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Comment gérer les bouffées vasomotrices de la ménopause en cas de cancer du sein ?


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Les bouffées vasomotrices (BVM) associent, à des degrés variables selon les femmes, bouffées de chaleur diurnes et sueurs nocturnes. Elles concernent près de 80 % des femmes en début de ménopause, et peuvent déjà les affecter quelques années avant son installation. Pour 25 % d'entre elles, le vécu en est très invalidant avec une altération notable de la qualité de vie. L'estrogénothérapie représente indiscutablement la thérapeutique la plus efficace mais certaines pathologies, comme le cancer du sein, en contre-indiquent de façon formelle la prescription. Ces patientes traversent déjà une période difficile liée au cancer et à ses traitements dont certains amplifient les BVM. De nombreuses alternatives non hormonales, pharmacologiques ou non, ont été étudiées et peuvent leur être proposées. D'autres à l'inverse leur sont formellement contre-indiquées soit en raison du risque carcinologique inhérent de certaines molécules, soit du fait d'interactions médicamenteuses, en particulier lors de l'utilisation d'un traitement adjuvant par tamoxifène.

Bouffées vasomotrices et cancer du sein

Les femmes atteintes d'un cancer du sein peuvent avoir une symptomatologie climatérique spécifique. En effet, il n'est pas rare que l'hypoestrogénie survienne brutalement lors des traitements du cancer avec des manifestations plus violentes et plus fréquentes. Les traitements hormonaux adjuvants majorent bien souvent ces manifestations, et ce, de façon plus prolongée dans le temps. Ainsi, la fréquence des BVM est estimée autour de 80 % chez les femmes qui utilisent ce type de thérapeutique. Parmi les 40 % de femmes qui jugent les symptômes extrêmement invalidants, 20 % seraient tentées d'interrompre leur traitement [1]. Il est donc indispensable d'entendre leurs plaintes et de mettre en œuvre toutes les solutions pertinentes et potentiellement efficaces.

Importance de la notion d'effet placebo

En matière de gestion des BVM, il est essentiel de bien connaître la notion d'effet placebo, ce qui explique la grande variabilité interindividuelle des différentes alternatives proposées selon les femmes, les caractéristiques de leurs symptômes, l'association à des troubles anxiodépressifs et la prise en charge de leur praticien. De nombreux essais randomisés ont permis de déterminer qu'un placebo diminuait de façon significative la fréquence et la sévérité des BVM chez 25 à 58 % des femmes, 10 % d'entre elles rapportant une amélioration des symptômes de 75 % [2].

Ainsi, l'analyse des différentes alternatives non hormonales doit toujours se faire en comparaison avec un groupe placebo, ce qui est très délicat pour certaines et explique des données parfois contro­versées dans la littérature.

Interventions pharmacologiques autorisées en cas de cancer du sein

Certaines molécules utilisées dans d'autres domaines, comme des antidépresseurs de la famille des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (citalopram, paroxétine, venlafaxine), un antiépileptique (gabapentine), un traitement de la douleur (prégabaline) et un antihypertenseur (clonidine), ont prouvé leur efficacité dans la prise en charge des BVM (tableau) [3-8]. Aucune de ces molécules n'a obtenu d'AMM pour le traitement des BVM et elles ne sont pas dénuées d'effets indésirables. Leur prescription ne peut donc s'inscrire que dans le cadre d'une réflexion pluridisciplinaire partagée avec la femme.

Certaines alternatives pharmacologiques n'ont pas fait la preuve de leur efficacité dans des essais bien menés, mais peuvent être essayées chez les femmes traitées pour un cancer du sein : la bêta-alanine, l'homéopathie, la vitamine E et les oméga-3 (tableau).

Diverses recommandations ont été publiées par de nombreuses sociétés savantes. Récemment, le groupe de travail du GEMVi et du CNGOF a mené une étude qui a permis d'établir des recommandations pour la pratique clinique [9].

Interventions pharmacologiques contre-indiquées en cas de cancer du sein

Les phytoestrogènes, incluant isoflavones et autres dérivés phytoestrogéniques, sont formellement contre-indiqués en cas de cancer du sein du fait de leur action via le récepteur des estrogènes. Ainsi, un arrêté du 24 juin 2014 établit la liste des plantes autorisées dans des compléments nutritionnels mais surtout leurs conditions d'emploi en cas de cancer du sein [10]. Sont concernés en particulier les dérivés du soja, le millepertuis, le black cohosh, le trèfle rouge, les graines de lin, la luzerne, le kudzu, la diamana, le gattilier… (tableau).

Interventions non pharmacologiques à proposer en cas de cancer du sein

Parmi les interventions non pharmacologiques, ­certaines ont montré des effets positifs significatifs par rapport au placebo et peuvent être proposées sans restriction aux femmes atteintes d'un cancer du sein souffrant de BVM, il s'agit du yoga et de l'hypnose. L'acupuncture semble avoir une certaine efficacité mais les études actuelles sont moins rigoureuses et ne permettent donc pas de conclure de façon formelle. Cependant, du fait de son innocuité, elle peut tout à fait être proposée aux femmes ayant eu un cancer du sein. Il en est de même pour la relaxation, les thérapies comportementales en pleine conscience, l'activité physique, la réflexologie, l'aromathérapie (tableau) mais dont les études ne montrent aucun effet significatif par rapport à un groupe comparatif dit “placebo” [9].

