Prise en charge conjointe ville-hôpital de l'arrêt du tabac : une expérience de pédagogie active en addictologie
- Dans le contexte actuel de demande croissante d'aide à l'arrêt du tabac, nous avons posé l'hypothèse que les médecins de proximité sont bien placés pour accompagner leurs patients fumeurs vers l'abstinence, si on leur transmet les repères principaux en addictologie : notions de maladie addictive, modalités thérapeutiques pharmacologiques et comportementales, chronologie optimale des consultations de suivi. Nous avons expérimenté une nouvelle modalité pédagogique sous la forme d'une prise en charge conjointe addictologue/médecin traitant, permettant un transfert de compétences pratiques. Nous avons proposé aux médecins une structuration des consultations compatible avec leurs contraintes, et aux patients d'être acteurs de leur parcours. Trente médecins généralistes de l'agglomération bordelaise ont été impliqués dans cette expérience inédite que nous avons conduite à l'hôpital Suburbain du Bouscat (Gironde) en septembre et octobre 2017. L'évaluation du dispositif s'est révélée positive, tant au niveau des taux d'abstinence obtenus, que du vécu exprimé par les professionnels et les patients. Le dispositif va être diffusé en région, via la COREADD¹ (coordination régionale addictions Nouvelle-Aquitaine)
Contexte et enjeux
On assiste actuellement à une forte majoration de la demande d'aide à l'arrêt du tabac, favorisée par les politiques actuelles de santé publique (remboursement des traitements, augmentation des prix, campagnes nationale, etc.). Les personnes aux prises avec leur addiction sont de plus en plus sensibilisées à la nécessité d'un accompagnement. Les consultations spécialisées en addictologie, saturées, doivent pourtant maintenir l'accueil et le suivi soutenu des patients fumeurs les plus complexes (polyaddictions, comorbidités psychiatriques, fragilité sociale) ou requérant une gestion urgente (en préopératoire, grossesse ou suites immédiates d'accident cardiovasculaire).
Par ailleurs, il paraît naturel d'impliquer les médecins généralistes dans la prise en charge des cas habituels d'addiction au tabac, comme ils en ont une large habitude pour de nombreuses autres maladies chroniques, telles que le diabète, l'hypertension, la bronchite chronique ou encore les pathologies anxiodépressives. De plus, l'arrêt du tabac constitue justement, pour une grande part, un élément thérapeutique de ces maladies. Or, les freins à cet investissement sont régulièrement cités : manque de demande des patients (1), manque de formation, manque de temps (2, 3). Une réduction du nombre de fumeurs dans une patientèle pourrait cependant, de facto, alléger la charge inutile des consultations motivées par les conséquences directes d'un tabagisme actif, et donc libérer du temps médical.
Nous avons tenté de mettre en œuvre les leviers d'action ajustés aux problématiques soulevées : organisation de la demande des patients vers leur médecin référent, proposition d'une méthode pédagogique novatrice, structuration du contenu des consultations adaptée aux contraintes des praticiens.
Matériel et méthode
Le socle du dispositif
L'évaluation de la consultation d'aide à l'arrêt du tabac de l'Hôpital Suburbain du Bouscat (HSB), réalisée en 2016 sur les 5 dernières années de consultation, dans le cadre d'une thèse de médecine, et avec l'appui universitaire du pôle addictologie du centre hospitalier Ch. Perrens (Bordeaux), avait révélé plus de 60 % d'arrêt du tabac de plus de 6 mois (4), ce qui nous a encouragé à formaliser notre méthodologie. C'est ainsi qu'est née cette idée de construire un partenariat ville-hôpital dont l'objectif principal était de familiariser les médecins traitants avec l'aide à l'arrêt du tabac selon le modèle de la pédagogie active (5). Son caractère novateur résidait dans la prise en charge conjointe entre la consultation spécialisée d'addictologie de l'HSB et les médecins traitants des patients concernés. Nous avons développé des consultations alternées sur la base d'un protocole commun, et d'un dossier partagé. L'inclusion des médecins était consécutive à celle des patients : leur accord préalable était sollicité par téléphone avant l'envoi du courrier d'information.
