Consensus 2018 de la Société française d'endocrinologie : mise au point sur les toxicités endocriniennes des immunothérapies anticancéreuses
- Les complications endocriniennes de l'immunothérapie :
- sont fréquentes, généralement peu sévères, et touchent la thyroïde, l'hypophyse, et, plus rarement, les surrénales et le pancréas (diabète fulminant) ;
- ne contre-indiquent pas la poursuite de l'immunothérapie et justifient rarement une corticothérapie ;
- justifient un dépistage, car il existe des formes aiguës et des traitements parfois définitifs ;
- imposent un bilan préthérapeutique ;
- imposent une surveillance étroite du bilan hormonal, surtout au cours des 6 premiers mois de traitement.
Au cours des 10 dernières années, la prise en charge des cancers a été modifiée par l'utilisation de plus en plus fréquente de l'immunothérapie. Cependant, ces molécules exposent à des effets indésirables, parmi lesquels des toxicités endocriniennes (1-4). Les indications de ces molécules étant en constante augmentation du fait de leur efficacité, il est important que les endocrinologues et les oncologues sachent dépister, prendre en charge et surveiller ce type de toxicité. Dans cette optique, la Société française d'endocrinologie (SFE) a entrepris la rédaction d'un avis d'experts sur les toxicités endocriniennes de l'immunothérapie, sur la base d'une analyse exhaustive des articles indexés sur PubMed, pour la période 1990-2018, à partir des termes de recherche suivants : immunotherapy, CTLA-4, PD-1, PD-L1, diabetes, hypophysitis, thyroiditis et adrenal insufficiency. Le consensus a ensuite été relu par 40 experts endocrinologues ou oncologues, puis présenté lors du congrès de la SFE (Nancy, 2018). Les points essentiels de ce consensus sont résumés dans cet article.
Quelques rappels physiopathologiques
Les points de contrôle immunitaire ou immune checkpoints sont des protéines dont le rôle est de moduler les réponses immunes non adaptées, et en particulier les réponses contre le soi. Ce sont des molécules nécessaires à la régulation de la réponse immunitaire, qu'il s'agisse d'activation ou d'inhibition. Les cellules cancéreuses sont capables de modifier l'expression ou l'effet de ces voies de costimulation pour éviter une activation lymphocytaire et favoriser, ainsi, la tolérance vis-à-vis de la tumeur. L'objectif des immunothérapies est de bloquer les molécules qui ont un signal inhibiteur pour permettre la réactivation de la réponse immune et favoriser la destruction des cellules cancéreuses. La voie de costimulation principale pour l'activation d'un lymphocyte T naïf est la voie CD28/B7, qui inclut un signal activateur du lymphocyte T à la suite de la liaison de CD28 à B7, suivi d'un signal inhibiteur lié à la liaison CD28/CTLA-4 ; d'autres signaux inhibiteurs induits par la liaison PD-1/PD-L1 sont émis sur le site tumoral. Les principaux traitements utilisés actuellement reposent sur l'inhibition de CTLA-4 ou du couple PD-1/PD-L1 : cette inhibition, qui permet l'activation prolongée de lymphocytes T dirigés contre les néoantigènes tumoraux, a pour objectif de neutraliser les cellules tumorales (figure 1). Depuis peu, des combinaisons thérapeutiques permettant de cibler ces 2 mécanismes sont également utilisées en oncologie. Cependant, le mécanisme d'action des immunothérapies est aussi à l'origine d'effets indésirables immuns touchant divers organes. Ils sont le plus souvent légers à modérés, mais 0,5 à 13 % des patients présentent des effets indésirables de grade 3-4 imposant l'arrêt de la molécule et, éventuellement, l'administration d'immunosuppresseurs. La raison pour laquelle les effets endocriniens induits par ces mécanismes auto-immuns concernent plus fréquemment l'hypophyse et la thyroïde n'est pas bien connue : la riche vascularisation de ces 2 organes pourrait les rendre plus susceptibles d'être en contact avec les lymphocytes T activés ; une expression directe de CTLA-4 dans l'hypophyse ou de PD-1/PD-L1 dans la thyroïde pourrait également expliquer que ces organes soient des cibles plus fréquentes via une toxicité directe dirigée contre l'organe.
