Cas clinique

Syndrome de Cushing, ACTH-dépendant ou non ?

Mis en ligne le 18/03/2018

Auteurs : Jean-Marc Kuhn

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Monsieur D., âgé de 46 ans, consulte pour une hypertension artérielle non contrôlée par une trithérapie associant aténolol, furosémide et spironolactone. En dépit de ses inconvénients chez l'homme, le traitement par anti-aldostérone a été associé aux deux premiers hypotenseurs, à la fois en raison de la persistance d'une pression artérielle restée supérieure à l'objectif avec un double traitement antihypertenseur et d'une kaliémie basse. Malgré la trithérapie antihypertensive, la pression artérielle est toujours trop élevée. M. D. n'a pas d'autre antécédent pathologique que l'hypertension artérielle, détectée par la médecine du travail quelques années auparavant. L'examen clinique est d'emblée évocateur d'un hypercortisolisme. À l'hypertension artérielle résistante s'associent en effet une obésité tronculaire (93 kg pour 1,77 m, IMC = 29,7 kg/m2), une fragilité cutanée, des vergetures violacées au niveau des flancs et une atrophie musculaire des membres inférieurs. La pression artérielle est mesurée à 185/105 mmHg et le rythme cardiaque à 72 pulsations par minute. Sous le triple traitement antihypertenseur, la kaliémie plafonne à 3,2 mmol/l. La cortisolurie est mesurée à 826 nmol/24 h (n = 55-220). À 8 heures, le cortisol plasmatique est de 806 nmol/l (n = 250-850), chiffre qui reste élevé (760 nmol/l) à 20 heures. La mesure du cortisol salivaire à minuit (15 nmol/l, n < 5) confirme l'hyper­cortisolisme. Le taux d'ACTH (adrenocorticotropic hormone) plasmatique, détectable à l'état de traces, est à 11 pg/ml à 8 heures (n = 10-80) et demeure identique sur le prélèvement vespéral. Les cortisolémie et cortisolurie ne sont pas modifiées par l'administration orale de 2 mg/j de dexaméthasone ni par celle de 8 mg/j, chacune des doses ayant été prise pendant 2 jours. L'orthostatisme et la prise orale de cisapride (agoniste sérotoninergique 5-HT4) sont suivis d'une ascension du taux de cortisol plasmatique supérieure à 25 % (réponse considérée comme significative), tandis que la prise orale de salbutamol (agoniste β-adrénergique) ou l'injection de glucagon n'entraînent aucune modification de la cortiso­lémie. Le taux de rénine plasmatique, mesuré sous traitement antihypertenseur, est de 23 ng/l (n = 7-19) et celui d'aldostérone de 203 pmol/l (n = 25-300). Les résultats des mesures des taux plasmatiques des stéroïdes précurseurs des gluco- et minéralocorticoïdes sont mentionnés dans le tableau I . Le taux sanguin de sulfate de déhydroépiandrostérone (SDHA) est mesuré à 4,3 mg/l (n = 0,7-3,8) et celui de testostérone à 2,13 ng/ml (n = 4-10). L'hormone lutéinisante (LH) plasmatique s'inscrit dans la fourchette des valeurs normales à 3,5 U/l (n < 7). L'élimination urinaire des catécholamines et de leurs dérivés métaboliques, mesurée à 3 reprises, est normale (normétanéphrine : 1,6 μmol/24 h [n = 0,5-2], métanéphrines : 0,8 μmol/24 h [n = 0,35-1]). L'IRM de la région hypophysaire ne révèle aucune anomalie suggérant la présence d'un adénome corticotrope (figure 1). À l'inverse, l'IRM des aires surrénaliennes permet d'identifier une hyperplasie macronodulaire des 2 surrénales dont le volume est globalement augmenté (figure 2). Le diagnostic de syndrome de Cushing est, à ce stade, clairement établi. Il explique l'hypertension artérielle résistante, la surcharge pondérale, les signes cliniques de catabolisme tissulaire. L'hypokaliémie, dont l'hypercortisolisme est partiellement responsable, apparaît principalement liée à la production excessive de précurseurs minéralocorticoïdes. Reste donc à ce stade à préciser l'étiologie du syndrome de Cushing. L'ensemble des résultats des examens radiologiques et hormonaux ne permet pas de le classer sans conteste dans l'un des trois cadres étiologiques les plus fréquents : maladie de Cushing liée à la présence d'un adénome hypophysaire corticotrope, tumeur surrénalienne unilatérale (adénome ou corticosurrénalome), et sécrétion ectopique d'ACTH. En effet, même si l'examen par IRM de la région hypophysaire peut être négatif dans d'authentiques maladies de Cushing (1), le taux d'ACTH plasmatique ne s'inscrit pas dans une zone compatible avec ce dia­gnostic (2, 3). De plus, l'aspect radiologique des surrénales est inhabituel pour une maladie de Cushing et donc discordant avec cette hypothèse. Le diagnostic d'adénome surrénalien, ou de corticosurrénalome, source d'une sécrétion autonome de cortisol n'est pas compatible avec la valeur du taux d'ACTH plasmatique. Par rétrocontrôle négatif du cortisol d'origine tumorale sur les cellules hypophysaires corticotropes, le taux d'ACTH plasmatique est inférieur à la limite de détection du dosage dans ce cadre étiologique (2). En outre, l'image radiologique des surrénales conduit à réfuter ce diagnostic. Enfin, l'hypothèse d'une sécrétion ectopique d'ACTH peut également être écartée, moins en raison de l'aspect des surrénales que du taux bas d'ACTH plasmatique. En effet, même dans les syndromes de Cushing paranéoplasiques liés à de petites tumeurs carcinoïdes, les taux plasmatiques d'ACTH d'origine tumorale s'avèrent nettement plus élevés (2, 3). Argument supplémentaire, la normalité des taux plasmatiques de gastrine, peptide vasoactif intestinal (vasoactive intestinal polypeptide [VIP]) et calcitonine conforte l'éviction de l'étiologie paranéoplasique. Le diagnostic étiologique doit donc être orienté vers des causes plus exceptionnelles de syndrome de Cushing.