Cas particulier des patientes traitées par tamoxifène

Le traitement adjuvant par tamoxifène prescrit aux patientes non ménopausées atteintes d'un cancer du sein hormonodépendant ajoute une nouvelle difficulté. En effet, son métabolisme implique la voie du cytochrome P450 (CYP2D6). Or, certaines des options pharmacologiques proposées ci-dessus en sont des inhibiteurs compétitifs qui réduisent ainsi l'efficacité de l'hormonothérapie. Une étude, publiée par C.M. Kelly et al. en 2010, a calculé que la prise associée de paroxétine et de tamoxifène pourrait entraîner 1 décès supplémentaire pour 19,7 patientes [10]. Cette interaction repose sur des arguments théoriques et pharmacoépidémio­logiques mais impose la plus grande prudence. Ainsi, selon les recommandations de l'Afssaps et de l'INCa, la fluoxétine en particulier ne devrait pas être administrée concomitamment au tamoxifène. Il en est de même pour d'autres molécules comme la paroxétine et à un moindre degré la sertraline, le citalopram et l'escitalopram (tableau).

Conclusion

Les femmes traitées pour un cancer du sein sont plus à risque que les autres d'avoir des BVM invalidantes ce qui amplifie encore leurs difficultés au quotidien et altère grandement leur qualité de vie. De nombreuses armes thérapeutiques non délétères doivent être essayées en commençant par celles non pharmacologiques qui ont pu être validées rigoureusement. Le passage à des molécules détournées de leur indication principale est toujours délicat mais peut être proposé à ces patientes. Enfin, l'importance de l'effet placebo incite à essayer largement toutes les alternatives non néfastes. ■

Tableau. Alternatives pharmacologiques ou non pharmacologiques en cas de cancer du sein (d’après B. Raccah-Tebeka et al. [9]).

AlternativesCancer du sein sans tamoxifèneCancer du sein avec tamoxifène
Alternatives pharmacologiques à discuter
Paroxétine
Venlafaxine
Fluoxétine
Citalopram
Sertraline
Gabapentine
Prégabaline
Clonidine
Oméga-3, bêta-alanine, homéopathie, vitamine E
Oui
Oui
Oui mais efficacité discutée
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui mais efficacité non prouvée
Non
Oui
Non
Non
Non
Oui
Oui
Oui
Oui mais efficacité non prouvée
Alternatives pharmacologiques non autorisées
Phytoestrogènes (isoflavones et autres dérivés)…
Millepertuis
Black cohosh
Trèfle rouge
Graines de lin
Herbes chinoises
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Alternatives non pharmacologiques
Yoga
Hypnose
Acupuncture
Relaxation, activité physique, méditation, thérapies comportementales, réflexologie, aromathérapie
Oui
Oui
Oui mais efficacité discutée

Oui mais efficacité non prouvée
Oui
Oui
Oui mais efficacité discutée

Oui mais efficacité non prouvée

Références

1. Hickey M et al. The multidisciplinary management of menopausal symptoms after breast cancer: a unique model of care. Menopause 2010;17(4):727-33.

2. Freeman EW et al. Placebo improvement in pharmacologic treatment of menopausal hot flashes: time course, duration and predictors. Psychosom Med 2015;77(2):167-75.

3. Barton DL et al. Phase III, placebo-controlled trial of three doses of citalopram for the treatment of hot flashes: NCCTG trial N05C9. J Clin Oncol 2010;28(20):3278-83.

4. Stearns V et al. Paroxetine controlled release in the ­treatment of menopausal hot flashes: a randomised controlled trial. JAMA 2003;289(21):2827-34.

5. Loprinzi CL et al. Venlafaxine in management of hot flashes in survivors of breast cancer: a randomised controlled trial. Lancet 2000;356(9247):2059-63.

6. Butt DA et al. Gabapentin for the treatment of menopausal hot flashes: a randomised controlled trial. Menopause 2008;15(2):310-8.

7. Loprinzi CL et al. Phase III, randomized, double-blind, ­placebo-controlled evaluation of pregabalin for alleviating hot flashes. J Clin Oncol 2010;28(4):641-7.

8. Pandya KJ et al. Oral clonidine in postmenopausal patients with breast cancer experiencing tamoxifen-­induced hot

flashes: a university of Rochester Cancer Center Community Clinical Oncology Program study. Ann Int Med 2000;132(10):788-93.

9. Raccah-Tebeka B et al. Alternatives non hormonales de prise en charge des bouffées vasomotrices post-ménopausiques. RPC Les femmes ménopausées du CNGOF et du GEMVi. Gynecol Obstet Fertil Senol 2021;49(5):373-93. Arrêté plantes 24 juin 2014.

10. Kelly CM et al. Selective serotonin reuptake inhibitors and breast cancer mortality in women receiving tamoxifen: a population based cohort study. BMJ 2010;340:c693.


Liens d'intérêt

B. Raccah-Tebeka et G. Plu-Bureau déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.