Bilan initial et surveillance en l'absence d'endocrinopathie
Un patient traité par immunothérapie est à risque de développer une hypophysite, une thyroïdite et, à un degré moindre, un diabète ou une insuffisance surrénalienne primaire. Cependant, la fréquence des endocrinopathies varie selon la molécule et la classe médicamenteuse (anti-CTLA-4 ou anti-PD-1/PD-L1), et serait plus importante en cas d'association thérapeutique.
Avant l'immunothérapie, il faut s'assurer que le bilan hormonal est normal. Ce bilan initial sera également utile pour suivre l'évolution des paramètres hormonaux au cours du traitement. Il doit comporter : glycémie veineuse à jeun (si l'immunothérapie prévue comporte un anti-PD1/PD-L1), natrémie, TSH (Thyroid Stimulating Hormone), T4L (thyroxine libre), cortisol à 8 heures (en l'absence de prise de corticoïdes), LH (Luteinizing Hormone), FSH (Follicle Stimulating Hormone), testostérone chez l'homme ou estradiol chez la femme en cas de cycles irréguliers, et FSH chez la femme ménopausée (figure 2).
Le risque de survenue d'une endocrinopathie est plus important au début du traitement, ce qui justifie une surveillance plus rapprochée au cours des 6 premiers mois ; la surveillance est poursuivie de façon systématique au cours des 6 mois suivants, puis à un rythme plus espacé. Au-delà, le risque devient faible, même s'il n'est pas nul, certains cas ayant été décrits plusieurs années après l'instauration de l'immunothérapie. Les complications devront donc toujours être recherchées en cas de points d'appel cliniques. Tout au long du traitement par immunothérapie, on insistera en particulier auprès du patient et de l'oncologue sur les signes évocateurs d'hypophysite (céphalées, nausées, signes de déficit hypophysaire), de dysthyroïdie, d'insuffisance surrénale et de diabète de révélation explosive (syndrome polyuropolydipsique, amaigrissement), bien que les signes cliniques soient parfois peu spécifiques dans ce contexte de néoplasie évoluée. Le bilan biologique systématique de surveillance comportera : glycémie veineuse à jeun (si le patient a reçu un anti-PD-1/PD-L1), natrémie, TSH, T4L, cortisol à 8 heures, testostérone chez l'homme et FSH chez la femme ménopausée, à chaque cure pendant 6 mois, puis toutes les 2 cures pendant les 6 mois suivants, puis en cas de signe d'appel clinique (5).
Gradation des endocrinopathies induites par l'immunothérapie
De façon générale, la gradation des effets indésirables des immunothérapies repose sur le CTCAE (Common Terminology Criteria for Adverse Events, mis à jour par le National Cancer Institute [NCI] en 2009) selon une échelle de 1 à 5 (1 = léger, 2 = modéré, 3 = sévère, 4 = à risque vital, 5 = décès lié à la toxicité). Cette gradation, bien qu'utile pour définir la gravité des effets indésirables, aboutit en théorie à des prises en charge spécifiques (arrêt du traitement, corticothérapie, etc.) qui ne sont généralement pas adaptées en cas d'endocrinopathie. Ainsi, les endocrinopathies induites par les immunothérapies sont le plus souvent facilement équilibrées par un traitement substitutif en cas de déficit, ou améliorées par un traitement symptomatique en cas d'excès hormonal. Le CTCAE doit donc être utilisé avec prudence. La corticothérapie systémique n'a que rarement sa place en cas d'endocrinopathie induite, et la survenue d'une endocrinopathie ne justifie pas de contre-indiquer la thérapie anticancéreuse. En cas de forme sévère, le traitement peut être suspendu de façon transitoire puis repris en accord avec l'oncologue. La présence d'une endocrinopathie induite par une thérapie anticancéreuse ne contre-indique pas l'utilisation d'une autre thérapie anticancéreuse, y compris de la même classe (6).
