Approches non médicamenteuses
Au-delà de favoriser l’observance d’un traitement médicamenteux pour le TDAH quand il a été prescrit, les interventions non médicamenteuses sont très importantes. La psychoéducation destinée tant aux parents qu’aux adolescents est essentielle dans la prise en charge, car elle favorise la prise de conscience du problème et la nécessité de développer des stratégies spécifiques [22].
Les interventions motivationnelles sont essentielles, car l’ambivalence est très souvent présente concernant le changement dans le cadre d’addictions avec et sans substances. La prise en charge familiale permet l’engagement des proches, qui peut être un moteur important du changement.
Les thérapies cognitivocomportementales représentent une approche nécessaire dans la prise en charge globale des 2 troubles, opérant tant sur le plan des comportements alternatifs, de la régulation émotionnelle par la relaxation ou la méditation, que sur celui de la restructuration cognitive. La dysrégulation émotionnelle et l’impulsivité du TDAH constituent en effet des facteurs de risque de développer des troubles internalisés et externalisés, et surtout des troubles d’usage de substances [23], d’où l’importance de prendre en compte ces dimensions psychopathologiques.
Place de l’entourage
La situation des jeunes patients porteurs d’un TDAH – diagnostiqué ou non – se complique à l’adolescence ou à l’entrée dans l’âge adulte : recherche identitaire, opposition, y compris aux mesures thérapeutiques instaurées, conduites à risque, exposition aux pratiques addictives, suscitant l’inquiétude de l’entourage familial et déstabilisant le soutien qu’il a apporté jusque-là. Prendre en compte cette inquiétude des proches, et en particulier des parents, et bâtir une intervention en forme de bilan à partir de la panne parentale s’avèrent être de formidables tremplins vers l’accès aux soins, ou le retour aux soins, pour un jeune patient non demandeur qui sera invité en tant qu’expert et soutien à sa famille, puis à lui-même.
Ces bilans sont l’occasion d’explorer la fonction des conduites, y compris addictives, leur lien avec le TDAH, les comorbidités associées ou induites. Parfois, ils seront aussi l’occasion de diagnostiquer un TDAH non repéré antérieurement. Identifier les difficultés du jeune patient permet d’en tirer des orientations prioritaires pour l’accompagnement thérapeutique, de parler avec lui de la construction de son avenir, qu’il devrait s’approprier, de ce qui pourrait aider cette construction ou au contraire la freiner, et de resituer dans ce contexte ses pratiques, son TDAH et les mesures thérapeutiques qui s’y rattachent, et enfin de redéfinir le rôle des parents du jeune adulte en devenir.
Ces bilans suscitent souvent chez lui une demande d’accompagnement individuel, et ils peuvent aussi, si nécessaire, se prolonger par une thérapie familiale, en particulier lorsque le diagnostic de TDAH a été fait tardivement ; changement des représentations, sortie de la stigmatisation et dissolution des embarras imaginaires accumulés figurent parmi les objectifs d’une telle démarche.
Intérêt des dispositifs de transition
La transition entre les dispositifs de soins est souvent mal préparée pour les jeunes patients ayant reçu un diagnostic de TDAH dans l’enfance, ce qui entraîne un taux élevé de rupture de soins : au Royaume-Uni, seulement 22 % des jeunes référés aux services adultes assistent à un 1er rendez-vous, et seulement 6 % bénéficient d’une transition optimale [24]. Les obstacles incluent le manque de coordination entre les pédiatres ou les services de psychiatrie de l’enfant/adolescent et les professionnels et services de psychiatrie de l’adulte, l’absence de formation des professionnels au TDAH ainsi que des différences d’accès à ces services [25].
Pour améliorer cette transition, plusieurs recommandations émergent [24, 26].
- Une planification anticipée : la transition doit être préparée bien en amont, avec une implication active des jeunes et des titulaires de l’autorité parentale.
- Une évaluation spécifique en amont de la transition : cette évaluation a comme objectif de réactualiser les informations concernant la situation clinique du jeune patient, le retentissement fonctionnel de ses symptômes, les troubles associés au TDAH, les facteurs de protection et de risque, ainsi que de déterminer sa capacité d’autonomie dans l’utilisation du dispositif de soins. Cette évaluation peut s’appuyer sur des outils spécifiques pour préparer la transition entre services, tels que le questionnaire TRAM [27]. L’intérêt de cet outil est la possibilité de faire une évaluation croisant les regards du clinicien référent, des parents et du jeune patient lui-même. Les données issues de ce type d’évaluation multidimensionnelle constituent une base intéressante pour la préparation de la transition entre les services, car celle-ci permet de faire le point sur les besoins du jeune patient et les aspects dont il faut tenir compte.
- Une collaboration interservices : une meilleure coordination entre acteurs et dispositifs de soins, avec un éventuel suivi conjoint temporaire dans les situations complexes.
- La formation des professionnels : renforcer les compétences des professionnels sur le TDAH et ses comorbidités.
- La proposition de référents de parcours : certains jeunes patients pourraient bénéficier de l’aide d’un professionnel, souvent un infirmier ou une infirmière, un case manager, dont le rôle est de faciliter la coordination interservices, de préparer le jeune patient à prendre une part active à ses soins, à développer sa connaissance des dispositifs et sa capacité à les solliciter de façon adaptée.
Conclusion
La période de l’adolescence chez les jeunes atteints de TDAH doit faire l’objet d’une attention particulière du clinicien, notamment du fait du risque d’addictions associées. Les propositions thérapeutiques et l’organisation des soins doivent s’adapter aux spécificités de cette situation.■

