Dossier

Sensibilité intestinale au gluten

Mis en ligne le 11/04/2018

Mis à jour le 30/04/2018

Auteurs : Georgia Malamut

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  • Le diagnostic d'hypersensibilité au gluten nécessite d'éliminer préalablement celui de maladie coeliaque.
  • L'hypersensibilité au gluten est définie par des troubles fonctionnels intestinaux résolutifs sous régime sans gluten.
  • Il n'existe aucun rationnel scientifique à ce jour pour l'hypersensibilité au gluten.
  • L'hypersensibilité au gluten peut être confondue avec l'hypersensibilité aux FODMAP.
  • Le régime sans gluten reste débattu dans l'hypersensiblité au gluten.

Définition des différentes entités digestives liées au gluten

La sensibilité intestinale au gluten est un terme générique qu'il faut circonscrire. On la distingue en général de la maladie cœliaque ou intolérance au gluten, qui correspond à une entéropathie auto-­immune secondaire à l'ingestion de gluten, survenant chez des sujets génétiquement prédisposés (1). Il faut également la distinguer de la sensibilité au gluten, ou hypersensibilité non cœliaque au gluten, et de l'allergie au gluten. L'allergie au gluten est une réaction d'hypersensibilité immédiate médiée par les immunoglobulines E (IgE), et des IgE spécifiques ont été détectées contre des épitopes des oméga-5 gliadines et gluténines de haut poids moléculaire (2).

L'hypersensibilité non cœliaque au gluten se manifeste par des troubles fonctionnels digestifs améliorés par le régime sans gluten. Les IgA antigliadine sont observées chez moins de 8 % des patients, et les anticorps antitransglutaminase sont absents (3). Il n'existe aucune lésion d'atrophie villositaire intestinale détectable, ce qui infirme le diagnostic de maladie cœliaque.

Hypothèses physiopathogéniques

Au cours de l'hypersensibilité au gluten, il n'y a pas d'atrophie villositaire, mais une hyperlympho­cytose intraépithéliale est observée dans 40 % des cas (4). Les différentes études sérologiques révèlent la négativité des anticorps sériques antitransglutaminase (IgA et IgG), ce qui témoigne de l'absence de réponse immune adaptative dans le chorion. Différentes hypothèses ont été avancées pour rendre compte de l'hyperlymphocytose intraépithéliale parfois observée. Il a été proposé que des épitopes du gluten pourraient induire un ”stress épithélial” au niveau de la muqueuse intestinale et, comme chez les patients apparentés à des malades cœliaques, favoriser une réponse innée avec hyperproduction d'interleukine-15 (IL-15) et de protéines de stress de type Heat Shock Protein (HSP27 et HSP70) [5]. Une altération de la perméabilité intestinale a été suggérée par le travail de Vazquez-Roque et al. (6).