Interférences biologiques et immunothérapie
Les immunothérapies recourent à des anticorps bloquant les points de contrôle de la réponse immunitaire antitumorale. Il s'agit toujours d'anticorps monoclonaux, et leur dénomination commune internationale indique leur origine avant la finale “-mab” : ainsi, la dénomination se termine par “o-mab” pour les anticorps murins, par “xi-mab” pour les anticorps chimériques, par “hu-mab” pour les anticorps humanisés et, enfin, par “u-mab” pour les anticorps humains. Lorsque les dosages prescrits font intervenir dans leur principe analytique des anticorps monoclonaux d'origine murine et que l'anticorps thérapeutique contient des séquences murines, des interférences analytiques peuvent être redoutées si les patients développent des anticorps hétérophiles contre l'anticorps thérapeutique. En cas de discordance clinicobiologique, il faudra s'informer sur la nature de l'anticorps administré : murin (“o”), chimérique (“xi”), humanisé (“zu”), ou humain (“u”). S'il s'agit d'un anticorps murin, il existe un risque élevé d'interférence avec un test immunologique utilisant comme réactif un ou des anticorps développés chez la souris “o-mab” (7).
Dysthyroïdies induites par l'immunothérapie
Les atteintes thyroïdiennes constituent les effets indésirables endocriniens les plus fréquents au cours de l'immunothérapie des cancers. Il s'agit principalement de thyroïdites inflammatoires silencieuses dont le mécanisme lésionnel fait intervenir la cytotoxicité des lymphocytes T, et qui se traduisent cliniquement par une phase de thyrotoxicose suivie d'une hypothyroïdie. Le tableau peut être moins typique, avec une thyrotoxicose spontanément résolutive et un retour à l'euthyroïdie, ou la présence d'une hypothyroïdie d'emblée. La présence d'anticorps antithyroperoxydases (anti-TPO) est inconstante et ne semble pas prédictive de la survenue d'une dysthyroïdie sous traitement. Dans une méta-analyse récente de 38 essais randomisés, le risque de dysthyroïdie était plus important avec les associations anti-CTLA-4/anti-PD-1 qu'en mono-
thérapie. Le risque est également plus important pour les anti-PD-1 que pour les anti-CTLA-4. L'incidence de la thyrotoxicose varie de 3 à 16 %, et celle de l'hypothyroïdie, de 6 à 13 %, en fonction notamment de la classe thérapeutique, de la séquence thérapeutique, des critères de surveillance et de dépistage. Lorsqu'on prend en compte les formes frustes, l'incidence pourrait atteindre 50 % (respectivement 22 % de thyrotoxicoses et 28 % d'hypothyroïdies). Les dysthyroïdies sont habituellement modérées, voire asymptomatiques, et le plus souvent classées en grade 1 ou 2 lors des essais cliniques (moins de 1 % de dysthyroïdies sévères de grade 3 ou 4). Leur diagnostic repose sur le dosage plasmatique de la TSH.
En cas de thyrotoxicose, le dosage des anticorps antirécepteurs de la TSH, la scintigraphie et l'échodoppler thyroïdien peuvent être réalisés si le diagnostic hésite entre une thyroïdite iatrogène et les autres diagnostics d'hyperthyroïdie, notamment si la thyrotoxicose est sévère. La thyrotoxicose est le plus souvent transitoire. En cas de thyrotoxicose asymptomatique, une surveillance clinique et hormonale peut être proposée. En cas de thyrotoxicose symptomatique, nous recommandons, sauf contre-indication, un traitement par β-bloquants. La corticothérapie sera donc discutée exclusivement pour les formes cliniquement sévères de thyrotoxicose.
Le traitement de l'hypothyroïdie repose sur la lévothyroxine. Ce traitement se justifie lorsque la concentration de TSH est supérieure à 10 mU/l, et se discute lorsqu'elle se situe entre 5 et 10 mUI/l sur 2 mesures successives, et qu'elle est associée soit à une symptomatologie clinique, soit à la présence d'anticorps anti-TPO. La lévothyroxine pourra être instaurée progressivement pour atteindre la posologie de 1 à 1,6 µg/kg/j, mais devra être adaptée à l'âge, aux comorbidités et au pronostic de survie du patient. Les modalités d'adaptation ne diffèrent pas de celles des autres hypothyroïdies.
