Éditorial

2021 : année de tous les espoirs ?


(pdf / 98,40 Ko)

Après 4 ans de présidence brillante et très animée, Israël Nisand a choisi de se retirer et de passer la main. Il faut avouer que 2020 a été une année pour le moins particulière et pas vraiment sympathique. La pandémie de Covid touche chacun d'entre nous tant comme médecin que comme citoyen. Qui parmi nous ne rêve pas du “monde d'avant”, des dîners entre amis, des sorties, des vacances et de vrais congrès où l'on s'instruit certes, mais aussi où l'on se rencontre, où l'on dîne ensemble? Côté professionnel, ce n'est guère mieux! Il suffit de taper sur Google “Comment porter plainte contre sa maternité?” pour découvrir (le 3 février) 1460000 résultats dont le site assez surprenant d'un médecin-avocat qui explique pas à pas comment faire.

2020 n'a pas été une année facile pour les gynécologues et obstétriciens qui se sont souvent retrouvés en première ligne médiatique dans des combats difficiles : port du masque à l'accouchement, maisons de naissance, accouchement à domicile, allongement du délai de l'IVG, révision de la loi de bioéthique, autant de sujets sur lesquels le CNGOF a dû prendre parti, défendre nos valeurs parfois malmenées, dire ce que nous pensions sans s'opposer frontalement ni aux médias ni aux patientes, trouver des réponses justes, réfléchies et adaptées.

L'allongement du délai de l'IVG fait partie de ces sujets difficiles pour lesquels la réponse n'est pas simple. L'IVG n'est pas un acte médical ordinaire, c'est un sujet complexe et clivant, mais c'est une liberté des femmes depuis la loi Veil. Il existe une certaine divergence d'avis parmi les gynécologues-obstétriciens. 72 % des gynécologues-obstétriciens sont opposés à cet allongement d'après le questionnaire du CNGOF réalisé en octobre 2020 mais si la loi passe, seuls 48 % ne les feront pas. Une étude récente de S. De Zordo [1] sur les femmes françaises qui doivent aller à l'étranger pour cause de délai dépassé démontre que 70 % d'entre elles ne se savaient pas enceintes avant 14 semaines (cycles irréguliers ou saignements intempestifs, etc.) et sont prises en charge en moyenne à 19 semaines. Quand elles découvrent leur grossesse, il leur faut en effet encore le temps de trouver l'adresse et l'argent [1]. L'allongement du délai ne réglera donc pas tous les problèmes, mieux vaut promouvoir l'interruption médico-psychosociale (IMG) que défend le CNGOF qui pourrait répondre aux cas rares des demandes au-delà de 14 semaines de grossesse (2 000 sur 219 000 IVG, soit 0,9 %). La femme doit certes justifier sa demande et l'avis est rendu par une commission multidisciplinaire, encore faut-il que l'IMG médico-psycho-sociale soit réellement accessible partout, ce qui nécessite une réelle organisation, que l'écoute des centres soit favorable aux femmes en détresse, et que le choix des femmes soit respecté chaque fois que possible. Le CNGOF plaide pour une réelle amélioration de la prise en charge des IVG en France. C'est à ce prix que la liberté de choix des femmes sera réellement respectée.

Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dans son opinion émise le 8 décembre 2020 ne s'y est d'ailleurs pas trompé. Certes, il a conclu qu'il n'y avait pas de raisons éthiques de s'opposer à l'allongement de 12 à 14 semaines de grossesse du délai d'accès à l'IVG mais le rapport a repris toutes nos propositions et souligné qu'il faut une politique de santé ajustée aux problématiques soulevées (accès équitable à l'IVG, prise en charge dans des délais rapides, la demande d'IVG doit être considérée comme une situation d'urgence), sans quoi “l'allongement s'apparenterait à un palliatif non bienfaisant d'une prise en charge bienfaisante. Le CCNE ne saurait cautionner une mesure prise pour pallier les multiples dysfonctionnements matériels, économiques, juridiques d'une politique de santé publique majeure pour les femmes.” L'IMG médico-psycho-sociale est probablement une réponse, suffira-t-elle ?

Tous nos espoirs vont donc vers 2021 l'année des vaccins (si/quand il y en aura assez pour tout le monde…) et celle de la parution (enfin) de la loi de bioéthique jusqu'ici balayée par la Covid. Certains sujets tels que l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules (dites non mariées dans le texte de loi) sortent du domaine médical proprement dit et sont plus d'ordre sociétal. Les couples de femmes et les femmes célibataires pourront en théorie accéder à l'AMP. En pratique, il leur faudra avoir recours à la seule banque de sperme autorisée en France, les Cecos. Le délai d'attente actuel pour un couple hétérosexuel qui doit avoir recours à un don de sperme est de plus d'un an. Que va devenir ce délai avec les demandes supplémentaires, estimées par l'Agence de la biomédecine à 2 000 par an ? Si rien n'est fait pour augmenter le sperme disponible en France, ces femmes devront toujours aller à l'étranger pour éviter des délais excessifs, et l'autorisation d'accès à l'AMP restera théorique. Un questionnaire adressé aux membres du CNGOF début 2020 a montré que 60,0 % des praticiens sont favorables à la prise en charge des couples de femmes, 21,6 % indifférents et seuls 18,4 % y sont opposés, cependant seulement 37,2 % de praticiens sont favorables à la prise en charge par l'Assurance maladie prévue dans le projet de loi et 44,0 % y sont opposés. En ce qui concerne les femmes seules, il n'y a que 51,3 % de praticiens favorables à leur prise en charge et seulement 34,0 % pour le remboursement par l'Assurance maladie.

