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“Game changer”, saison 4




C’est l’un des leitmotiv d’Anthony Fauci, absent de cette CROI 2024, qui n’en est pas à un retraité près : “game changer”, où comment changer la donne dans la langue de Molière. L’expression a été largement mobilisée et argumentée par les faits avec l’arrivée des multithérapies à partir de 1996 (saison 1), puis avec l’engouement de la recherche vaccinale – “While we are making encouraging progress in preventing new HIV infections, the development of a safe and effective HIV vaccine would be the ultimate game changer” (CROI 2016, saison 2).  Et jusqu’ici avec le “game changer” du TasP et de la Prep (figure) toujours présent de CROI en CROI (saison 3).

À Denver s’est joué à la fois la saison 2 (le renouveau de la recherche vaccinale anti VIH), la 3 (La Prep) et une 4e saison avec l’explosion de la PEP des IST bactériennes. Ainsi, dans une même session orale (#04) du lundi, baptisée “Game changers in prevention of HIV and sexually tranmitted infections”, les 2 concepts se sont entremêlés avec quelques bonnes nouvelles en matière de PEP des IST et de PrEP VIH. Ce qui est bien avec la CROI, c’est qu’elle reste une conférence scientifique sans prises de position idéologiques comme on l’a vu avec quelques médecins prepophobes nous prédisant l’apocalypse bactérienne sexuellement induite. La science n’est, il est vrai, pas une opinion. Pour les faits, il a été intéressant de voir l’émulation entre l’essai ANRS-Prevenir-Doxyvac (#124) et l’essai américain DoxyPeP (#125) comme en leur temps les essais de PreP ANRS-Ipergay et Proud. Mais aussi la comparaison – sur laquelle nous reviendrons –d’écologie bactérienne et de résistance d’un pays à l’autre. La cause est entendue, la PEP des IST chez les HSH, prepeurs ou PVVIH, cela marche à des niveaux de réduction globale de plus de 60 % (syphilis, gonocoque, chlamydiae) et à près de 80 % pour syphilis et chlamydiae, niveau qui dépend de l’observance, du schéma de prise des résistances bactériennes, mais indépendamment du statut VIH (DoxyPEP). Mais au Kenya, et ailleurs en Afrique, chez les femmes cis ( # 1148) cela ne fonctionne pas . Avec cette piste pour expliquer l’échec : la doxycycline n’est détectée que dans 29 % (58/178) des cheveux pris sur les participantes de l’étude. Une piste parmi d’autres.

Plus encore que les essais les études de la “vraie vie” confirme cette efficacité dès lors que la PEP est encadrée par des recommandations malgré une augmentation drastique des pratiques à risques (× 2) dans l’étude DoxyPEP1. Comme à San Francisco (#126) où le PEP par la doxycycline est recommandée depuis octobre 2022 avec au sein de 3 centres communautaires de la ville à la Maison Bleue plus de 3 700 initiations de PEP (20 % des MSM et TGW) on observe 50 % de décroissance des IST à Chlamydia au pointage de novembre 2023 (IC95 : 38-59) ; sans impact sur la gonocoque comme attendu et avec un impact sur le microbiote et les résistances trés étroitement suivi. Mais le poster # 999 illustre combien l’usage “sauvage” de tels outils de prévention pose problème. Dans une enquête en ligne sur le territoire américain auprès de 903 gays ou bisexuels, 21 % avaient pris moins de 200 mg de doxycycline et 9 % au-delà des 72 h suivant un rapport sexuel à risque. Confirmant le besoin hardant de recommandations claires...

Côté vaccin, c’est l’embellie des concepts malgré l’assemblage de phase IIb/III à résultats négatifs tel qu’égrainés avec le talent qu’on lui connaît par Juliana McElrath (Seattle # 16) en ouverture plénière de cette première journée : Vax 03 et O4, HVTN 502 et 503, HVTN 505, HVTN 702-Ukambo, HVTN 702-Imbokodo HVTN 706 Mosaico…  On se souvient de la session de deuil pour Mosaico lors de la CROI 2023 à Seattle. Il fut rappelé combien l’inéquité et l’insuffisance de déploiement des outils de prévention sus cités – le gap dans le game changer – justifie le développement d’un vaccin préventif efficace. La piste est connue désormais. Le point crucial a donc été celui de la caractérisation d’antigènes, dit germline, susceptibles de mobiliser les lymphocytes B naïfs capables de donner naissance, après maturation, aux cellules productrices d’anticorps à large spectre, notamment VRO1. Et la nécessaire utilisation successive de plusieurs antigènes différents, mais proches, pour mimer ce qui se produit lors de l’infection. Juliana McElrath a présenté la stratégie de prime-boost-boost – un peu l’image Gillette G3 pour celles et ceux qui se rasent. Avec comme espoir tangible les essais AMP pour Antibody-Mediated-Prevention.

Enfin, dans les anecdotes du jour, on retiendra l’abandon quasi totale du masque dans les salles de communications orales malgré 193 abstracts retenus sur le SARS-CoV-2, la compétition assez schizophrénique entre les sessions parallèles, le panel de la session #03 consacrée aux essais cliniques de nouveaux antirétroviraux 100 % masculine (N = 8) ce qui a semble-t-il agacé Karine Lacombe (Paris) et Alexandra Calmy (Genève). Quant à Julia McElrath (1951), elle a dans sa to-do-list de la recherche vaccinale anti-VIH mentionné “le besoin de jeunes investigateurs motivés”. C’est pas gagné.

Gilles Pialoux


Références

  1. La rumeur voudrait que les recommandations françaises en la matière attendues depuis des années soient bientôt livrées par la HAS…

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