Le diagnostic de PPNAD (primary pigmented nodular adrenal disease), lié dans la majorité des cas à un défaut de régulation de l'activité de la protéine kinase A, n'est compatible ni avec le taux d'ACTH plasmatique (4), ni avec l'impavidité de la cortisolémie lors des tests de freination par dexaméthasone. Le résultat de l'imagerie des surrénales fournit un argument supplémentaire pour écarter l'hypothèse de PPNAD. En effet, dans cette pathologie, l'atteinte surrénalienne est bilatérale mais les glandes surrénales ont un aspect polymicro­nodulaire. Si l'on exclut le taux bas mais mesurable de l'ACTH, les syndromes de Cushing directement liés à l'expression “illégitime“ de récepteurs sont compatibles avec l'aspect radiologique polymacronodulaire des surrénales. L'expression “illégitime“ peut concerner des récepteurs physiologiquement absents des cellules corticosurrénaliennes (gastric inhibitory peptide [GIP], V2 de la vasopressine, β-adrénergique, glucagon, sérotoninergique de type 5-HT7). Il peut également s'agir d'une expression excessive de récepteurs eutopiques (LH/hCG, V1 de la vasopressine, sérotoninergique de type 5-HT4) (5). Certaines nuances sémiologiques permettent cependant d'écarter, chez M. D., un certain nombre de candidats à cette étiologie rare (< 1 % des cas) de syndrome de Cushing. Ceux qui sont liés à l'expression “illégitime“ des récepteurs du GIP se caractérisent par un taux bas de cortisol matinal et son ascension après la prise alimentaire (6). Ce profil n'est pas observé chez M. D. Les syndromes de Cushing liés à l'expression, à un niveau supraphysiologique, de récepteurs de la LH/hCG sont plus spécifiquement observés lorsque le taux de l'une ou l'autre de ces hormones est élevé, c'est-à-dire chez la femme enceinte ou la femme ménopausée. Telle n'est pas, à l'évidence, la situation du patient. Enfin, les résultats des tests explorant la sensibilité de la sécrétion de cortisol à différents stimuli (orthostatisme, glucagon, 5-HT4, agoniste ß-adrénergique) suggèrent que certains de ces facteurs peuvent participer au mécanisme physiopathologique de cette hypertrophie macro­nodulaire bilatérale du tissu cortico­surrénalien (7, 8). Cependant, la modestie de leur influence évoque l'existence d'une production intrasurrénalienne du facteur majeur de stimulation de la sécrétion de cortisol : l'ACTH. Un processus de ce type a été récemment mis en évidence (9) au cours d'hyperplasies macronodulaires bilatérales des surrénales (bilateral macronodular adrenal hyperplasia [BMAH]). Avant la programmation d'un geste chirurgical sur l'une ou l'autre surrénale, a donc été réalisé un cathétérisme des sinus pétreux inférieurs avec sensibilisation par la oCRH (ovine corticotropin-releasing hormone) [1 mg/kg] afin d'exclure formellement une production d'ACTH hypophysaire (10, 11). Le gradient d'ACTH centro­périphérique va permettre de confirmer que les traces d'ACTH présentes dans la circulation générale n'ont pas une origine hypophysaire. Le diagnostic retenu est donc celui de syndrome de Cushing avec BMAH par production in situ d'ACTH par une sous-population de cellules corticosurrénaliennes (7, 12). Cette production intrasurrénalienne d'ACTH paraît responsable à la fois de l'hypercortisolisme et de la production des précurseurs minéralocorticoïdes par la zone fasciculée du tissu surrénalien.

