Éditorial

Dépistage de la fibrillation atriale silencieuse : pas si évident


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La fibrillation atriale (FA) est une arythmie très fréquente dont les conséquences peuvent être graves, car elle est associée à un risque accru d'accident vasculaire cérébral, de décès cardiovasculaire et d'insuffisance cardiaque. Le risque d'accident vasculaire cérébral peut en partie être réduit par l'instauration d'un traitement anticoagulant au long cours chez les patients à haut risque d'embolie cérébrale. Une grande partie des épisodes de fibrillation atriale est infraclinique. Pourtant, il semble logique de chercher à détecter les FA silencieuses pour pouvoir instaurer un traitement anticoagulant en vue de prévenir le risque d'accident vasculaire cérébral.

Un nombre croissant d'outils est disponible pour détecter la FA silencieuse : au-delà de la simple palpation du pouls ou de la réalisation systématique d'un électrocardiogramme lors des consultations de routine, voire par screening systématique dans les populations à risque, il existe désormais de nombreux appareils grand public qui sont présentés comme utiles pour le dépistage de la FA : ECG sur smartphone, patchs d'ECG, voire montre connectée.

Or, pour séduisante qu'elle soit, l'idée qu'un dépistage systématique de la FA silencieuse est bénéfique n'a pas encore pu être démontrée, et il est probablement prudent de résister, pour l'instant au moins, à la tentation d'utiliser tous les nouveaux outils digitaux qui nous sont proposés pour le dépistage dans la population générale, et d'autant plus chez les sujets jeunes et anxieux qui nous informent avec enthousiasme qu'ils viennent de s'équiper du dernier modèle perfectionné de montre connectée.

Tout d'abord, les essais de dépistage systématique se sont avérés très décevants : la FA silencieuse reste relativement rare, en particulier avant 75 ans et s'il n'y a pas de facteurs de risque particulier de FA. Néanmoins, c'est dans les populations plus jeunes que les outils digitaux (tels que les outils reposant sur les smartphones ou sur les montres connectées) se répandent le plus largement. Deuxièmement, les essais randomisés sont presque tous ressortis négatifs : VITAL-AF utilisant un ECG simple dérivation chez plus de 30 000 sujets de plus de 65 ans [1] et LOOP utilisant des enregistreurs implantables chez 6 000 sujets avec au moins 1 facteur de risque d'AVC et d'âge moyen de 74 ans [2]. L'essai STROKESTOP, présenté comme “positif” [3], n'a démontré qu'un bénéfice quantitativement marginal (hazard ratio = 0,96 ; IC95 : 0,92-1,00) sur un critère composite mélangeant événements ischémiques et hémorragiques (AVC ischémique ou hémorragique, embolie systémique, saignement nécessitant une hospitalisation et mortalité) dans une population de 28 768 sujets de 75 ans qui ont eu des ECG intermittents pendant 14 jours. Même si le dépistage de la FA s'avère meilleur par ces procédés que par la routine clinique, et même lorsque le taux d'utilisation du traitement anticoagulant est augmenté, le bénéfice clinique n'est pas au rendez-vous. L'explication de ces résultats décevants est multiple [4].

  • La prévalence de la FA dans la population générale est faible (et l'âge reste le corrélat le plus puissant du risque de FA).
  • Tout ce qui est détecté est loin d'être de la FA : la spécificité des outils numériques est encore imparfaite, et un certain nombre de battements irréguliers ne sont pas de la FA. Cela implique la nécessité d'une validation médicale des arythmies détectées qui peut représenter un fardeau impossible à gérer en cas de dissémination prématurée de ces outils, compte tenu du nombre d'alertes générées, sources d'anxiété, de consultations et d'examens complémentaires inutiles et coûteux.
  • Toutes les FA n'ont ni la même durée, ni le même risque emboligène : de nombreux épisodes de FA brève semblent ne pas être associés à un sur-risque d'AVC, et il semble qu'une durée de 6 à 24 heures au moins est nécessaire pour retrouver une association de la FA avec ce risque [5].
  • Toutes les FA, même prolongées, ne vont pas nécessairement tirer bénéfice d'un traitement anticoagulant qui, en revanche, comporte toujours des risques hémorragiques d'autant plus importants qu'il doit être prolongé, et ce, même si la décision d'instauration du traitement anticoagulant se conforme au score CHA2DS2-VASc (qui par ailleurs a été validé dans le contexte des FA soutenues symptomatiques et pas sur des FA brèves et silencieuses). De ce fait, la prescription large d'un traitement anticoagulant à des patients avec un risque faible d'AVC cardioembolique pourrait s'avérer plus délétère que bénéfique.