La conception du parcours
Chronologie des rencontres
La chronologie des rencontres successives était basée sur la même architecture que la base d'accompagnement habituelle de la consultation de l'HSB sur les 6 premiers mois d'aide à l'arrêt du tabac, étant entendu que l'objectif fixé était l'expérience par les médecins traitants d'une abstinence stabilisée. L'accompagnement d'une rémission durable de l'addiction est bien sûr plus longue. Le suivi comprenait des consultations hebdomadaires jusqu'à la stabilisation de l'arrêt, (généralement 4 à 5 semaines), puis mensuelles sur les 6 mois suivants. Il s'agissait d'une ossature de base, bien évidemment destinée à être adaptée à l'évolution individuelle du patient.
Distribution des consultations
La ventilation des consultations respectives entre médecin traitant et spécialiste, était planifiée (figure 1) : les 2 premières, plus longues, posant les jalons d'une prise en charge globale du patient, ainsi que la clarification des concepts d'addictologie et des principes thérapeutiques, étaient dévolues à la consultation hospitalière, comme incité par la phase test. Il s'agissait aussi de prendre la responsabilité des prescriptions initiales, notamment médicamenteuses. Les 2 suivantes revenaient au médecin généraliste pour qu'il accompagne l'évolution, généralement favorable de son patient, dans sa réduction de consommation. Il devait alors évaluer les symptômes de sevrage, la tolérance au traitement, l'adhésion à la thérapie comportementale, ce qui restait relativement simple.
De cette façon, le praticien était sollicité par le patient lui-même. La consultation à 1 mois de traitement, de nouveau à l'hôpital, visait à acter l'arrêt ou renforcer le cheminement des patients plus difficiles, le cas échéant adapter la thérapeutique, gérer les problèmes d'intolérance au traitement ou de symptômes de sevrage, qui pourraient mettre les médecins en difficulté. L'accession à l'arrêt pouvant être généralement obtenue peu de temps après, le patient était réadressé à son médecin, qui vivait ainsi directement la réussite de son patient et voyait sa propre action valorisée.
Il était proposé un traitement addictolytique de soutien par varénicline ou par substituts nicotiniques. Les prescriptions initiées en consultation hospitalière étaient volontairement de durée réduite pour permettre au praticien de prendre la main.
Le patient était revu en consultation spécialisée à 3 mois pour une évaluation clinique ainsi qu'à 6 mois, et encouragé dans l'intervalle à revoir son médecin régulièrement, au moins mensuellement, en consultation (dédiée ou non), et à poursuivre les thérapeutiques initiées. Cela permettait cette fois au médecin d'intégrer le sujet du tabac en consultations classiques, dans l'objectif de pérenniser le suivi.
Les outils mobilisés
Un courrier
Un courrier informant clairement les médecins des enjeux de leur implication leur était adressé dès leur accord téléphonique. Celui-ci était obtenu lors de la venue de leur patient en consultation hospitalière, qu'il soit adressé ou non. Il précisait les objectifs, annonçait le parcours simplifié et mentionnait le principe d'une consultation dédiée, non chronophage, car guidée par des repères clairs. Ainsi étaient posées les bases de la pédagogie active, telles que la perception de l'utilité, la compréhension claire des buts et la facilité d'action (6).
Un synoptique des consultations
Un synoptique proposant des contenus simplifiés pour chaque consultation du parcours, qu'elle soit hospitalière ou de médecine générale, figurait au verso du courrier (figure 2). Ce synoptique leur permettait de visualiser la succession des interventions médicales respectives attendues, leurs repères chronologiques, et leurs objectifs permettant de guider le patient dans un temps imparti compatible avec l'activité de médecine générale. Il précisait également des repères de gestion pharmacologique, par varénicline ou par patchs nicotiniques (version adaptée). La visualisation synthétique sur une page a prévalu sur l'exhaustivité des informations.