Enfin, concernant l'immunothérapie, la stratégie thérapeutique doit être le résultat d'une concertation entre l'endocrinologue et le médecin qui la prescrit. La présence d'une pathologie thyroïdienne ou d'une dysfonction thyroïdienne préexistante traitée ne contre-indique pas un traitement par une immunothérapie. L'apparition d'une dysfonction thyroïdienne n'empêche pas la poursuite de l'immunothérapie. En cas de thyrotoxicose ou d'hypothyroïdie sévère, l'immunothérapie peut être reportée, mais ne doit en aucun cas être définitivement contre-indiquée.
L'évolution de l'hypothyroïdie après l'arrêt de l'immunothérapie est imprévisible. Il est conseillé de poursuivre la supplémentation thyroïdienne pendant toute la durée de l'immunothérapie. À l'arrêt de l'immunothérapie, on peut envisager un arrêt progressif de la lévothyroxine sous surveillance clinique et contrôle de la TSH (8).
Hypophysite induite par l'immunothérapie
L'hypophysite consécutive à une immunothérapie survient préférentiellement chez l'homme après 60 ans, 2 à 5 fois plus souvent que chez la femme. Sa prévalence dépend de la molécule utilisée en monothérapie ou en association (4-20 % avec l'ipilimumab, 8 % avec l'association ipilimumab + nivolumab, 0,6 % avec le nivolumab et 0,7 % avec le pembrolizumab). Le délai de survenue de l'hypophysite varie en fonction de la molécule : il est très court en cas de traitements combinés (30 jours en moyenne), se situe entre 2 et 3 mois avec un anti-CTLA-4, et entre 3 et 5 mois avec un anti-PD-1/PD-L1.
Le diagnostic doit être évoqué devant des symptômes cliniques évocateurs (les plus fréquents sont les céphalées et l'asthénie), une hyponatrémie, un déficit hypophysaire ou une imagerie hypophysaire anormale. Un syndrome polyuropolydipsique doit être systématiquement recherché. La biopsie n'a pas sa place dans la stratégie diagnostique, sauf pour écarter la possibilité d'une métastase hypophysaire. Le bilan à réaliser inclut un ionogramme sanguin à la recherche d'une hyponatrémie, un bilan hormonal incluant T4L (et TSH du fait du risque d'atteinte thyroïdienne périphérique sous immunothérapie), cortisolémie et ACTH (pour les rares cas d'insuffisance surrénalienne primaire décrits) à 8 heures (sauf situation aiguë) en l'absence de traitement par glucocorticoïde de synthèse, LH, FSH et estradiol chez la femme non ménopausée sans contraception orale en cas de troubles menstruels ou FSH chez la femme ménopausée ; LH, FSH et testostérone totale chez l'homme, et prolactinémie. L'IRM centrée sur l'hypophyse avec injection de gadolinium, idéalement en phase aiguë, est l'examen clé qui permettra également d'écarter les autres diagnostics possibles. Elle peut cependant être normale. À l'inverse, en cas d'IRM évocatrice d'une hypophysite en l'absence de déficit hypophysaire, une surveillance biologique rapprochée de la cortisolémie à 8 heures (hebdomadaire pendant 1 mois puis selon le rythme utilisé auparavant) devra être mise en place.
La prise en charge aiguë de l'hypophysite ne fait appel aux glucocorticoïdes à forte dose qu'en cas de céphalées majeures, de troubles visuels ou d'autres effets indésirables auto-immuns justifiant un tel traitement, car elle ne modifie pas l'évolution. La prise en charge du déficit corticotrope doit se faire en urgence et n'a aucune spécificité par rapport à celle du déficit corticotrope non iatrogène. Ce déficit doit être considéré comme définitif, les cas de récupération étant rares. À l'inverse, la prise en charge des déficits thyréotrope et gonadotrope est moins urgente, car la récupération est habituelle, et devra être discutée cas par cas, ou lors d'une réévaluation à 1 mois, voire plus tardivement pour le déficit gonadotrope. En cas de diabète insipide, le traitement est systématique.