Certains patients semblent davantage présenter une hypersensibilité aux FODMAP (Fermentable Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides and Polyols) qu'au gluten. Ces carbohydrates à chaînes courtes (fructose, fructane, lactose, galactanes, polyols) exercent un effet osmotique dans la lumière intestinale, et leur fermentation est responsable de libération d'hydrogène favorisant ainsi la distension abdominale (7). Comme le blé contient des FODMAP, un effet confondant avec le gluten est possible. L'équipe de Biesierkierski a d'ailleurs montré qu'il n'y avait plus d'impact de l'éviction du gluten lorsque les patients ”hypersensibles” suivaient un régime allégé en FODMAP (8). Le fructane est une molécule de stockage énergétique du blé et fait partie des FODMAP. Sa concentration dans les blés modernes est nettement supérieure à ce qu'elle était dans les blés anciens (9). Par ailleurs, d'autres composants du blé comme les ATI (inhibiteurs de l'amylase et de la trypsine) sont capables de stimuler l'immunité innée intestinale (10). Les ATI sont des protéines présentes dans les grains de céréales et leur rôle principal est de rendre le blé plus résistant aux insectes et aux parasites. Le blé moderne a une teneur en ATI plus élevée que les variétés anciennes. Des études ont montré que les ATI peuvent activer les récepteurs toll-like (Toll-Like Receptor-4 ou TLR4) et le complexe TLR4-MD2-CD14 au niveau des monocytes, des macrophages et des cellules dendritiques de la muqueuse intestinale. Cela entraînerait une cascade d'événements menant à la production de cytokines pro-inflammatoires : interleukine-8 (IL-8), interleukine-12 (IL-12), TNF (Tumor Necrosis Factor), MCP-1 (Monocyte Chemoattractant Protein-1) et RANTES (Regulated on Activation, Normal T cell Expressed and Secreted) [10, 11]. L'inflammation intestinale ainsi produite pourrait être à l'origine des symptômes digestifs. D'autres protéines comme les lectines du blé WGA (Wheat Germ Agglutinin) pourraient également stimuler l'immunité innée. Comme les ATI et les WGA, les carbohydrates et les fructanes du blé pourraient être impliqués. Le terme d'hypersensibilité au blé serait alors plus approprié que celui d'hypersensibilité au gluten. Une étude récente montre que l'hypersensibilité au blé survient préférentiellement chez des patients ayant un terrain auto-immun (12).

Épidémiologie, manifestations cliniques et diagnostic

L'hypersensibilité au gluten pourrait concerner jusqu'à 1 % de la population européenne et nord-américaine et toucherait davantage les femmes (6). Une étude épidémiologique regardant le pourcentage de sujets hypersensibles et de sujets cœliaques parmi les patients au régime sans gluten montre de fortes disparités de fréquence. Ainsi, aux États-Unis, les patients cœliaques représentent 69,8 % des patients au régime sans gluten, alors qu'ils sont 94,7 % en Argentine (p < 0,0001). Cela suggère une forte influence des conditions socio­économiques sur l'hypersensibilité, qui semble davantage concerner les pays riches (13).

Le diagnostic d'hypersensibilité au gluten reste à ce jour exclusivement clinique et repose sur des symptômes à type de troubles fonctionnels intestinaux (douleurs abdominales, ballonnements et alternance diarrhée/constipation), améliorés par l'exclusion du gluten (14). Des troubles extradigestifs, tels que des douleurs ostéoarticulaires, une humeur dépressive, des céphalées ou de la fibromyalgie peuvent être associés (14). Le bénéfice de l'éviction du gluten a été prouvé par un essai randomisé en double aveugle versus placebo (15). Il n'existe pas de test biologique diagnostique, même si des IgG antigliadine, très peu spécifiques, ont été retrouvées dans 56 % des cas et, de façon plus rare, des IgA antigliadine (environ 8 % des cas), les anticorps antitransglutaminase ou anti-endomysium restant négatifs (3). Il n'existe pas, par définition, d'entéropathie, bien qu'une légère hyperlymphocytose intraépithéliale ait pu être observée (6).

Traitement

Si le régime strict sans gluten est indiscutable en cas d'allergie au gluten ou au cours de la maladie cœliaque, il pose davantage question en cas d'hyper­sensibilité non cœliaque au gluten. Il n'existe en effet aucune complication évolutive liée à la consommation de gluten chez les hyper­sensibles. Le respect du régime sans gluten au cours de l'hyper­sensibilité au gluten reste donc discuté. Si la définition de cette entité clinique repose sur la régression des troubles digestifs par l'éviction du gluten, une diminution de la consommation en FODMAP peut aussi entraîner une amélioration significative des symptômes (11). L'attitude doit s'adapter au type d'aliments responsables des troubles. Si les troubles digestifs sont induits aussi par des aliments contenant des FODMAP (lait/lactose, fruits/fructose, etc.), on peut d'abord préconiser une alimentation allégée en FODMAP. En effet, une étude récente suggère qu'un régime sans fructane, FODMAP naturel du blé, serait plus efficace chez les hypersensibles au gluten qu'un régime sans gluten (13). Cette étude rapporte les résultats d'un essai randomisé en double aveugle versus placebo en cross-over, en étudiant les scores de symptômes de l'intestin irritable et de ballonnement chez des patients hypersensibles au gluten. Ces patients étaient séparés en trois groupes : un groupe mis au régime avec gluten, un autre au régime avec fructane, et le troisième groupe recevant le placebo. Les deux scores du syndrome de l'intestin irritable étaient significativement plus élevés dans le groupe consommant du fructane que dans celui consommant du gluten et que dans le groupe placebo. Il n'y avait pas de différence significative des scores entre le groupe consommant du gluten et le groupe placebo.