Le dossier patient
Le dossier patient était remis en main propre à celui-ci à l'issue de la 2e consultation, afin de l'amener à son médecin, pour qu'il en prenne connaissance et appose lui-même les observations de ses propres consultations. Le dossier était récupéré à la consultation hospitalière du 3e mois. Les informations écrites par l'addictologue visaient à familiariser le praticien avec les principes de prise en charge en addictologie (7). Un carnet de traçabilité était proposé, comme support de thérapie comportementale ainsi que pour la gestion du craving (8).
Ainsi il s'agissait bien d'un dispositif tripartite (figure 3), intégrant de façon active la consultation spécialisée, le médecin traitant et le patient lui-même, chargé de prendre ses rendez-vous, porteur de son dossier, et transmetteur des éléments cognitifs et comportementaux utiles à sa prise en charge.
Une assistance téléphonique
Un numéro de téléphone était mis à disposition des médecins pour toute question relative à la prise en charge du patient.
La formation
Une soirée de formation présentielle a été programmée en début d'expérimentation, pour renforcer les tenants et aboutissants du dispositif et permettre les échanges directs avec les médecins. Il s'agissait de rappeler les concepts essentiels en addictologie, les points cardinaux de la prise en charge, le fonctionnement d'un traitement addictolytique et les modalités de soutien relationnel. Elle indiquait aussi le lien Internet vers les tutoriels d'autoformation “addictutos” d'AGIR33-Aquitaine (9).
L'évaluation du dispositif
L'évaluation du dispositif a été formalisée dès la conception de l'expérimentation pour en considérer les premiers enseignements. Elle concernait l'efficacité du parcours en termes de suivi et de résultats, le vécu des médecins et leur sentiment d'aptitude, ainsi que le suivi, les résultats, et le ressenti des patients. L'évaluation qualitative auprès des médecins a été menée par une doctorante dans le cadre de sa thèse universitaire de médecine générale (10), en entretiens individuels en face à face. L'évaluation qualitative auprès des patients a été réalisée par l'addictologue lors de la consultation hospitalière du 3e mois. L'efficacité du parcours a été évaluée sur dossiers en binôme doctorante/addictologue.
Résultats
La population d'étude
L'inclusion des participants (figure 4) : cette expérimentation a été menée sur 2 mois, en septembre et octobre 2017, espérant préparer les praticiens à l'afflux potentiel de demandes d'aide dans le cadre de la campagne du “Moi(s) sans Tabac” de novembre. Durant la période, 47 patients se sont présentés à la consultation, dont la moitié était adressée par leur médecin traitant, les autres de leur propre initiative. Parmi ces 47 patients, 44 étaient décidés à tenter l'arrêt du tabac, 13 patients ont été gardés en prise en charge hospitalière exclusive. Il s'agissait de 4 patients urgents, 6 patients difficiles, 2 impossibilités de suivi en médecine de ville. Un seul refus a été opposé par une patiente qui était en rechute et demandait à être de nouveau suivie en consultation spécialisée. Finalement, ce sont 31 patients qui ont été intégrés dans l'expérience (dont 2 patients ayant le même médecin traitant).
La participation a été optimale : tous les patients éligibles à l'inclusion dans le projet, sauf un, ont donné leur accord pour participer, après la présentation de l'expérience et ses enjeux. Tous leurs médecins traitants respectifs ont accepté de s'engager dans le partenariat proposé, après avoir été sollicités directement par téléphone.
L'efficacité du dispositif
Le suivi du parcours
L'évaluation du suivi du parcours a été réalisée sur la période de 3 mois, durant laquelle sont programmées les 5 consultations dédiées chez le médecin traitant (MT). Elle porte sur 28 dossiers, 3 dossiers n'ayant pas pu être récupérés.
