Conduite à tenir après l'exérèse d'un mélanome cutané primitif : le grand bouleversement
Faut-il rechercher un ganglion sentinelle ? Des attitudes très contrastées
Faut-il proposer une analyse du ganglion sentinelle après l'exérèse d'un mélanome cutané primitif ? Pendant plusieurs années, ce sont les résultats de l'essai MSLT-I qui ont structuré les attitudes (1). Celui-ci avait comparé 2 groupes randomisés : dans le premier, le ganglion sentinelle était analysé, et en cas de micrométastase, un curage de l'aire ganglionnaire était effectué ; dans le second groupe, le ganglion sentinelle n'était pas recherché, et le curage n'était effectué que si un ganglion macroscopique était détecté au cours du suivi. Les résultats, initialement publiés en 2006 (1), ont été confirmés en 2014 avec un suivi complet (2) : le taux de décès n'était pas différent dans les 2 groupes. Par ailleurs, comme dans de nombreuses autres séries, les taux de rechute étaient plus élevés chez les patients ayant un ganglion sentinelle positif que chez ceux ayant un ganglion sentinelle négatif, confirmant ainsi le caractère pronostique du ganglion sentinelle.
Ces résultats ont pu justifier 2 attitudes opposées. La première soutenait qu'il était inutile d'analyser le ganglion sentinelle, puisque aucun bénéfice sur la mortalité n'avait pu être observé. La seconde attitude jugeait qu'il était souhaitable de le rechercher – et donc de pratiquer un curage en cas de positivité – en raison de l'information pronostique qui s'y attachait. En France, en 2008, 62 % des principaux centres de prise en charge des mélanomes proposaient la recherche de ganglion sentinelle en routine (3). Une enquête récente a montré que ce pourcentage ne dépassait pas 75 % dans la période actuelle.
Abandon du curage systématique après un ganglion sentinelle positif
En cas de ganglion sentinelle positif, il restait une question non résolue : était-il utile de proposer un curage ganglionnaire ? Les résultats de l'essai MSLT-II, publiés en juin 2017 (4) et ceux d'un autre essai similaire allant dans le même sens (5), ont apporté une réponse à cette question. Parmi les patients ayant un ganglion sentinelle positif, 2 groupes randomisés ont été comparés : dans le premier, un curage de l'aire ganglionnaire était réalisé dans les suites immédiates de la procédure du ganglion sentinelle ; dans le second, une surveillance clinique était proposée, sans curage immédiat (le curage était effectué secondairement, en cas de récidive ganglionnaire macroscopique ultérieure). Malgré l'inclusion de plus de 1 900 patients avec un ganglion sentinelle positif, aucune différence de mortalité n'a pu être observée (14 % à 3 ans, dans les 2 groupes). La conclusion pratique est simple : il faut abandonner le curage ganglionnaire systématique chez les patients ayant un ganglion sentinelle positif. Il s'agit d'une règle générale, qui n'empêche pas des exceptions, pour certains cas particuliers.
Les traitements adjuvants font reconsidérer l'indication de la recherche du ganglion sentinelle
Le vrai repositionnement de l'indication de l'analyse du ganglion sentinelle provient des résultats des essais cliniques testant l'intérêt d'un traitement adjuvant (6-8). Rappelons le principe d'un traitement adjuvant : donner à des malades, chez qui l'ensemble de la masse tumorale évaluable a été réséquée chirurgicalement, un traitement dans le but de faire diminuer le risque de récidive et de décès. Dans cette situation, il n'y a pas de “cible” thérapeutique, et le traitement adjuvant repose sur une dose et une durée standardisées. Les essais cliniques testant l'intérêt des traitements adjuvants ont tous principalement ciblé les stades III de la classification de l'American Joint Committee on Cancer (AJCC), qui rassemblent les patients ayant une maladie à extension locorégionale, ganglionnaire ou cutanée. Au sein de ces stades III, les stades III ganglionnaires microscopiques ne sont identifiables que si une analyse du ganglion sentinelle a été réalisée au moment de l'exérèse du primitif ; ils représentaient environ un tiers de la population incluse dans ces essais. Le traitement adjuvant était proposé aux patients dont le ganglion sentinelle était positif. Le bénéfice très important sur la survie globale et la survie sans récidive, associé à une tolérance généralement considérée comme acceptable, devrait aboutir à ce que plusieurs de ces traitements (nivolumab, pembrolizumab, association dabrafénib-tramétinib) obtiennent dans les mois à venir une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l'indication adjuvante pour les stades III réséqués.
L'analyse du ganglion sentinelle deviendra donc un préalable à l'indication d'un traitement adjuvant (sous réserve de la parution des conditions précises de délivrance de l'AMM) : si le ganglion sentinelle est positif, un traitement adjuvant de 1 an pourra être prescrit. Si le ganglion sentinelle est négatif, une surveillance simple sera proposée.
Certains considéreront pourtant qu'il n'est pas indispensable de rechercher un ganglion sentinelle, au prétexte qu'il sera toujours temps de proposer ultérieurement le traitement adjuvant en cas d'apparition d'une adénopathie macroscopique, au cours du suivi. Seul un essai randomisé comparant intervention précoce et attentisme pourrait trancher ce débat. En attendant, ne pas proposer la recherche du ganglion sentinelle revient à dire à votre patient : “Il serait possible de chercher à savoir si vous avez un ganglion sentinelle envahi, et dans ce cas vous pourriez recevoir un traitement adjuvant, dont le bénéfice est démontré. Mais je vous propose plutôt d'attendre que survienne une éventuelle récidive clinique, et nous ferons ce qu'il faut à ce moment-là.” On peut comprendre le souhait de limiter la – faible – morbidité de la procédure de recherche du ganglion sentinelle, mais il convient alors d'assumer de contrevenir à un principe très largement admis en cancérologie, qui veut que les traitements efficaces doivent être proposés le plus tôt possible dans l'évolution de la maladie. Par ailleurs, cette attitude attentiste fait courir le risque de voir se développer une maladie non résécable (localisations viscérales sans passage par un stade ganglionnaire), et donc non accessible au traitement adjuvant.
La recherche du ganglion sentinelle : pour qui et pour quoi ?
L'analyse du ganglion sentinelle doit-elle être proposée à toute personne ayant un mélanome primitif cutané ? Le premier point à considérer est la probabilité de positivité du ganglion sentinelle. Le taux global de positivité est de 20 %, mais il varie de 6 % pour les indices de Breslow inférieurs à 1 mm, à 39 % pour les indices de Breslow supérieurs à 4 mm (9). Les recommandations françaises actuelles considèrent qu'il n'y a pas lieu de proposer d'analyse du ganglion sentinelle pour des indices de Breslow inférieurs à 1 mm ; au-delà de 1 mm, l'analyse du ganglion sentinelle est considérée comme optionnelle (10). Les recommandations américaines récentes recommandent l'analyse du ganglion sentinelle de façon systématique pour les indices supérieurs à 1 mm (et avec discussion pour ceux supérieurs à 4 mm), mais aussi pour ceux entre 0,8 et 1 mm, ou pour tout indice de moins de 1 mm si le mélanome est ulcéré (10). Une actualisation des recommandations françaises est en cours, afin de prendre en compte l'ensemble des nouvelles données scientifiques. En pratique, il appartiendra aux réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) de fixer leur seuil, en tenant compte des recommandations nationales et des ressources locales et régionales. En toute logique, en France, la recherche du ganglion sentinelle devrait connaître une recrudescence en lien avec la mise sur le marché des traitements adjuvants.
Si l'analyse du ganglion est envisagée, la discussion avec votre patient devrait se dérouler à peu près selon ces termes : “Dans votre situation, voici le risque de rechute et le risque de décès. Si la recherche de ganglion sentinelle est positive, un traitement adjuvant de 12 mois vous sera proposé. En voici les risques et les contraintes, et en voici les bénéfices. Êtes-vous d'accord pour suivre ce traitement adjuvant le cas échéant ?” Si le patient répond négativement, il paraît raisonnable de s'abstenir de rechercher le ganglion sentinelle. Il est bien sûr important de livrer une information complète et loyale. Sur le pronostic, il ne s'agit pas d'être alarmiste, mais de livrer une information objective. Pour une majorité de patients, dont l'indice de Breslow met en évidence une tumeur peu épaisse, ces informations seront d'ailleurs plutôt rassurantes. Il est probable que cela change les habitudes de nombre d'entre nous, mais annoncer que des traitements adjuvants diminuent le risque de récidive de 40 à 50 % ne peut se faire sans informer du risque “de base”. Le classement du patient dans un stade AJCC permet de l'obtenir (11). Ces informations sont également disponibles en ligne, sur plusieurs sites. Citons à titre d'exemple l'un d'entre eux, www.melanomaprognosis.net, construit à partir de la base de données de l'AJCC (12).
Reste encore une complication... Dans les essais cliniques adjuvants, un curage ganglionnaire était effectué dans les suites immédiates de l'analyse du ganglion sentinelle, si celui-ci était positif. Partant de ce constat, et pour rester dans une situation strictement similaire à celle des essais, certains proposeront-ils un curage systématique à tout patient qui, ayant un ganglion sentinelle positif, est candidat à un traitement adjuvant ? On peut penser au contraire que dans un pays comme le nôtre, où il n'y pas de fort “lobbying” en faveur de la chirurgie de curage ganglionnaire, les résultats de l'étude MSLT-II seront pris en compte même en cas de prescription de traitement adjuvant, et qu'on s'abstiendra de proposer un curage systématique dans la situation évoquée.
En pratique
En pratique, voici quelques recommandations à l'usage du dermatologue qui vient de diagnostiquer un mélanome cutané primitif :
- pour un mélanome d'indice de Breslow inférieur à 0,8 mm et non ulcéré, un simple enregistrement en RCP suffira, ce patient n'étant pas candidat à recevoir un traitement adjuvant ;
- pour toutes les autres situations (présence d'une ulcération, quel que soit l'indice, ou s'il est supérieur à 1 mm, quel que soit le statut de l'ulcération), un avis argumenté de la RCP est souhaitable.
Si le patient répond aux critères d'indication d'une analyse du ganglion sentinelle, 3 éléments doivent lui être communiqués :
- une information sur son pronostic. Ce dernier peut être établi à partir de la classification AJCC, ou de façon plus fine, à l'aide d'algorithmes qui sont issus de grandes bases de données et disponibles en ligne ;
- une information sur les bénéfices, les risques, et les contraintes des traitements adjuvants qui pourraient lui être proposés dans sa situation. La possibilité d'intégrer un essai clinique devra être prise en compte ;
- si l'éventualité d'un traitement adjuvant est acceptée par le patient, une information sur la procédure de recherche du ganglion sentinelle, et les conséquences de son résultat :
À l'avenir : se passer du ganglion sentinelle ?
Enfin, traçons une perspective pour l'avenir : tous les essais adjuvants se sont concentrés sur des patients au stade III, ce qui impose, pour les situations de prise en charge précoce, de passer par l'analyse du ganglion sentinelle. Dans une perspective de santé publique, il sera probablement préférable à terme de proposer un traitement adjuvant efficace dès le stade I/II, sans même chercher à connaître le statut du ganglion sentinelle. Les candidats à un traitement seraient nettement plus nombreux, et celui-ci se devrait alors, tout en restant efficace, d'être moins “lourd” qu'actuellement, par exemple d'une durée très inférieure à 1 an. Mais on envisage là un futur plus lointain, qui ne pourra advenir qu'après la réalisation de nouveaux essais cliniques. Certains d'entre eux, industriels ou académiques, sont d'ores et déjà en préparation.
Conclusion
Terminons par une note, dont la date de péremption est difficile à fixer : aujourd'hui, les traitements adjuvants ne sont pas encore disponibles ; que faire dans ce cas ? À l'heure où ce texte est écrit, un certain optimisme peut laisser espérer la mise à disposition de traitements adjuvants avant la fin de l'année 2018. Dans les essais cliniques, le traitement adjuvant doit débuter dans les 3 mois suivant la résection chirurgicale. Ainsi, il est envisageable de proposer un traitement adjuvant à tous les patients ayant un ganglion sentinelle dans les 3 mois précédant la date de mise à disposition de ces traitements. Il serait donc raisonnable d'anticiper dès maintenant la situation à venir.II
Références
1. Morton DL, Thompson JF, Cochran AJ et al. Sentinel-node biopsy or nodal observation in melanoma. N Engl J Med 2006;355(13):1307-17.
2. Morton DL, Thompson JF, Cochran AJ et al. Final trial report of sentinel-node biopsy versus nodal observation in melanoma. N Engl J Med 2014;370(7):599-609.
3. Lourari S, Paul C, Gouraud PA et al. Sentinel lymph node biopsy for melanoma is becoming a consensus: a national survey of French centres involved in melanoma care in 2008. J Eur Acad Dermatol Venereol 2012;26(10):1230-5.
4. Faries MB, Thompson JF, Cochran AJ et al. Completion dissection or observation for sentinel-node metastasis in melanoma. N Engl J Med 2017;376(23):2211-22.
5. Leiter U, Stadler R, Mauch C et al. Complete lymph node dissection versus no dissection in patients with sentinel lymph node biopsy positive melanoma (DeCOG-SLT): a multicentre, randomised, phase 3 trial. Lancet Oncol 2016;17(6):757-67.
6. Long GV, Hauschild A, Santinami M et al. Adjuvant dabrafenib plus trametinib in stage III BRAF-mutated melanoma. N Engl J Med 2017;377(19):1813-23.
7. Weber J, Mandala M, Del Vecchio M et al. Adjuvant nivolumab versus ipilimumab in resected stage III or IV melanoma. N Engl J Med 2017;377(19):1824-35.
8. Eggermont AMM, Blank CU, Mandala M et al. Adjuvant pembrolizumab versus placebo in resected stage III melanoma. N Engl J Med 2018;378(19):1789-801.
9. Balch CM, Thompson JF, Gershenwald JE et al. Age as a predictor of sentinel node metastasis among patients with localized melanoma: an inverse correlation of melanoma mortality and incidence of sentinel node metastasis among young and old patients. Ann Surg Oncol 2014;21(4):1075-81.
10. Guillot B, Dalac S, Denis MG et al. [Update to the recommendations for management of melanoma stages I to III]. Ann Dermatol Venereol 2016;143(10):629-52.
11. Gershenwald JE, Scolyer RA, Hess KR et al. Melanoma staging: evidence-based changes in the American Joint Committee on Cancer eighth edition cancer staging manual. CA Cancer J Clin 2017;67(6):472-92.
12. Soong S, Ding S, Coit D et al. Predicting survival outcome of localized melanoma: an electronic prediction tool based on the AJCC Melanoma Database. Ann Surg Oncol 2010;17(8):2006-14.
Liens d'interêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
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