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Dossier

Sortir du tabac : mécanismes et évaluation de l'acupuncture médicale


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L'arrêt complet et définitif de la consommation de tabac est difficile. De nombreux patients rechutent et font plusieurs tentatives avant de réussir à arrêter de fumer. La motivation du patient et le soutien psychologique jouent un rôle essentiel dans la réussite de l'arrêt de la consommation de tabac. Les médicaments n'apportent qu'une aide limitée. L'acupuncture est capable de réduire certains effets indésirables liés au manque de nicotine : troubles du sommeil, irritabilité et fringale. Les données issues de l'évaluation retrouvent un effet significatif de l'acupuncture pour le sevrage du tabac à court terme. L'acupuncture peut être proposée à des patients motivés par la méthode, dont le score de Fagerström est inférieur à 5 et la consommation inférieure à 15 cigarettes par jour, en alternative à un substitut nicotinique, mais aussi en association à un substitut nicotinique, quel que soit le score de Fagerström, si elle correspond à une attente du patient.


Mécanismes (connus) de l'acupuncture médicale [1]

L'acupuncture est l'action de stimuler une zone de la peau au moyen d'une aiguille afin d'obtenir un effet thérapeutique. Elle est classée dans les interventions non médicamenteuses mais avec de plus en plus d'indications validées avec de hauts niveaux de preuves [2], elle est une véritable discipline thérapeutique. D'un point de vue traditionnel, les aiguilles influencent le “Qi” qui circule à travers le corps dans des “méridiens” mais les bases modernes de l'acupuncture correspondent à une forme de stimulation neuromusculaire.

Effets locaux

L'acupuncture favorise la guérison locale. Par stimulation des fibres nerveuses de la peau et des muscles il y a propagation du potentiel d'action (PA) : c'est un effet axonal. D'un point de vue neuro­biologique on constate une libération de CGRP [3], une augmentation du flux sanguin [4], et aussi une augmentation de la production de salive [5]. Macro­scopiquement, il y a une éruption cutanée autour des aiguilles évoquant une “papule d'urticaire”. Ces effets potentialisent la cicatrisation cutanée.

Analgésie segmentaire

L'acupuncture réduit la douleur dans le segment où sont insérées les aiguilles. Le PA chemine vers la moelle épinière et déprime l'activité de la corne dorsale. Il y a libération d'enképhaline ou de GABA en cas d'électroacupuncture. Cela réduit la réponse aux stimuli douloureux. On constate une ­propagation aux segments adjacents et une activité sur le système nerveux autonome.

Analgésie supraspinale

L'acupuncture peut diminuer la douleur dans tout le corps. Le PA se propage de la corne dorsale jusqu'au tronc cérébral, entraînant la stimulation des mécanismes algosuppresseurs de l'organisme par libération de neurotransmetteurs (enképhaline, dynorphine) à chaque segment de la moelle par les nerfs descendants et dans le cerveau (bêta-endorphine). On constate aussi une augmentation des peptides opioïdes chez l'homme après acupuncture [6]. Certains effets de l'acupuncture peuvent également être inversés par la naloxone [7]. L'acupuncture active donc l'effet supraspinal. L'effet est cumulatif à la répétition des séances mais il n'est pas suffisant pour supprimer la douleur.

Effets régulateurs centraux

L'acupuncture a un effet calmant et améliore la sensation de bien-être. Le PA influence d'autres structures dans le cerveau. Au niveau du cortex cérébral : les “sensations” d'acupuncture sont enregistrées en IRM fonctionnelle. L'hypothalamus et le système limbique semblent être les sites profonds privilégiés des effets “régulateurs” de l'acupuncture. La stimulation par acupuncture entraîne la libération d'ACTH, de bêta-endorphine (action sur les bouffées de chaleur en modifiant l'activité de CGRP) [8], de GnRH (action sur les menstruations). Il y a aussi une réduction de la production excessive de dopamine dans le noyau accumbens, qui est la voie courante dans les addictions [9] : les patients sont alors plus enjoués et motivés. La douleur, elle, si elle est toujours présente, gêne moins. L'acupuncture peut également influencer le système nerveux autonome : le tonus sympathique diminué peut être renforcé par des séances répétées [10]. Certaines études ont constaté une action sur le système immunitaire [11].

L'IRM fonctionnelle : la puncture profonde active les aires cérébrales impliquées dans le contrôle de la douleur. L'intensité est moindre avec les punctures à proximité des points. La puncture profonde altère l'activité des zones limbiques.

Trigger points myofasciaux 

Ils peuvent être inactivés par l'acupuncture. Les trigger points correspondent à des zones lésionnelles de fibres musculaires tendues. La douleur est projetée de manière prévisible. On constate qu'ils sont souvent situés sur des points d'acupuncture [12].