- 25 % des patients (n = 7/ 28) ont réalisé le parcours complet, avec les 5 consultations chez le MT : 6 patients ont maintenu l'arrêt à plus de 6 mois, (1 patiente a rechuté à 4 mois ½).
- 46 % (n = 13/28) ont réalisé le parcours partiellement chez le MT (entre 1 et 4 consultations) : 6 patients sur 13 étaient encore abstinents après 6 mois.
- 29 % (n = 8/28) n'ont eu aucune consultation avec le MT : 2 patients ont eu un suivi exclusif par l'addictologue (sur leur demande ou celle du MT), avec un arrêt de plus de 6 mois. Six patients ont abandonné le suivi précocément et n'ont pas réussi à arrêter de fumer (5 d'entre eux avaient une co-addiction à l'alcool).
La durée moyenne de consultation dédiée
La traçabilité demandée dans le dossier de la durée des 2 premières consultations, a été réalisé par 14 médecins : on retrouve une moyenne de 26 mn lors de la 1re consultation (15 à 45 mn) et une moyenne de 21 minutes pour la 2e consultation (7 à 30 mn).
L'abstinence tabagique
- 65 % des patients (n = 20/31) ont réussi le maintien de l'abstinence à 1 mois ;
- 58 % des patients (n = 18/31) ont maintenu leur abstinence à 3 mois ;
- 45 % étaient toujours abstinents à 6 mois (n = 14/31).
On constate une corrélation forte entre le suivi du parcours et le maintien de l'arrêt du tabac, confirmée par le test de Spearman avec [r = 0,658] (p < 0,0001). Si on considère les 20 patients ayant effectivement réalisé le parcours en tandem, au moins partiellement, 60 % sont encore abstinents après 6 mois (n = 12/20).
L'évaluation de la perception par les médecins
Elle a été menée auprès des médecins ayant accepté l'entretien (n = 28) :
- 93 % se sont déclarés avoir été motivés par le principe de ce partenariat (n = 26/28) : “par le côté confraternel de travailler ensemble pour le patient”, “il y a une institutionnalisation de la prise en charge qui implique plus le patient”, “mon patient a eu une meilleure adhésion car il était plus encadré”.
Vingt patients ont en pratique réalisé des consultations de suivi avec leur généraliste. Nous avons demandé aux 20 médecins concernés, leur satisfaction sur l'organisation de ce dispositif, leur sentiment d'avoir été aidé, et leur souhait de renouveler l'expérience :
- 70 % ont jugé l'organisation du calendrier de consultations satisfaisante (n = 14/20). Pour la plupart, “il y avait une bonne répartition des consultations”, “j'ose maintenant plus faire une consultation tabac dédiée avec des dates précises et un calendrier”, “je me suis adapté au suivi, car mon patient en avait besoin”, mais pour d'autres : “certains patients ne sont pas assidus”.
- 85 % ont apprécié l'utilité du synoptique adressé (n = 14/17) : “il est bien fait”, “les explications étaient claires”, “le protocole est une bonne base pour nous, on ne va pas à tâtons”, certains auraient préféré un document “plus concis”. Trois médecins ont déclaré ne pas l'avoir reçu.
- 65 % se sont déclarés satisfaits du support dossier (n = 13/20) transporté entre chaque consultation : “le dossier du patient permet une transmission des informations qui est très utile pour échanger”, “ça rassure le patient”, “la patiente a accès à ses informations, ça permettait une relation de confiance, elle pouvait revoir son parcours (…) et ça la motivait”. Mais pour certains : “il n'y avait pas assez de place pour écrire”, “il faudrait préciser les questions à poser”.
- 75 % ont estimé que la durée de consultation était pertinente (n = 15/20), plusieurs ont plébiscité la consultation dédiée au tabac : “20 minutes c'est bien pour une consultation dédiée”, “on n'a parlé que du tabac”. Mais pour certains, cette consultation fut “chronophage”, “il faut les éduquer à ne venir que pour un seul motif”.
