Cas clinique

Une infection bien particulière chez une patiente anorexique

Mis en ligne le 21/08/2018

Mis à jour le 03/09/2018

Auteurs : Fanny Gimet, Ariane Sultan

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Mme D., 46 ans, a été adressée en urgence par son médecin traitant dans le service de nutrition du CHRU de Montpellier en janvier 2018 pour anorexie mentale sévère.

Le trouble du comportement alimentaire (TCA) de cette patiente évolue depuis son adolescence, sans prise en charge antérieure ; on note une aggravation de la perte pondérale depuis la naissance de son fils en 2010 et à la suite de conflits conjugaux.

Son poids de forme avant la grossesse était de 54 kg pour 1 m 73, soit un indice de masse corporelle (IMC) à 18,06 kg/m2.

En 2010, Mme D. est enceinte : la grossesse est spontanée, se déroule sans complication. Son fils naît à terme, pèse 3,7 kg à la naissance et est en bonne santé. La perte de poids de Mme D est ensuite progressive jusqu'à atteindre 30 kg. La patiente se décrit comme ayant toujours été mince. Elle ne rapporte pas de préoccupation corporelle, pas d'envie de perdre du poids.

Sur le plan alimentaire, Mme D. est végétarienne depuis l'âge de 18 ans. Elle prend 3 repas par jour. On note une restriction et une sélectivité alimentaires sur des aliments “sains” : fruits, légumes, légumineuses, etc., et une absence complète de consommation de produits gras et sucrés. Il n'existe pas de comportement compensatoire : pas de vomissement, pas de prise de diurétique ni de laxatif. Mme D. manifeste cependant une tendance à l'hyperactivité physique. Il n'existe pas de dysmorphophobie mais une ambivalence marquée sur la nécessité de prendre du poids sans reconnaissance du trouble alimentaire.

Mme D. est en aménorrhée secondaire depuis 2011.

Aide à domicile, elle est actuellement en arrêt de travail. Elle est séparée et vit seule avec son fils.

À son arrivée dans le service, Mme D. présente un état de maigreur (30 kg pour 1 m 73, soit un IMC de 10 kg/m2). On note un syndrome respiratoire provoquant toux et crachats, sans fièvre. Elle avait consulté quelques jours plus tôt dans une clinique pour cette symptomato­logie étiquetée pneumopathie ­communautaire lobaire gauche, traitée par amoxicilline/acide clavulanique à la dose de 1 g × 3/j pendant 7 jours. L'examen cardiovasculaire retrouve une tachycardie sinusale à 102 bpm et une tension artérielle à 90/60 mmHg. Il n'y a pas d'œdème des membres inférieurs. L'examen cutané montre un lanugo diffus au niveau du visage et du dos. L'auscultation pulmonaire retrouve un foyer auscultatoire lobaire apical gauche. Le reste de ­l'examen est sans particularité.

Le bilan biologique d'entrée met en évidence une anémie à 8 g/dl, un syndrome inflammatoire biologique s'accompagnant d'une augmentation modérée de la protéine C réactive (CRP) à 35 mg/l et des plaquettes sans hyperleucocytose. Le ionogramme sanguin retrouve une hyponatrémie à 135 mmol/l ; le reste du bilan ionique est normal, y compris la kaliémie et le bilan phosphocalcique. La glycémie veineuse est ­normale à 0,8 g/l. Les marqueurs nutritionnels albumine et pré­albumine plasmatiques sont abaissés : 27 g/l et < 0,05 g/l respectivement. Il existe une cytolyse hépatique < 2 N, sans cholestase associée.

Sur le plan thérapeutique, l'état nutritionnel de Mme D. a nécessité une renutrition rapide, après recharge en vitamines par voie intraveineuse, et oligoéléments par voie entérale.

Une sonde nasogastrique pédiatrique a été posée. Plusieurs contrôles radiographiques et scano­graphiques ont été nécessaires pour vérifier le bon positionnement de la sonde du fait de son petit calibre.

L'un de ces contrôles scanographiques a mis en évidence des nodules pulmonaires intraparenchymateux diffus (figure 1 ). Ces images s'associent à une lésion excavée pulmonaire apicale gauche visualisée sur les radiographies (figures 2A et 2B ).

Devant une clinique et des lésions d'imagerie compatibles, l'avis pneumologique demandé nous oriente d'emblée vers une tuberculose maladie.

Les prélèvements bactériologiques réalisés (BK crachats, tubage gastrique et liquide d'aspiration bronchique [lavage bronchoalvéolaire ou LBA]) retrouvent des bacilles acido-alcoolo-résistants (BAAR) à l'examen direct. Une quadrithérapie orale antituberculeuse par rifampicine, isoniazide, pyrazinamide et éthambutol est débutée immédiatement après l'obtention de ces résultats, en accord avec l'équipe d'infectiologie. Les mesures associées (déclaration obligatoire, isolement “air”) sont réalisées.

La recherche de comorbidités associées (VIH, VHB, VHC, aspergillose) et de localisations secondaires (abcès cérébral) est négative, ainsi que le test QuantiFERON®. Parallèlement au traitement de l'infection, le protocole de renutrition est débuté de façon prudente, étant donné le fort risque de syndrome de renutrition inappropriée.

