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Éditorial

Être différent…


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“Je ne comprends pas. Vous avez pourtant réussi à traiter la fille d’un bon ami à moi. Il m’a dit : ‘Tu vas voir, c’est un magicien !’” Mais attention à ne jamais endosser ce rôle faussement valorisant qui vous attirera les pires ennuis… Les situations cliniques sont si semblables et pourtant si différentes !

“Docteur, comment pouvez-vous me dire que vous n’avez pas un remède radical et efficace contre les douleurs abdominales de mon fils ? Comment peut-on laisser un enfant souffrir en 2025 ?” Un père m’a confié un jour que son enfant souffrait de douleurs “abdominables”, tant elles étaient abominables et le rendaient minable ! Le caractère excessif de cette demande reflète l’étendue de notre incompétence face à certains troubles fonctionnels. Abrogeons d’ailleurs l’expression “prise en charge”, qui sous-entend que le patient est une charge, lourde et dotée d’une polarité négative. Parlons plutôt de “prise en soins”. Peut-être que dans le cadre de ces troubles (très troubles !), plus la prise en soins se veut multidisciplinaire, plus notre ignorance est grande… ou peut-être pas ?

Peut-être que seule une convergence de compétences et de différents types de soins garantit les meilleures chances de succès, à l’image des associations médicamenteuses.

En médecine, le savant dosage entre la bibliographie, le médecin et le patient, pour un soin optimal, est représenté par le concept de l’Evidence-­Based Medicine (médecine fondée sur les preuves). En effet, depuis les années 1970, sa définition a évolué. Désormais, elle ne s’appuie plus seulement sur les publications, mais se conjugue selon 3 axes :

  • l’analyse des données scientifiques avec leur niveau de preuve ;
  • l’expérience clinique du médecin (cela tombe bien : les recommandations ne sont pas toujours écrites par des médecins qui pratiquent !) ;
  • les préférences du patient et/ou des parents en pédiatrie.

C’est de cette combinaison que devrait naître “la décision”. Ce sont donc des points de vue différents qui éclairent l’orientation de la prise en soins.

Les recommandations, les consensus et les guidelines inondent nos congrès médicaux, devenant la loi du “bon” raisonnement clinique et de la “juste” prescription. Une médecine universelle, exercée par tous et partout. Une médecine “ChatGPT”, où l’intelligence artificielle aurait une responsabilité et un impact réels sur la prise en soins des patients. Mais lorsque la réponse robotisée (“chatbotisée”) vous invite à… consulter un médecin (un vrai, avec un cœur qui bat), est-ce le signe d’une immaturité de la machine à se perfectionner ou d’une incompétence non programmée ?

L’intelligence artificielle serait-elle dépassée par la différence ? Chaque médecin est différent et se doit donc d’exercer son art médical sans se plier à l’“effet troupeau”, en ayant toujours en tête primum non nocere.

La médecine individualisée “holistique” est justifiée pour soigner des enfants… tous différents, tout autant que pour répondre aux attentes des parents avec comme mots-clés : écoute, bienveillance et empathie. Être spécialiste de la petite enfance, c’est être un profiler ! Ces enfants évoluent sous influence, poussés à rentrer dans le rang. L’avidité des parents à avoir des enfants “normaux” est telle qu’ils en gommeraient parfois leur identité. Mais qu’est-ce qu’être normal ? Où sont les repères ? Où sont les guidelines de la normalité ? Lorsqu’un carnet de santé définit une taille ou un poids normaux dans une fourchette de déviations standard, il semble évident que 2 enfants puissent être normaux avec 2 kg de différence ou 5 cm d’écart. Mais quand il s’agit du neurodéveloppement, la norme devient plus floue…et trouble ! Existe-t-il un couloir qui concentre des enfants dont la normalité est tiraillée par les projections parentales et le dogme médical ? Ainsi, des parents sont convaincus du haut potentiel (HP) de leur enfant bien avant toute évaluation, dont les délais d’obtention sont souvent déraisonnables et coûteux… Si bien qu’ils préfèrent entériner eux-mêmes ce diagnostic. Ce HP justifie alors, selon eux, certaines attitudes inadaptées de leur enfant et l’impossibilité d’exercer une guidance parentale adéquate. Il ne s’agirait pas d’une démission éducative, mais de faire preuve de bienveillance à l’égard de leur différence. Parfois d’ailleurs, la discussion tourne court. “Il est comme ça, HP, je l’ai su dès sa naissance, m’a confié une mère convaincue. La sage-femme lui a mis 10 sur 10 au score d’Apgar !” Comme un diktat des minorités… Notre société fait d’ailleurs l’éloge des minorités, par essence ­composées “d’êtres différents”.

D’autres parents, à l’inverse, consultent pour un symptôme marginal, redoutant une “étiquette” mais demandant de l’aide. Lorsqu’un trouble du spectre de l’autisme non diagnostiqué plane en arrière-plan, devant des difficultés alimentaires, par exemple, il arrive que la mère me regarde fixement. Elle sait que je sais. Et je sais qu’elle sait. Bref, nous savons que nous savons. Et, sans qu’elle puisse le formuler, elle a envie de hurler à l’injustice. Car oui, la maladie est injuste. Peu à peu, lui dire que son enfant n’est ni anormal ni handicapé, mais qu’il a sa différence, comme nous avons tous nos différences, pourra peut-être l’apaiser… partiellement et temporairement.

La différence fait sens. C’est une richesse pour tolérer l’absence d’explications pour tout, en l’imposant avec optimisme, dans un monde perfectionniste et normatif. La différence permet de créer la relativité (pour une “einsteinisation” de la médecine ?)? Enfin, l’éveil à la différence permettra d’accepter la singularité de chacun.

Et peut-être que c’est justement en étant différent que l’on prend mieux en soins des êtres si différents… ●


Liens d'intérêt

M. Bellaïche déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en ­relation avec cet ­article.

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