Des mécanismes encore inconnus ...

Les mécanismes de la douleur chronique sont encore mal connus. Parmi les concepts prometteurs, celui des neurotransmetteurs et de leurs récepteurs, le remaniement des cellules gliales et de la barrière hémato-encéphalique et en particulier celui des effets locaux probables des aiguilles sur le tissu conjonctif par mécanotransduction [13].

État des lieux de l'évaluation en acupuncture [2, 14]

L'acupuncture se présente comme une discipline thérapeutique. Comme toute thérapeutique, elle pose la question de son efficacité. La réponse à la question de l'efficacité fait appel à la méthodologie de la médecine factuelle, l'evidence-based medicine (EBM), fondée sur une analyse des meilleures données disponibles dans la littérature médicale. L'EBM a constitué un tournant conceptuel essentiel dans l'approche médicale de l'acupuncture, en dissociant la mise en évidence de la réalité d'un phénomène (l'efficacité clinique de l'acupuncture) de celui de son mécanisme d'action. L'EBM hiérarchise les données pertinentes en fonction du type d'études et on parle de niveau de preuve. Dans les plus hauts niveaux de preuves il y a bien sur “l'étalon or”, l'essai controlé randomisé (ECR), et au-dessus encore la revue systématique (RS) et la méta-analyse. C'est sur ces données publiées que les institutions et les sociétés savantes nationales et internationales peuvent établir leurs recommandations de bonne pratique (RBP). Il est important pour la discipline que l'ensemble de la communauté médicale puisse disposer d'une information documentaire précise et actualisée permettant de définir la place de l'acupuncture dans nos systèmes de soins.

Une recherche dans les bases de données PubMed, Acudoc2, CNKI et Cochrane Library, des publications portant directement sur l'acupuncture ou incluant l'acupuncture dans l'analyse, avec les objectifs et la méthodologie relevant d'une revue systématique, retrouve 1 035 revues systématiques qui portent sur 203 pathologies et qui évaluent un corpus de plus de 8 000 ECR. Le nombre de publications est multiplié par 10 de la décennie 1990-2000 (40 publications) à la décennie 2000-2010 (> 400 publications), dont 74 % en anglais, 25 % en chinois et 1 % dans d'autres langues. À l'heure actuelle, 100 RS sont publiées annuellement. L'acupuncture peut être considérée comme un thème majeur de la recherche clinique au niveau international.

Indications retenues par la base Cochrane

Haut niveau de preuve, données et conclusions en faveur d'une recommandation de l'acupuncture dans l'indication avec effet spécifique mis en évidence :

  • céphalées de tension ;
  • lombalgie chronique ;
  • arthrose des articulations périphériques et gonarthrose en particulier ;
  • migraine (prophylaxie) ;
  • nausées et vomissements postopératoires.

Haut niveau de preuve, données et conclusions en faveur d'une recommandation de l'acupuncture dans l'indication :

  • douleur durant l'accouchement ;
  • cervicalgies ;
  • dysménorrhée.

Niveau de preuve modéré ou indéterminé, données positives mais quantitativement ou qualitativement limitées :

  • > 143 pathologies ;
  • dont l'aide au sevrage tabagique [15].

Évaluation de l'efficacité et de la sécurité de l'acupuncture

L'État français a mandaté un groupe d'experts de l'Inserm pour s'assurer de l'efficacité et de la sécurité de l'acupuncture [16]:

  • l'exercice de l'acupuncture a donc bénéficié d'un véritable audit sur la formation reconnue de qualité, sur la sécurité de sa pratique par des personnels formés et sur les données probantes actuelles de l'évaluation des soins en acupuncture ;
  • référentiel AFSOS 2014 : validation de l'acu­puncture comme soins de support en hémato-­oncologie [17] ;
  • des résultats mieux appréhendés : libellé CCAM, QZRB001 “séance d'acupuncture” ;
  • l'acte d'acupuncture est considéré par la jurisprudence comme un acte médical. En conséquence, seuls les membres des professions médicales peuvent le pratiquer : médecins, chirurgiens-­dentistes pour les actes en lien avec la chirurgie dentaire et sages-femmes pour les actes en lien avec l'obstétrique. Les personnes n'appartenant pas au corps médical et pratiquant l'acupuncture peuvent être poursuivies pour exercice illégal de la médecine.

Réflexions sur l'évaluation en acupuncture

Sur les seules données de la CochraneCollaboration, l'acupuncture est démontrée efficace à un haut niveau de preuve (revues systématiques et méta-­analyses) dans un ensemble significatif de pathologies (migraine, céphalée de tension, lombalgie, arthrose des articulations périphériques, douleur durant l'accouchement, cervicalgies, dys­ménorrhée, nausées et vomissements postopératoires).

Ce constat est d'autant plus solide qu'il est associé à la mise en évidence d'une efficacité spécifique versus fausse acupuncture (nausées et vomissements postopératoires, arthrose des articulations périphériques, céphalée de tension, lombalgie, cervicalgies), qu'il est corroboré par d'autres revues synthétiques issues de sources différentes. Ce seul constat d'une efficacité dans un ensemble de pathologies ayant un impact important en termes de santé publique justifie l'utilisation de l'acupuncture dans notre système de soin, la formation à sa pratique dans l'enseignement médical et sa prise en compte comme thème de recherche médicale.

Place de l'acupuncture dans le sevrage du tabac

Mode d'action dans le sevrage du tabac

La nicotine active les voies neuronales de la récompense cérébrale. Ce système est principalement formé par les voies dopaminergiques mésolimbiques et mésocorticales. La nicotine interfère par l'intermédiaire de récepteurs nicotiniques distribués sur les voies dopaminergiques. Leur densité est particulièrement élevée au niveau des neurones de l'aire tegmentale ventrale. L'acupuncture peut réduire la production excessive de dopamine dans le noyau accumbens [9], entraînant 2 effets clinique distincts : une réduction à court terme des symptômes de sevrage, et une amélioration dans l'attitude et la motivation de la personne.

À partir d'études d'imagerie, il existe des preuves solides que l'acupuncture a un effet considérable sur le système limbique, site de projection dopaminergique qui participe au contrôle des processus motivationnels et de récompense [18-20]. Les études à ce sujet semblent montrer qu'il s'agit plutôt d'un effet général de l'acupuncture plus que spécifique, qui ne dépend pas forcément du site de l'aiguille mais plutôt d'une combinaison de facteurs incluant le stimulus et à un certain degré les convictions et les attentes du patient... Néanmoins, la puncture réelle active l'insula ipsilatérale, au contraire de la puncture par placebo. L'acupuncture est également capable de réduire voire neutraliser certains effets indésirables liés au manque de nicotine : troubles du sommeil, irritabilité et fringale (en particulier saveur sucrée).

Les patients motivés pour cesser de fumer du tabac ont le choix : arrêt brusque et arrêt progressif ont globalement la même efficacité à 6 mois.

Évaluation dans le sevrage tabac

Une revue systématique de 18 études a constaté que l'acupuncture était meilleure que l'abstention thérapeutique ainsi qu'un effet par rapport à l'acupuncture factice. L'acupuncture apparaît bénéfique dans le sevrage tabagique, justifiant son utilisation dans cette indication. Une action spécifique est mise en évidence [21].

Un effet significatif de la stimulation de points d'acupuncture a été observé pour le sevrage tabac à court terme dans une revue de 20 ECR. L'acupuncture combinée à d'autres interventions (éducation, association à une autre méthode) peut aider les fumeurs à arrêter de fumer et aussi éviter la rechute après le traitement [22].

Une méta-analyse incluant 38 études suggère d'éventuels effets à court terme mais il n'y a aucune preuve cohérente d'un avantage durable sur le sevrage tabagique au-delà de 6 mois. Néanmoins il s'agit d'une intervention populaire et sécurisée lorsqu'elle est correctement appliquée par un médecin mais moins efficace que les interventions fondées sur des données probantes. Cependant, le manque de preuves et les problèmes méthodo­logiques signifient qu'aucune conclusion définitive ne peut être tirée [15].

Dans une revue de 24 ECR, par rapport à d'autres traitements, l'acupuncture présente des avantages positifs sur le taux d'abstinence à court terme. Ses effets sur les taux d'abstinence à long terme sont à vérifier dans des études plus importantes [23].

Enfin, dans 24 essais portant sur 3 984 participants, l'acupuncture était plus efficace que l'absence d'intervention pour le sevrage à court terme et à long terme. L'acupuncture combinée à des conseils, un programme éducatif de sevrage tabagique ou la moxibustion était plus efficace que l'acupuncture en monothérapie en ce qui concerne le sevrage tabagique à long terme [24].

Acupuncture et législation Française [25]

  • Aucune donnée ne vient appuyer l'utilisation de l'acupuncture pour le sevrage tabagique.
  • Son bénéfice dans l'aide à l'arrêt du tabac n'est pas établi, cependant, cette approche, qui bénéficie d'un certain recul, n'a pas montré à ce jour de risque majeur.
  • Le médecin ne doit pas empêcher un patient d'avoir recours à une approche qui pourrait être utile de par son effet placebo, si cette approche s'est avérée inoffensive.

Acupuncture : nos propositions dans le sevrage du tabac

  • L'acupuncture peut être proposée à des patients motivés par la méthode, dont le score de Fagerström est inférieur à 5 et la consommation inférieure à 15 cigarettes par jour, en alternative à un substitut nicotinique.
  • L'acupuncture peut être proposée en association à un substitut nicotinique quel que soit le score de Fagerström si elle correspond à une attente du patient.
  • L'acupuncture est prise en charge par la sécurité sociale.■

Références

1. White A et al. Précis d’acupuncture médicale occidentale. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson, mars 2011.

2. ∑Sciences médicales chinoises, outil de formation et support documentaire ordonné à la pratique et à la recherche en sciences médicales chinoises (wiki-mtc). http://www.wiki-mtc.org/doku.php?id=start

3. Dawidson I et al. The influence of sensory stimulation (acupuncture) on the release of neuropeptides in the saliva oh healthy subjects. Life Sciences 1998;63:(8):659-74.

4. Sandberg M et al. Effects of acupuncture on skin and muscle blood flow in healthy subjects. Eur J Appl Physiol 2003;90(1-2):114-9.

5. Blom M et al. Effects on local blood flux of acupuncture stimulation used to treat xerostomia in patients suffering from Sjogren’s syndrome. J Oral Rehabil 1993;20:541-8.

6. Clement-Jones V et al. Increased beta-endorphin but not met-enkephalin levels in human cerebrospinal fluid after acupuncture for recurrent pain. Lancet 1980;316:945-7.

7. Han J, Terenius L. Neurochemical basis of acupuncture analgesia. Annu Rev Pharmacol Toxicol 1982;22:193-220.

8. Wyon Y et al. A comparison of acupuncture and oral estradiol treatment of vasomotor symptoms in postmenopausal women. Climacteric 2004;7(2):153-64.

9. Yoon SS et al. Acupuncture-mediated inhibition of ethanolinduced dopamine release in the rat nucleus accumbens through the GABA-B receptor. Neurosci Lett 2004;369(3):234-8.

10. Dyrehag LE et al. Effects of repeated sensory stimulation sessions (electro-acupuncture) on skin temperature in chronic pain patients. Scand J Rehabil Med 1997; 29:243-50.

11. Lundeberg T. Effects of sensory stimulation (acupuncture) on circulatory and immune systems. In: Ernst E, White A (eds) Acupuncture: a scientific appraisal. Butterworth-Heinemann, Oxford, 1999.

12. Melzack R et al. Trigger points and acupuncture points for pain : correlations and implications. Pain 1977;3:3-23.

13. Langevin HM et al. Subcutaneous tissue fibroblast cytoskeletal remodeling induced by acupuncture : evidence for a mechanotransduction based mechanism. J Cell Physiol 2006;207(3):767-74.

14. Acudoc2. Base de données spécialisée en acupuncture et MTC. http://acudoc2.com/

15. White AR et al. Acupuncture and related interventions for smoking cessation. Cochrane Database Syst Rev 2014(1):CD000009.

16. Barry C et al. Évaluation de l’efficacité et de la sécurité de l’acupuncture. Expertise scientifique réalisée par l’unité Inserm, 2014.

17. Afsos. http://www.afsos.org/fiche-referentiel/lacupuncture-onco-hematologie/

18. Hui KK et al. Acupuncture modulates the limbic system and subcortical gray structures of the human brain : evidence from fMRI studies in normal subject. Hum Brain Mapp 2000;9(1):13-25.

19. Hui KKS et al 2005. The integrated response of the human cerebrocerebellar and limbic systems to acupuncture stimulation at ST36 as evidenced by fMRI. Neuroimage 27(3):479-96.

20. Pariente J et al. Expectancy and belief modulate the neuronal substrates of pain treated by acupuncture. Neuro­image 2005;25(4):1161-7.

21. Castera P et al. L’acupuncture est-elle bénéfique dans le sevrage tabagique, son action est-elle spécifique ? Une méta-analyse. Acupuncture et Moxibustion 2002;1(3-4):76-85.

22. Cheng HM et al. Systematic review and meta-analysis of the effects of acupoint stimulation on smoking cessation. Am J Chin Med 2012;40(3):429-42.

23. Liu Z et al. [Condition and effectiveness evaluation of acupuncture for smoking cessation]. Zhongguo Zhen Jiu [Chinese Acupuncture et Moxibustion] 2015;35(8):851-7.

24. Wang JH et al. Acupuncture for smoking cessation: A systematic review and meta-analysis of 24 randomized controlled trials. Tob Induc Dis 2019;17:e48.

25. Haute Autorité de santé. Arrêt de la consommation de tabac : du dépistage individuel au maintien de l’abstinence en premier recours (argumentaire scientifique). Paris : Haute Autorité de santé. 2014.


Liens d'intérêt

P. Clément déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.