Deux semaines plus tard, nous obtenons les résul­tats des cultures bactériologiques : positives à Mycobacterium chimaera, mycobactérie non tuberculeuse du complexe avium, à l'origine d'infection chez les personnes immunodéprimées non VIH (1, 2). Au vu de ces résultats, le diagnostic étiologique est donc une pneumopathie infectieuse acquise du sujet immunodéprimé à Mycobacterium chimaera. Ce germe n'est pas à transmission interhumaine et se retrouve, entre autres, chez les animaux marins. Il est possible que Mme D. ait contracté ce germe quelques années plus tôt, alors qu'elle travaillait dans un aquarium. Le traitement spécifique par tri-antibiothérapie est débuté en mars 2018 pour une durée de 8 semaines (3).

Ce cas clinique illustre les complications infectieuses pouvant se rencontrer dans l'anorexie mentale. En effet, l'état de dénutrition est associé à une leucopénie (par hypoplasie médullaire), à un déficit de l'immunité cellulaire et à une hypocomplémentémie s'accompagnant d'une majoration du risque infectieux. D'autres anomalies biologiques, rencontrées dans l'anorexie mentale, peuvent être responsables d'un déficit immunitaire comme une hypovitaminose D3. En effet, la vitamine D3 a des effets extraosseux. La carence sévère en vitamine D3 semble être liée à une diminution de la réponse inflammatoire dans le cadre de TCA chronique (4). De plus, le déficit en vitamine D est associé à une augmentation du risque de sepsis (5). D'autres perturbations biologiques retrouvées dans l'anorexie mentale sont également reliées à une augmentation du risque infectieux.

Ainsi, la carence protéique augmente la susceptibilité et le risque de mortalité par infection (6, 7). Elle entraîne notamment une réponse immunitaire cellulaire anormale (lymphocytes B et T), une altération du rôle de la barrière intestinale responsable d'une augmentation du risque d'infections et une altération de la phagocytose macrophagique (rôle contre les infections parasitaires et fongiques essentiellement) [8-11]. Par ailleurs, les carences en micronutriments (zinc, etc.) peuvent altérer les 2 types de réponse immunitaire : innée et adaptative. Le zinc est un important coenzyme impliqué dans la réponse immune et est essentiel dans le fonction­nement du thymus. La phagocytose et l'activité lymphocytaire sont diminuées, voire supprimées en cas de carence (12-15). Il y a peu de données étudiant le lien entre mortalité et infection chez les patients souffrant de TCA. Une méta-analyse publiée en 2007, portant sur 2 240 patientes suivies pendant 8 ans, retrouve un taux de mortalité de 3 % chez les patientes anorexiques, hors suicide. Il s'agit du taux de mortalité par affection liée à l'anorexie (16).

L'anorexie mentale est un trouble psychiatrique grave ayant le taux de mortalité le plus élevé de tous les troubles psychiatriques (5 % chez les adultes) [17]. Dans notre cas, Mme D. a été hospitalisée en urgence devant des signes de gravité cliniques et notamment un IMC à 10 kg/m2 (18). Le syndrome inflammatoire biologique n'était pas important, mais la tachycardie de repos chez un patient très dénutri dans un contexte d'anorexie mentale doit orienter les investigations vers une pathologie aiguë sous-jacente (19, 20). Les complications infectieuses de la dénutrition sont bien décrites, secondaires à cet état d'immunodépression acquise responsable d'infections opportunistes et de la pathogénicité de germes tels que Mycobacterium chimaera. Un cas similaire a été décrit en 2010 chez un homme atteint d'anorexie mentale (21). De plus, la sévérité du TCA est un facteur pronostique de l'infection. Ainsi, un IMC inférieur à 18,5 est un facteur pronostique négatif chez les patients non VIH infectés par un germe du complexe avium (22, 23).

En résumé, ce cas clinique décrit l'une des complications somatiques graves de la dénutrition secondaire à un TCA : l'infection. Notre patiente, souffrant d'une anorexie mentale ancienne et sévère, a présenté une infection pulmonaire mycobactérienne atypique, dont le principal diagnostic différentiel est une tuberculose maladie.■


FIGURES

Références

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2. Lande L, George J, Plush T. Mycobacterium avium complex pulmonary disease: new epidemiology and management concepts. Curr Opin Infect Dis 2018;31:199‑207.

3. Moon SM, Kim SY, Jhun BW et al. Clinical characteristics and treatment outcomes of pulmonary disease caused by Mycobacterium chimaera. Diagn Microbiol Infect Dis 2016;86:382‑4.

4. Tasegian A, Curcio F, Dalla Ragione L et al. Hypovitaminosis D3, leukopenia, and human serotonin transporter polymorphism in anorexia nervosa and bulimia nervosa. Mediators Inflamm 2016;2016:8046479.

5. Upala S, Sanguankeo A, Permpalung N. Significant association between vitamin D deficiency and sepsis: a systematic review and meta-analysis. BMC Anesthesiol 2015;15:84.

6. Müller O, Garenne M, Kouyaté B, Becher H. The association between protein-energy malnutrition, malaria morbidity and all-cause mortality in West African children. Trop Med Int Health 2003;8:507‑11.

7. Pocino M, Malavé I. Enhancement of the in vitro antibody response in dietary protein restriction. Failure in the regulation of antibody synthesis. Immunology 1981;43:235‑40.

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23. Morimoto K, Yoshiyama T, Kurashima A et al. Nutritional indicators are correlated with the radiological severity score in patients with Mycobacterium avium complex pulmonary disease: a cross-sectional study. Intern Med 2014;53:397‑401.

Liens d'interêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

auteurs
Pr Ariane SULTAN

Médecin, Endocrinologie et métabolismes, CHU Lapeyronie, Montpellier, France

Contributions et liens d’intérêts
centre(s) d’intérêt
Endocrinologie
thématique(s)
Nutrition
Mots-clés