Enfin, concernant l'immunothérapie, comme dans le cas des dysthyroïdies, la stratégie thérapeutique doit être le résultat d'une concertation entre l'endocrinologue et le médecin qui la prescrit. L'hypophysite ne constitue pas une contre-indication à la poursuite de l'immunothérapie, qui peut être décalée en phase aiguë. L'existence d'une hypophysite consécutive à une première molécule d'immunothérapie (anti-CTLA-4, anti-PD-1, anti-PD-L1) ne contre-indique pas l'utilisation d'une nouvelle molécule d'immunothérapie. L'existence d'un antécédent de pathologie hypophysaire ne contre-indique pas le traitement par immunothérapie. Une adaptation du traitement substitutif peut être nécessaire.
Chez les patients ayant présenté une hypophysite, le suivi clinique et hormonal (bilan antéhypophysaire à la recherche de nouveaux déficits et adaptation des traitements) doit être effectué à chaque cure pendant 6 mois, puis lors d'une consultation spécialisée tous les 3 mois pendant 6 mois, puis 2 fois par an. L'IRM hypophysaire peut être renouvelée une fois à 3 mois pour écarter la possibilité d'une métastase hypophysaire et évaluer l'évolution de l'atteinte hypophysaire (9, 10).
Insuffisance surrénalienne primaire induite par l'immunothérapie
L'insuffisance surrénalienne primaire (ISP) est un effet indésirable rare des immunothérapies. À ce jour, seuls 6 cas ont été suffisamment documentés sur le plan hormonal pour affirmer l'existence d'une ISP. Le mécanisme physiopathologique n'est pas connu. Des anticorps antisurrénales ont été détectés chez 2 patients. Une atrophie surrénalienne, semblable à celle observée en cas d'atteinte auto-immune, a également été décrite chez 1 patiente (11).
Les ISP induites par l'immunothérapie n'ont pas de spécificité clinique : elles associent un tableau aigu typique ou un tableau subaigu plus progressif (altération de l'état général isolée, perte de poids, diarrhées isolées, confusion, hyponatrémie) et plus difficile à diagnostiquer chez un patient atteint de cancer et recevant un traitement anticancéreux potentiellement toxique. Le délai médian d'apparition paraît très variable, de 2,5 à 5 mois en fonction de la molécule. L'ISP peut également survenir à distance de l'arrêt de l'immunothérapie.
En cas d'ISP, le dosage des anticorps anti-21-hydroxylase doit être réalisé pour rechercher une cause auto-immune. Lorsqu'une imagerie abdominale réalisée dans le cadre du suivi du cancer et datant de plus de 3 mois est disponible, un scanner surrénalien doit être effectué pour rechercher une variation morphologique des surrénales et afin d'écarter la possibilité de métastases surrénaliennes bilatérales ou d'une tuberculose.
La prise en charge de l'ISP ne présente aucune spécificité par rapport à celle des ISP non iatrogènes. En cas d'ISP aiguë, la prise en charge doit se faire en urgence. Compte tenu du caractère probablement définitif de l'ISP, la formation des équipes d'oncologie à la prise en charge de l'insuffisance surrénalienne est indispensable pour prévenir le risque d'insuffisance surrénalienne aiguë (en particulier en cas de vomissements). Les recommandations pour la prévention de l'insuffisance surrénalienne aiguë sont similaires à celles proposées pour tout patient ayant une insuffisance surrénalienne (12).
Diabète sucré induit par l'immunothérapie
Les nouveaux cas de diabète ont été décrits dans le contexte d'une prescription d'anticorps anti-PD-1/PD-L1, mais pas avec les anti-CTLA-4. Une série américaine récente retrouve une prévalence de 0,9 % (13). Sur le plan physiopathologique, PD-L1 est exprimé dans les îlots pancréatiques, et l'interaction PD-1/PD-L1 semble jouer un rôle protecteur contre le diabète auto-immun, en inhibant l'activation des lymphocytes T autoréactifs.