Même en l'absence de cas familial similaire, un tel diagnostic justifie de réaliser l'étude des divers gènes potentiellement en cause. Les processus inducteurs des BMAH paraissent, en effet, génétiquement déterminés. La liste des gènes impliqués inclut notamment MEN1 (multiple endocrine neoplasia type 1), APC (familial adenomatous polyposis [FAP]), MC2R (melanocortin type 2 receptor), FH (fumarate hydratase), EDNRA (endothelin receptor type A) et plusieurs gènes codant pour des acteurs de la voie de l'adénylate cyclase (13). Il y a une chance sur deux pour que l'étude génétique réalisée chez M. D. révèle la présence d'une mutation du gène suppresseur de tumeur ARMC5, impliqué dans 50 % des BMAH (14).

À l'exception de situations très particulières où une thérapeutique médicale peut être envisagée, le traitement repose sur la chirurgie surrénalienne. Elle est d'autant plus justifiée dans le cas d'un hyper­cortisolisme manifeste et de glandes surrénales volumineuses. C'est la situation observée chez M. D., chez qui une surrénalectomie bilatérale, justifiée par l'intensité de l'hypercortisolisme, a été réalisée. L'ablation des deux surrénales a l'inconvénient majeur de remplacer une maladie, le syndrome de Cushing, par une autre, le déficit corticosurrénalien. Lorsque la BMAH est responsable d'un hypercortisolisme d'intensité modérée ou d'un syndrome de Cushing infraclinique, l'ablation de la surrénale la plus volumineuse représente une alternative intéressante. Elle permet d'obtenir une rémission de l'hypercortisolisme avec de faibles risques d'induction d'une insuffisance surrénale ou de récidive du syndrome de Cushing (15, 16). L'ablation des sur­rénales de M. D. a été réalisée par voie lombo­scopique et suivie d'une substitution par hydro­cortisone. Quelques jours après l'intervention, le taux plasmatique matinal d'ACTH, mesuré avant toute prise d'hydrocortisone, reste bas, tandis que celui de cortisol est indétectable. Le traitement antihypertenseur a pu être significativement allégé. À la substitution en hydro­cortisone (30 mg/j) a été associée une dose quotidienne modérée (50 μg) de 9α-fluorohydrocortisone. La suppression de l'hyper­cortisolisme a permis d'obtenir une amélioration très nette de l'état clinique du patient qui, avec la substitution hormonale, reste en parfait eucortisolisme. L'examen immunohistochimique de la pièce de sur­rénalectomie va identifier au sein de la tumeur la présence de cellules corticosurrénaliennes immunopositives pour l'ACTH et négatives pour la chromo­granine A. Ainsi, même si l'ACTH est produite in situ par certaines cellules corticosurrénaliennes et qu'elle stimule la stéroïdogenèse par un mécanisme intra­glandulaire auto- et/ou paracrine, elle paraît bien responsable du syndrome de Cushing de M. D. Son affection est donc à classer dans le cadre des hypercortisolismes ACTH-dépendants par production extra­hypophysaire de corticotrophine.■


FIGURES

Références

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Liens d'interêts

L'auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

auteur
Dr Jean-Marc KUHN

Médecin
Endocrinologie et métabolismes
CHU, Rouen
France
Contributions et liens d'intérêts

centre(s) d’intérêt
Endocrinologie
thématique(s)
Hormones
Mots-clés