En revanche, si les troubles digestifs ne sont diminués que par l'exclusion du gluten ou du blé, il faut éliminer une hypersensibilité au blé et proposer un régime sans blé moins restrictif que le régime sans gluten. Une étude récente, réalisée chez 200 patients hypersensibles au blé, montre que la grande majorité reste hypersensible (85 %) après 8 ans, mais que les symptômes sont toujours contrôlés par le régime sans blé pour 90 % d'entre eux (16). Ainsi, il est souhaitable de laisser entrevoir au patient hyper­sensible non cœliaque un régime moins restrictif que le régime sans gluten et de lui rappeler en outre que, si l'exclusion isolée du gluten n'apporte pas de carence, les produits sans gluten sont 3 à 5 fois plus chers que les produits avec gluten et qu'aucune prise en charge n'est prévue par la Sécurité sociale.

Conclusion

Le diagnostic d'hypersensibilité au gluten est exclusivement clinique et une maladie cœliaque doit avoir été préalablement éliminée. Il est d'ailleurs souvent nécessaire de réaliser des tests de réintroduction du gluten pour écarter une maladie cœliaque avant le contrôle endoscopique des patients hypersensibles s'étant auto-administrés un régime sans gluten depuis plusieurs mois. Aucune donnée n'indique qu'un régime strict soit nécessaire au cours de l'hypersensibilité au gluten car, contrairement à la maladie cœliaque, il n'existe aucune complication évolutive décrite. Certains patients hypersensibles peuvent bénéficier d'un régime allégé en hydrates de carbone (FODMAP) ou en blé, moins restrictif et onéreux que le régime sans gluten.■

Références

1. Meresse B, Malamut G, Cerf-Bensussan N. Celiac disease: a immunological jigsaw. Immunity 2012 ;36:907-19.

2. Matsuo H, Kohno K, Niihara H, Morita E. Specific IgE determination to epitope peptides of omega-5 gliadin and high molecular weight glutenin subunit is a useful tool for diagnosis of wheat-dependent exercise-induced anaphylaxis. J Immunol 2005;175:8116-22.

3. Volta U, Tovoli F, Cicola R et al. Serological tests in gluten sensitivity (nonceliac gluten intolerance). J Clin Gastroenterol 2012;46:680-5.

4. De Giorgio R, Volta U, Gibson PR. Sensitivity to wheat, gluten and FODMAPs in IBS: facts or fiction? Gut 2016;65:169-78.

5. Troncone R, Jabri B. Coeliac disease and gluten sensitivity. J Intern Med 2011;269:582-90.

6. Vazquez-Roque MI, Camilleri M, Smyrk T et al. A controlled trial of gluten-free diet in patients with irritable bowel syndrome-diarrhea: effects on bowel frequency and intestinal function. Gastroenterology 2013;144:903-911.e3.

7. Barrett JS, Gearry RB, Muir JG et al. Dietary poorly absorbed, short-chain carbohydrates increase delivery of water and fermentable substrates to the proximal colon. Aliment Pharmacol Ther 2010;31:874-82.

8. Biesierkierski JR, Peters SL, Newnham ED, Rosella O, Muir JG, Gibson PR. No effects of gluten in patients with self-reported non-celiac gluten sensitivity after dietary reduction of fermentable, poorly absorbed, short-chain carbohydrates. