“Ce n’est pas en cherchant ce que l’on trouve mais en trouvant ce que l’on ne cherchait pas que naissent certaines découvertes .”
Nous faisons et refaisons avec effroi encore la conversion des 60 gigas par litre avec l’interne (quel stress ces unités de mesure !). Le biologiste confirme le nombre de 60 000 globules blancs par mm3 de sang qui signe une probable leucémie. La mère crie, pâlit, puis tombe de malaise à l’annonce du diagnostic de leucémie myéloïde chronique (LMC) bientôt posé pour son fils, suivi pour une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) réfractaire aux traitements usuels. Deux maladies rares concomitantes en pédiatrie : une double malédiction ?
Un traitement par imatinib pour ce type de leucémie est aussitôt mis en route, avec l’arrêt du traitement pour la pathologie digestive du fait de la suspicion d’un effet iatrogène leucémogène. Surprise : l’imatinib va non seulement mettre la LMC en rémission mais aussi la MICI. Mais, un défaut de compliance avec l’arrêt inopiné de la prise d’imatinib entraînera un début de rechute de la LMC et, surtout, une rechute sévère de la MICI… à nouveau en rémission à la reprise de l’imatinib. Un drame qui finit bien.
Ce “nouveau” traitement a été “proposé” à titre exceptionnel à d’autres enfants atteints de MICI résistantes aux traitements usuels. Des résultats encourageants ont été publiés [1]. Plus tard, le développement de nouveaux médicaments agissant sur les thérapies ciblées intracellulaires avec action sur les cascades intracellulaires de signalisation aboutit à l’upadacitinib (encore un médicament en “-inib” : ça inhibe !), désormais nouveau traitement efficace dans certaines MICI.
À l’ère de la médecine fondée sur les preuves et de la médecine fondée sur l’expérience, laissons une place à la médecine qui saisit les occasions offertes par le… hasard ? Combien de découvertes décisives ont jailli de l’imprévu ? C’est le royaume de la “sérendipité”, ce mot né du conte persan Les Trois Princes de Serendip publié en 1557, désignant l’art de faire des trouvailles heureuses par hasard… mais seulement pour ceux qui savent les reconnaître. C’est pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que le blé venait à manquer aux Pays-Bas, que le pédiatre hollandais Willem Karel Dicke observa une amélioration spectaculaire de l’état de certains enfants atteints de dénutrition avec ballonnement abdominal lors des pénuries de farine [2] : une famine qui guérit ! Il a ainsi découvert la maladie cœliaque. Et que dire de la découverte de la bactérie Helicobacter pylori en 1982, que les deux chercheurs australiens Barry Marshall et Robin Warren ont isolé dans l’estomac d’un patient ulcéreux [3] au cours de l’observation accidentelle de cultures bactériennes oubliées durant le week-end ? Une erreur de timing qui permit la croissance visible de la bactérie H. pylori… Enfin, un bêtabloquant prescrit pour une cardiomyopathie obstructive a été administré fortuitement à une petite fille atteinte d’un hémangiome facial : à la surprise générale, la tumeur vasculaire a régressé rapidement [4]. La liste n’est pas exhaustive et nous pourrions rapporter d’autres découvertes inattendues comme la pénicilline ou le sildénafil (pour lequel les patients hypertendus qui étaient testés refusaient catégoriquement d’interrompre l’essai thérapeutique, trop heureux des effets collatéraux !).
La sérendipité est donc bien plus qu’un heureux hasard. Combien de fois, dans nos consultations quotidiennes, la remarque anodine d’un parent, un détail clinique a priori hors sujet, une image imprévue à l’échographie… ont permis le “diagnostic accessoire” qui change la trajectoire d’un enfant ? Le pédiatre, souvent contraint d’interpréter des signes discrets chez un patient peu loquace, est presque naturellement ouvert à cette forme d’attention flottante qui favorise la découverte inattendue.
À l’heure où l’intelligence artificielle et les algorithmes prédictifs pénètrent notre pratique, n’oublions pas que certaines vérités médicales ne se révèlent que par accident… à ceux qui savent regarder, regarder les autres, regarder autour de soi. Être à l’écoute des tout petits riens, ces petits riens qui font le tout et qui nous percutent et nous bousculent. C’est peut-être cela, le véritable art médical : conjuguer la rigueur de la science avec l’ouverture à son intuition et une curiosité constante. ●