Les symptômes classiques d'insulinopénie, caractéristiques du diabète de type 1, sont retrouvés, tels que la polyurie, la polydipsie, l'amaigrissement ou l'asthénie. Dans les formes les plus sévères, qui sont majoritaires (diabète fulminant), le tableau clinique est associé à une acidocétose. Compte tenu du caractère souvent très brutal du diagnostic (“fulminant-like”), il est important d'apprendre au patient à reconnaître les symptômes annonciateurs du diabète (polyuropolydipsie, vomissements, douleurs abdominales). L'oncologue devra effectuer un dosage systématique de la glycémie chez un patient sous immunothérapie présentant ces signes. Le diabète est diagnostiqué au bout d'un délai médian de 20 semaines après le début du traitement par inhibiteurs de PD-1/PD-L1. Les autoanticorps spécifiques de la cellule β-pancréatique (anti-GAD, anti-IA-2, anti-ZnT8 et anti-îlots) sont présents chez environ la moitié des patients, et, parmi eux, les anticorps anti-GAD sont toujours retrouvés. Néanmoins, il n'est pas recommandé de doser ces anticorps avant le début de l'immunothérapie, car leur présence ne semble pas prédire la survenue d'un diabète. En revanche, il semble y avoir une prédisposition génétique, avec une fréquence augmentée du génotype HLA-DR4, présent chez 76 % des patients ayant développé un diabète sous immunothérapie dans l'étude américaine. Enfin, une élévation des enzymes pancréatiques (amylase ou lipase) a été retrouvée chez 32 % des patients de la série américaine.
Le patient doit être pris en charge par un service spécialisé ou par une équipe mobile de diabétologie, et recevoir en urgence une insulinothérapie par injections multiples. Au cours du suivi, il faut viser une hémoglobine glyquée (HbA1c) inférieure à 8 %. Du fait de données contradictoires d'efficacité dans la littérature, la corticothérapie n'est pas indiquée. L'immunothérapie sera poursuivie parallèlement à la mise en route de l'insulinothérapie et à la prise en charge du diabète, sauf en cas de situation sévère pour laquelle l'immunothérapie pourra être décalée de quelques jours.
Il y a peu de données dans la littérature concernant les patients diabétiques avant le début de l'immunothérapie. Néanmoins, nous recommandons le renforcement de la surveillance des glycémies capillaires dès l'introduction de l'immunothérapie. Les données de la littérature ne permettent pas de savoir si l'arrêt de l'immunothérapie favorise la rémission du diabète. Le traitement et la surveillance devront donc être poursuivis (14).
Conclusion
La prise en charge d'une endocrinopathie survenant au cours d'une immunothérapie nécessite une concertation entre endocrinologue et oncologue. Ce risque justifie une éducation des patients, mais aussi une formation des oncologues permettant une orientation diagnostique rapide en cas de signes d'alerte cliniques ou biologiques lors des examens de surveillance systématiques. Plus globalement, les 2 étapes primordiales que sont l'instauration et l'adaptation d'un traitement substitutif, et les procédures d'arrêt éventuel de ce traitement substitutif doivent toujours être discutées conjointement par les différents spécialistes prenant en charge le patient. Enfin, les consignes classiques du CTCAE concernant les endocrinopathies induites par l'immunothérapie doivent être analysées et suivies avec prudence, afin d'éviter l'arrêt non justifié d'un traitement antitumoral efficace, au détriment de la survie du patient (15).■
FIGURES
Références
1. Barroso-Sousa R, Barry WT, Garrido-Castro AC et al. Incidence of endocrine dysfunction following the use of different immune checkpoint inhibitor regimens: a systematic review and meta-analysis. JAMA Oncol 2018;4:173‑82.
2. Haanen JBAG, Carbonnel F, Robert C et al. Management of toxicities from immunotherapy: ESMO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up. Ann Oncol 2018;29(Suppl.4):iv264-6.
3. Postow MA, Sidlow R, Hellmann MD. Immune-related adverse events associated with immune checkpoint blockade. N Engl J Med 2018;378:158‑68.
4. Higham CE, Olsson-Brown A, Carroll P et al. Society for Endocrinology endocrine emergency guidance: acute management of the endocrine complications of checkpoint inhibitor therapy. Endocr Connect 2018;7:G1‑7.
5. Castinetti F, Albarel F, Archambeaud F et al. Endocrine side-effects of new anticancer therapies: overall monitoring and conclusions. Ann Endocrinol (Paris) 2018;79:591-5.
6. Castinetti F, Borson-Chazot F. Introduction to expert opinion on endocrine complications of new anticancer therapies. Ann Endocrinol (Paris) 2018;79:535-8.
7. Lahlou N, Raverot V. Expert opinions on endocrine toxicity induced by new anticancer therapies: precautions to be taken in performing and interpreting hormonal assays under immunotherapy. Ann Endocrinol (Paris) 2018;79:550-4.
8. Illouz F, Drui D, Caron P, Do Cao C. Expert opinion on thyroid complications in immunotherapy. Ann Endocrinol (Paris) 2018;79:555-61.
9. Albarel F, Gaudy C, Castinetti F et al. Long-term follow-up of ipilimumab-induced hypophysitis, a common adverse event of the anti-CTLA-4 antibody in melanoma. Eur J Endocrinol 2015;172:195‑204.
10. Briet C, Albarel F, Kuhn E et al. Expert opinion on pituitary complications in immunotherapy. Ann Endocrinol (Paris) 2018;79:562-8.
11. Hescot S, Haissaguerre M, Pautier P et al. Immunotherapy-induced Addison’s disease: A rare, persistent and potentially lethal side-effect. Eur J Cancer 2018;97:57‑8.
12. Haissaguerre M, Hescot S, Bertherat J, Chabre O. Expert opinions on adrenal complications in immunotherapy. Ann Endocrinol (Paris) 2018;79:539-44.
13. Wright JJ, Salem JE, Johnson DB et al. Increased reporting of immune checkpoint inhibitor-associated diabetes. Diabetes Care 2018;41:e150-1.
14. Smati S, Buffier P, Bouillet B et al. Expert opinion on immunotherapy induced diabetes. Ann Endocrinol (Paris) 2018;79:545-9.
15. Castinetti F, Albarel F, Archambeaud F et al. French Endocrine Society Guidance on endocrine side-effects of immunotherapy. Endocr Relat Cancer 2018 [Epub ahead of print].
Liens d'interêts
F. Castinetti et F. Borson-Chazot déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Les membres du consensus SFE 2018 n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts.
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Figure 1. Principaux mécanismes d’action des immunothérapies anticancéreuses. A. La réponse immunitaire contre un cancer nécessite l’activation des lymphocytes T au sein des organes lymphoïdes. Cette réponse fait appel à un premier signal de reconnaissance de l’antigène tumoral présenté par la cellule présentatrice d’antigène (CPA) via B7, et reconnu par CD28, présent sur le lymphocyte. CTLA-4 peut entrer en compétition avec CD28 pour empêcher cette reconnaissance, et bloquer l’activation du lymphocyte T. Un autre mécanisme de co-inhibition est représenté par la liaison entre PD-1 (présent sur le lymphocyte T) et PD-L1 (présent sur la CPA). Au sein du lit tumoral, ce mécanisme d’inhibition de PD-1/PD-L1 est également présent, puisque certaines cellules cancéreuses expriment PD-L1. B. L’immunothérapie peut être basée sur des anticorps anti-CTLA-4 (qui vont bloquer la compétition CTLA-4-CD28, et permettre la reconnaissance de l’antigène lors de la présentation de B7 à CD28) ou des anticorps anti-PD-1/PD-L1 (qui vont empêcher le mécanisme co-inhibiteur assuré par la liaison PD-1/PD-L1). L’immunothérapie aboutit ainsi à une prolifération lymphocytaire et à la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires, un des mécanismes permettant la réponse immunitaire contre les cellules cancéreuses.

Figure 2. Bilan biologique avant et pendant l’immunothérapie, en l’absence d’effet indésirable endocrinien.