- 85 % se sont sentis aidés lors de cette expérience (n = 17/20) : “j'y ai trouvé un intérêt éducatif pour mon patient et pour moi”, “on est accompagné par le spécialiste, on se sent guidé”, “on avait besoin d'objectifs précis pour ces consultations, pour cadrer le timing, et ne pas se laisser embarquer...”, “j'ai pu apprendre des astuces que je ne connaissais pas”, “je me suis senti aidé par rapport au traitement per os que je n'employais pas”, “je me rends compte que je fais plus attention au tabac maintenant, avant je ne me sentais pas trop concernée”.
- 85 % ont exprimé le souhait de renouveler cette prise en charge conjointe pour d'autres patients fumeurs (n = 17/20) : “c'est une très bonne expérience à renouveler, tout sevrage doit se faire en partie avec le médecin traitant car il a un lien privilégié avec son patient”, “on multiplie les chances pour le patient, il se sent plus cadré et on a plus de poids à deux”, “j'ose désormais faire des consultations dédiées à cette prise en charge”
- 40 % se sentent dorénavant en capacité de gérer seuls un arrêt du tabac (n = 8/20) : “ça m'a permis de mieux me former au sevrage tabac”, “j'ai maintenant des clés pour les guider”, “ça m'a mise en confiance pour mieux les accompagner”, “ça m'a appris beaucoup de choses, je sais mieux quelles questions leur poser et comment les conseiller”.
Des suggestions ont également été exprimées par les médecins :
- multiplier les accueils en addictologie ou proposer un réseau de généralistes mieux formés à la problématique tabac ;
- améliorer les outils avec une informatisation du dossier, ou encore un livret pédagogique fourni avec le protocole ;
- équiper les cabinets de CO-testeur pour favoriser la prise en charge ;
- enfin, plusieurs médecins évoquent l'idée d'une valorisation de la consultation tabac qui pourrait favoriser la consultation dédiée.
On relève donc un net enthousiasme (figure 5), un médecin concluant même que c'était “étonnant que personne n'ait eu l'idée de proposer ça auparavant !”. On retient aussi une sensibilisation accrue à l'abord du tabagisme des patients et une plus grande confiance dans la prise en charge de cette addiction, et au-delà, un impact potentiel sur la promotion de la santé du praticien : une médecin s'est dite “encouragée par les résultats chez sa patiente”…pour cesser elle aussi son tabagisme.
L'évaluation menée auprès des patients
Vingt patients ont pu exprimer leur avis, (parmi lesquels des abstinences obtenues ou non). De nombreux points positifs paraissent importants à rapporter :
- La complémentarité de l'accompagnement : “pour que ça fonctionne, il faut que les médecins généralistes soient au fait de l'addiction au tabac, que le médecin comprenne la difficulté de l'arrêt du tabac, que ce n'est pas une simple question de volonté, “le spécialiste sert de phénomène déclencheur (…)”, “l'approche est complémentaire. Le médecin traitant connaît bien son patient, l'approche est globale par rapport à l'état de santé, il conforte, il renforce, il encourage, il félicite.”
- Un engagement plus marqué pour les patients : “démarrer avec un médecin spécialiste constitue un pacte et le suivi avec le médecin généraliste est un double engagement”, “j'ai apprécié la programmation en alternance avec transport du dossier, ça responsabilise la personne qui visualise sa propre démarche de l'intérieur”, “le partenariat est important, l'effort et l'investissement ne sont pas les mêmes que si le médecin traitant est seul”.
- Le sentiment d'être soutenu et valorisé: “j'avais besoin d'être reçu par un spécialiste pour le 1er rendez-vous”. “Mon médecin est content de voir un de ses patients qui se prend en charge sur ce plan. La réussite est valorisante pour moi”, “j'ai été aidé par le temps de parole dédié uniquement à l'arrêt du tabac, j'avais besoin d'être soutenu.”