Cela ne veut pas dire qu'il ne faut jamais rechercher de la FA silencieuse. Tout d'abord, il est clair que devant un AVC ischémique, il est fondamental de s'assurer de l'absence de FA, même en l'absence de palpitation ou d'arythmie à l'ECG, et même s'il existe une autre cause potentielle d'explication (et on sait qu'il est fréquent que plusieurs causes, telles qu'athérome carotidien et FA, coexistent). D'autre part, il est concevable qu'il soit possible dans l'avenir de démontrer un bénéfice robuste au dépistage des FA silencieuses, à plusieurs conditions : se centrer sur une population à très haut risque, utiliser des outils spécifiques (qui n'engendreront pas un trop grand nombre de fausses alertes ni un fardeau intolérable de validation), se focaliser sur les épisodes de FA prolongée (il est vraisemblable que des épisodes brefs n'ont pas le même risque embolique), ce qui paradoxalement implique de ne pas utiliser des outils “trop sensibles”, et avoir une stratégie rationalisée d'utilisation du traitement anticoagulant en cas de FA détectée, qui devra probablement prendre en compte des élements plus fins que le simple score CHA2DS2-VASc, tels que les paramètres de taille et de fonction de l'oreillette. Mais cela demande un travail de validation qui reste à faire. En attendant, notre pratique doit rester conforme au principe “primum non nocere” et le dépistage de la FA pourrait faire partie des nombreux exemples de dépistage inutile, voire délétère. Du coup, on comprend mieux les conclusions que vient de rendre, il y a quelques semaines la US Preventive Services Task Force 2022 sur le screening de la FA (et qui confirment celles de 2018) : “Les preuves actuelles sont insuffisantes pour évaluer les bénéfices et les risques du screening de la FA” [6].

Références

1. Lubitz SA et al. Screening for atrial fibrillation in older adults at primary care visits: the VITAL-AF randomized controlled trial. Circulation 2022 (sous presse).

2. Svendsen JH et al. Implantable loop recorder detection of atrial fibrillation to prevent stroke (the LOOP study): a randomised controlled trial. Lancet 2021;398(10310):1507-16.

3. Svennberg E et al. Clinical outcomes in systematic screening for atrial fibrillation (STROKESTOP): a multicentre, parallel group, unmasked, randomised controlled trial. Lancet 2021;398(10310):1498-506.

4. Extramiana F, Steg PG. AF screening: the tools are ready, but should we do it? Circulation 2022 (sous presse).

5. Singer DE et al. Temporal association between episodes of atrial fibrillation and risk of ischemic stroke. JAMA Cardiol 2021;6(12):1364-9.

6. US Preventive services task force ; Davidson KW et al. Screening for atrial fibrillation: US Preventive Services Task Force recommendation statement. JAMA 2022;327(4):360-7.


Liens d'intérêt

P.G. Steg déclare avoir des liens d’intérêts avec Amarin, Bayer, Sanofi et Servier (bourses de recherche) ; Amarin, Amgen, AstraZeneca, Bayer, Bristol-Myers Squibb, Idorsia, Janssen, Novartis, Novo-Nordisk, Pfizer, Regeneron, Sanofi, Servier (essais cliniques, orateur ou consultant) ; éditeur associé senior à Circulation.