D'autres sujets sont plus médicaux tels que la possibilité de lutter contre le vieillissement ovarien et la chute de la fertilité par l'autoconservation ovocytaire. Le CNGOF avait réagi l'an dernier avec une grande tristesse et une certaine colère au vote du Sénat rétablissant l'interdiction de l'autoconservation ovocytaire en France. Le Sénat vient de renouveler son interdiction sans entendre nos arguments. Bien entendu, ces ovocytes congelés doivent être utilisés à un âge raisonnable et, dès 2012, le CNGOF avait pris parti pour l'autoconservation en précisant que l'âge optimal pour les reprendre était avant 45 ans. En 2021, un nouveau sondage a montré que pour 77 % d'entre nous, l'âge limite raisonnable pour être mère est de 45 ans.

L'âge de la maternité ne cesse de reculer et les femmes qui consultent pour infertilité sont, elles aussi, de plus en plus âgées ; or, l'âge est le premier facteur de succès des traitements de l'infertilité. Aux nombreuses femmes de 40 ans et plus qui souhaitent un enfant, on propose souvent le recours au don d'ovocytes à l'étranger pour celles qui le peuvent… Si ces femmes avaient conservé leurs ovocytes, elles pourraient utiliser leurs propres ovocytes congelés. L'autoconservation permet de lutter contre le vieillissement ovarien et d'éviter le recours au don d'ovocytes. Son efficacité est démontrée dans les pays où elle est autorisée, tels l'Espagne, le Canada, la Belgique, Israël, les États-Unis, etc. [2]. En France, elle n'est possible que pour raison médicale avant un traitement qui risque d'altérer la fertilité. Toutes les études scientifiques montrent que les femmes qui recourent à cette technique le font majoritairement non pour repousser l'âge de la maternité pour faire carrière mais parce qu'elles sont seules sans partenaire [3]. Les détracteurs de l'autoconservation mettent en avant les risques de pression des employeurs, mais il est évident que ce ne sont que des prétextes. Il faudrait qu'un employeur soit “fou” pour préférer le congé maternité d'une femme un peu plus âgée ayant atteint des fonctions dirigeantes plutôt que le congé maternité d'une toute jeune femme facile à remplacer ! Il n'existe aucune raison scientifique valable d'interdire l'autoconservation ovocytaire, sinon de ne pas reconnaître l'autonomie des femmes et leur droit à disposer de leur corps. Un questionnaire début 2020 a révélé que 75,9 % des praticiens sont favorables à l'autoconservation ovocytaire (50 % voudraient une prise en charge partielle ou totale par l'Assurance maladie), seuls 12,0 % y sont opposés. Cette prise en charge devrait être possible dans tous les centres publics ou privés et non subordonnée à l'autorisation actuelle de préservation dans le cadre du cancer mais intégrée à une autorisation unique réunissant tous les actes d'AMP, ce qui ne signifie pas pour autant une prise en charge systématique par l'Assurance maladie.

Si l'on peut encore former des vœux ce serait que 2021 soit une année plus calme où les femmes reconnaissent que le port du masque n'est pas une violence obstétricale mais une violence de la Covid, que le dialogue entre les obstétriciens et leurs patientes soit apaisé et que la commission mixte paritaire Assemblée nationale et Sénat arrive à un compromis qui respecte le droit des femmes, des couples et des enfants et enfin que sur Google, on trouve plutôt : “Pourquoi ne pas porter plainte contre votre maternité : si vous voulez conserver des obstétriciens, soutenez-les !”

Références

1. De Zordo S et al. Gestational age limits for abortion and cross-border reproductive care in Europe: a mixed-methods study. BJOG 2020 25 sept. Epub ahead of print.

2. Hodes-Wertz B et al. What do reproductive-age women who undergo oocyte cryopreservation think about the process as a means to preserve fertility? Fertil Steril 2013;100(5):1343-9.

3. Ethics Committee of the American Society for Reproductive Medicine. Planned oocyte cryopreservation for women seeking to preserve future reproductive potential: an Ethics Committee opinion. Fertil Steril 2018;110(6):1022-8.


Liens d'intérêt

J. Belaisch-Allart déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.