- Une plus grande sensibilisation du médecin traitant : “maintenant à chaque consultation il en parle, alors que pendant des années c'était plus superficiel, “mon médecin est plus impliquée et plus sensibilisée depuis, et on parle du tabac même si je vais la voir pour autre chose”, “le fait que le médecin généraliste soit impliqué, ça devient plus accessible d'en parler avec lui.”
- L'importance de la formation des médecins : “mon médecin avait toujours le protocole devant elle”, “mon médecin n'avait pas la connaissance du traitement, c'est l'intérêt des informations transmises par le dossier”, “il est plus en capacité depuis ce partenariat de donner les conseils et informations”, “c'est très bien pour le médecin traitant qui se rend compte qu'il pourrait lui-même effectuer ce suivi, “c'est important que les médecins aient le même discours, le même suivi et soient au fait des thérapeutiques”.
- L'utilité de communiquer sur cette modalité de prise en charge conjointe : “ce qui manque, c'est la communication autour de ce processus (…) comme pour le dépistage du cancer du sein”, “il faudrait que les gens sachent qu'ils peuvent être suivis aussi par leur médecin traitant s'ils ont les bases. Faire des conférences pour former les médecins et le faire savoir aux patients”, “je ne l'avais pas fait auparavant parce que je ne savais pas que mon médecin pouvait me suivre également”
Discussion
Les atouts de l'expérience
Une expérience pédagogique novatrice
Une expérience pédagogique novatrice illustrée par un “compagnonnage cognitif” (6), dans lequel nous intervenions en tant que facilitateur, en réalisant nous-mêmes une partie de la tâche, tout en favorisant le développement de l'autonomie de notre correspondant. Cette “conduite accompagnée” a permis un transfert de compétences concrètes, sous la forme de l'apport d'un savoir (centré sur le caractère involontaire de l'addiction, la mécanique des rechutes, et les tenants du traitement pharmacologique), l'intégration d'un savoir-faire (dont l'organisation du parcours-consultations dédiées et répétées, l'aide à la gestion du craving, la prescription et l'ajustement du traitement ) et l'expérimentation du savoir-être dans le cadre de l'aide à l'arrêt du tabac : l'alliance thérapeutique, comme dans toute maladie chronique, est fondée sur des objectifs explicités et partagés, et une approche centrée sur la personne, qui fait la qualité de la relation médecin-patient. Le généraliste la pratique déjà au quotidien dans bien d'autres domaines.
Stratégie gagnant-gagnant-gagnant
Ce dispositif a été conçu dans une stratégie gagnant-gagnant-gagnant :
- Pour les patients : pouvoir être accueillis dans des délais exigés par leur situation de santé, pour les cas urgents et complexes, bénéficier d'un suivi au long cours grâce au positionnement incontournable du médecin traitant dans le parcours de soins, leur permettre d'être pris en charge à proximité de leur domicile par leur médecin (certains patients se déplacent actuellement dans tout le département, voire au-delà). Pour les plus précaires, qui déclarent eux aussi dans leur grande majorité un médecin traitant, c'est la garantie d'accéder à la prévention, actuellement dévolue aux plus initiés.
- Pour les médecins traitants : accroître leurs compétences pratiques à prendre en charge l'accompagnement à l'arrêt du tabac de leurs patients. Contribuer à court et moyen terme à alléger leur surcharge en soins évitables, comme nous l'avons évoqué dans les enjeux du projet.
- Pour l'établissement hospitalier : répondre aux priorités de santé publique dont la réduction du tabagisme, répondre à sa mission de service public pour la prise en charge des cas difficiles.
- Ce dispositif correspondait également aux axes des politiques de santé, en favorisant le décloisonnement ville-hôpital, en fluidifiant les prises en charge, en développant la promotion de la santé (11).
Des résultats encourageant la réflexion sur la transférabilité de la méthode
Le congrès de médecine générale qui s'est tenu à Paris le 5 avril 2018, a retenu le projet pour y être présenté (12). Des participants d'autres régions se sont montrés particulièrement intéressés à l'issue de la communication, souhaitant obtenir les outils utilisés pour transposer cette expérience. L'ARS a souhaité voir s'étendre ce dispositif dans d'autres territoires du département, avec un soutien spécifique, validé en septembre 2018, sous l'égide d'AGIR33-Aquitaine2, en lien avec le Pôle de santé publique du CHU de Bordeaux. Cette perspective est corollaire d'une réflexion approfondie autour de la transférabilité de la méthode, incluant l'hétérogénéïté des pratiques professionnelle, l'environnement concerné, et le processus précis mis en œuvre (13, 14).
Les limites
La schématisation du parcours
Le parcours constituait une ossature simplifiée afin de rendre accessible au praticien la pratique de l'aide à l'arrêt du tabac. Ce “référentiel” ne visait que la mise en exergue des axes incontournables de prise en charge : consultation dédiée, suivi rapproché, contenu des entretiens guidés.
La durée de suivi sur 6 mois
La planification annoncée sur 6 mois est bien sûr insuffisante au regard des durées d'accompagnement pertinentes en addictologie. La prise en charge se poursuivait pour la consultation hospitalière à 9 mois et 1 an, puis le patient était ensuite orienté vers son médecin pour un suivi au long cours.
La taille réduite de la population d'étude
Le nombre de binomes médecin-patient réellement engagé dans le parcours (n = 20) est insuffisant pour réaliser les tests statistiques qui auraient pu confirmer l'efficacité du dispositif de façon plus robuste ou apporter des messages intéressants sur des liens potentiels entre efficacité et profils des patients, entre niveau de suivi et efficacité, ou efficacité et satisfaction des acteurs.
L'approche ciblée tabac
L'accent n'a pas été mis sur les co-consommations ou autres comportements d'usage, et leur évolution concomitante à la prise en charge de l'addiction au tabac. Elles sont indissociables de l'évaluation globale du patient (7). Il s'agissait d'accepter de rester humble dans les objectifs pédagogiques : montrer dans un premier temps aux praticiens la faisabilité d'une accession de leurs patients à l'arrêt du tabac.
Les résistances rencontrées
L'intégralité du parcours médical prévu, notamment auprès du médecin traitant, n'a pas toujours été suivie par les patients. Un engagement écrit signé par le patient, concrétisant son entrée volontaire dans le dispositif, comme dans d'autres études de recherche, pourrait limiter les perdus de vue. Les dossiers partagés ont été remplis par les médecins de façon hétérogène. Une réflexion est en cours pour améliorer le dossier du patient, avec un canevas semi-directif pour faciliter son remplissage. L'utilisation majoritaire de la varénicline, encore objet de représentations négatives, a pu influencer des attitudes en retrait chez certains médecins.
Le contexte de la médecine générale
La maturité motivationnelle du patient est habituellement considérée plus aboutie en consultation spécialisée qu'en médecine générale… même si de plus en plus de patients ambivalents sont reçus, adressés par leur chirurgien, cardiologue, cancérologue ou obstétricien, avec une injonction d'arrêt notamment en préopératoire. Les médecins traitants, eux, ont l'avantage de bien connaître le patient, son environnement, ses vulnérabilités et ses atouts propres, et de bénéficier de leur pleine confiance.
Conclusion
Le premier objectif de cette expérience était de familiariser les médecins traitants avec l'accompagnement à l'arrêt du tabac, en favorisant l'implémentation des compétences sur le modèle de la pédagogie active. Deux objectifs supplémentaires étaient corollaires du premier : d'une part alléger la charge en soins de plus en plus critique pour les médecins, qu'ils soient de premier recours et de spécialités, en s'attaquant au facteur le plus régulièrement contributif de morbidité, d'autre part optimiser les circuits de prise en charge, en ciblant la prise en charge hospitalière exclusive sur les cas les plus complexes. Cette expérience a permis de favoriser la coordination des professionnels et la responsabilisation du patient. Elle donne des clés permettant de conforter le médecin de soins premiers dans son rôle central pour la prise en charge des addictions. La confiance dans les capacités de changement du patient, va ainsi chez le praticien, s'appuyer sur sa propre confiance à accompagner ce changement ! L'évaluation de cette prise en charge conjointe montre des résultats probants, en termes d'efficacité, d'acceptabilité et de satisfaction des médecins et de leurs patients. Forts de ces retombées positives, nous poursuivons ce partenariat ville-hôpital en routine sur notre territoire, et travaillons à sa transférabilité dans un objectif de déploiement régional.
FIGURES
Références
1. Castera P, Alvarez P. Tours : la visite des médecins généralistes récemment installés facilite leur orientation en addictologie. Communication orale, congrès CNGE, nov 2018.
2. Denepoux-Taillez J. Comment favoriser la participation des médecins généralistes à la campagne Moi(s) sans Tabac 2017 ? Thèse de médecine, Université de Bordeaux ; 2017.
3. Ravily E. Thérapeutiques médicamenteuses de l’arrêt du tabac : connaissances, représentations et pratiques des médecins de Gironde. Thèse de médecine, Université de Bordeaux ; 2018.
4. Lajzerowicz N, Pradet F, Brault M, Serre F, Fatseas M, Dubernet J, Auriacombe M, Castera P. Aide médicamenteuse à l’arrêt du tabac par varénicline : facteurs associés à l’abstinence de plus de 6 mois. Le Courrier des addictions 2017;19(2):26-32.
5. Mucchielli R. Les méthodes actives dans la pédagogie des adultes. Esf édition, 2016.
6. Vanpee D, Frenay M, Lebrun M. Améliorer l’enseignement en grands groupes à la lumière de quelques principes de pédagogie active. Pédagogie médicale 2008;(9):32-41.
7. Fatseas M, Auriacombe M. Principes de la thérapeutique et des prises en charge en addictologie. In : Lejoyeux M, eds. Abrégé d’Addictologie. Paris : Masson, 2009:62-9.
8. Auriacombe M, Serre F, Fatséas M. “Le craving : marqueur diagnostique et pronostique des addictions ?”- Traité d’addictologie 2e édition. Lavoisier, 2016:78-83.
9. AGIR33. Addictutos. [Internet] http://www.addictutos.com/page/tutoriels/tutoriel-sevrage-tabac
10. Fournols M. Partenariat ville-hôpital pour la prise en charge de l’arrêt du tabac : retour d’expérience de 30 médecins généralistes de l’agglomération bordelaise. Thèse de médecine, Université de Bordeaux; 2018.
11. Alla F, Cambon L. L’Hôpital, acteur de la promotion de la santé et de la prévention ?, Santé Publique 2018/1 (Vol. 30), p.5-6.
12. Lajzerowicz N. Paris : Partenariat ville-hôpital dans l’arrêt du tabac : une expérience menée avec 30 médecins généralistes. Communication orale, congrès CMGF, 5 avril 2018.
13. Cambon L, Minary L, Ridde V, Alla F. Un outil pour accompagner la transférabilité des interventions en promotion de la santé : ASTAIRE. Santé Publique 2014 ;26: 783-6.
14. Alla F, Kivits J. La recherche interventionnelle en santé publique : partenariat chercheurs-acteurs, interdisciplinarité et rôle social. 2015;27:168.
Liens d'interêts
N. Lajzerowicz, M. Fournols et P. Castéra déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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Figure 1. Distribution des consultations respectives du spécialiste et du médecin traitant.

Figure 2. Synoptique d’accompagnement à l’arrêt du tabac intégrant les deux acteurs de la prise en charge (version avec varénicline).

Figure 3. Illustration du dispositif tripartite : consultation spécialisée-médecin généraliste et patient.

Figure 4. Inclusion en série continue des patients de la consultation d’addictologie en septembre et octobre 2017.

Figure 5. Perception du dispositif par les médecins impliqués.
