Petit historique
Du point de vue français, les États-Unis occupent une place importante dans le monde vétérinaire, ne serait-ce que par le nombre d’écoles vétérinaires (4 en France versus 34 aux États-Unis) et de vétérinaires en activité. En France, en 2024, on recensait 21 494 vétérinaires en activité, dont l’âge moyen était de 43 ans avec 59,8 % de femmes et 40,2 % d’hommes (canine : 55,8 % ; équine : 3,2 % ; rurale : 6,3 % ; mixte : 29,1 % ; autre (fonction publique, enseignement, etc.) : 5,6 % [1]). Aux États-Unis la même année, on comptait 130 415 vétérinaires, dont 67,9 % de femmes et 30,1 % d’hommes (canine : 71 % ; équine 3,9 % ; rurale : 3,4 % ; mixte 5,2 % ; autre : 16,5 % [2]). En outre, il existe 5 écoles vétérinaires au Canada accréditées par l’American Veterinary Medical Association (AVMA), dont les programmes d’études sont semblables à ceux des États-Unis.
Le système universitaire américain apparaît comme le modèle idéal, qui a d’ailleurs directement inspiré le système européen actuel (bien que 2 de nos écoles françaises soient les plus anciennes historiquement, à savoir Lyon d’abord, et Maisons-Alfort ensuite).
Les Européens ont transposé le système de spécialisation nord-américain ; il existe dorénavant des boards américains et européens qui, s’ils ne sont pas identiques, sont tout de même quasi équivalents (en termes de formation, prérequis et examens).
De même, les sociétés savantes américaines ont largement inspiré leurs homologues européennes. Par le passé, la productivité éditoriale des universités américaines surpassait très largement celle des universités européennes, y compris françaises. Le fossé est aujourd’hui moins important, mais le nombre d’écoles vétérinaires américaines est tel qu’il est loin d’être comblé.
Enfin, la consolidation (regroupement de cliniques vétérinaires au sein d’un groupe) par des sociétés, déjà bien établie aux États-Unis (environ 50 % pour un marché approchant les 157 milliards de dollars) et en forte progression en France (30 à 35 % pour un marché avoisinant les 5 milliards d’euros), a démarré aux États-Unis dès les années 1990. Si bien qu’en tant que Français, nous voyons le territoire américain, à juste titre, comme la référence de la formation scientifique et l’origine de la consolidation en cours sur notre territoire.
Des similitudes
Il est largement méconnu de la profession vétérinaire française qu’une partie des cliniques vétérinaires des États-Unis restent indépendantes. De plus, la nature du quotidien de nos confrères, en dehors des universités, demeure abstraite pour beaucoup de vétérinaires français, alors qu’elle est en réalité très proche de la nôtre. La démographie vétérinaire américaine est ainsi très semblable à la nôtre, avec la même féminisation et les mêmes zones de “désert médical”. Afin de remédier à ce problème – sachant que les vétérinaires américains doivent valider leur diplôme dans l’État où ils désirent travailler, via un board d’État –, les examens sont beaucoup plus difficiles à obtenir pour exercer, par exemple, en Californie (où beaucoup veulent travailler) que pour pratiquer dans des États moins attractifs, pour lesquels l’obtention du board n’est parfois plus fondée sur les connaissances médicales, mais sur la seule connaissance des règles juridiques spécifiques de ces États.
Aussi, il existe les même débats aux États-Unis sur la qualité de vie au travail, le coût exponentiel des soins vétérinaires, la consolidation, le changement générationnel des rythmes de travail, la technicisation, l’hyperspécialisation, etc.
En ce qui concerne la consolidation et la formation, il est intéressant d’observer des similitudes dans la réaction des autorités de nos 2 pays. Par exemple, certains États américains interdisent la détention des établissements vétérinaires par des non-vétérinaires. Aussi, tout comme l’école vétérinaire UniLaSalle de Rouen, un nouveau type d’école vétérinaire existe dorénavant aux États-Unis pour pallier le manque de vétérinaires, en particulier dans les États sans université vétérinaire ou dans des zones à l’écart des universités, avec une formation théorique de 3 ans et une formation pratique chez des confrères accrédités.
Des différences
Cependant, comparativement à nos homologues américains, nous sommes en retard en ce qui concerne la prise en compte de la qualité de vie de nos patients, qui est constitutive de l’exercice vétérinaire aux États-Unis. Il convient néanmoins de noter que cette considération peut être influencée par leur nécessité d’éviter les désagréments d’une judiciarisation plus élevée des relations clients aux États-Unis qu’en France.
Si la proportion des propriétaires assurés est à peu près la même dans les 2 pays, à savoir environ 5 %, une différence importante est la connaissance par le citoyen américain du coût de la médecine, alors que la plupart des citoyens français, plus encore que n’importe quels Européens, l’ignorent complètement. Ainsi, le coût de la médecine vétérinaire est vu aux États-Unis comme un parallèle du coût de la médecine humaine, et si les clients américains peuvent le déplorer, ils n’en considèrent pas les vétérinaires comme responsables.
Une autre différence majeure est celle liée à la formation : gratuite en France mais payante aux États-Unis. Un vétérinaire sortant d’une université américaine a, en moyenne, un emprunt de 180 000 dollars à rembourser (dont 38 % 200 000 dollars à 300 000 dollars). Cela se traduit par une plus grande exigence des étudiants américains envers leur corps enseignant, lequel est tenu de maintenir un haut niveau d’exigence. Pour ce faire, l’afflux d’argent privé dans ces universités est facilité aux États-Unis, que ce soit via des fondations, des donateurs privés ou encore par le biais de certaines lois fédérales. Les universités vétérinaires américaines se sont en conséquence toujours vues comme des centres d’excellence à destination des praticiens généralistes qu’elles forment. De nos jours, les revenus des enseignants universitaires américains sont inférieurs à ceux du privé. Néanmoins, le prestige associé à un poste universitaire reste sans commune mesure avec celui du privé. Par ailleurs, pour certaines spécialités exigeant du matériel onéreux, comme la radiothérapie, des centres privés à niveau d’équipement équivalent commencent seulement à ouvrir depuis quelques années.
Enfin, les 2 différences frappantes entre les cliniques américaines et françaises sont, d’une part, la taille des cliniques (plus grandes aux États-Unis) et, d’autre part, la quantité de personnel y travaillant, également plus importante aux États-Unis. Cela s’explique par le coût du foncier, généralement inférieur aux États‑Unis (excepté dans certaines villes, telles que New York ou San Francisco) et par la fluidité structurelle du marché du travail américain, couplés à une charge salariale inférieure. Une autre différence significative, induite par le coût des soins aux États-Unis, est la possibilité pour un chien ou un chat d’être vacciné sans voir de vétérinaire, par un auxiliaire spécialisé vétérinaire.
Synthèse
Du point de vue nord-américain, la France reste auréolée de son prestige lié à l’ancienneté dans la promotion de l’art vétérinaire et conserve une bonne image, corollaire de celle d’une France de bons vivants entourés de vieilles pierres. En revanche, les universités anglo-saxonnes ont meilleure presse que les universités de l’Europe méditerranéenne. Seule l’école de Lyon est actuellement accréditée par l’AVMA ; cela signifie qu’elle est la seule école à remplir les standards exigeants des universités américaines.
Les vétérinaires américains n’ont peut-être pas encore pris la mesure du rapide rattrapage qu’opère l’ensemble du monde vétérinaire européen, et plus particulièrement français, dans le domaine de la formation ou dans la qualité des soins prodigués, pour un coût encore nettement inférieur lorsque l’on compare les 2 pays.
De nombreux vétérinaires américains voient l’Europe comme un tout et la France comme une partie de cet ensemble, difficile à évaluer pour eux, car particulièrement hétérogène. Enfin, si les revenus moyens des vétérinaires américains semblent plus élevés (80 000 euros annuels avant impôt en France [1], 120 000 à 220 000 dollars annuels aux États-Unis [2]), la prise en compte du coût de la couverture médicale et de l’éducation des enfants nivelle largement cette différence. Tant et si bien que peu de vétérinaires américains trouvent le temps et les finances pour se rendre aux conférences européennes. Ce d’autant que cette offre de conférences aux États-Unis, via les nombreuses sociétés savantes et les universités, est pléthorique, mais aussi parce qu’ils prennent beaucoup moins de vacances qu’en France, mais ça c’est encore une exception française ! ●

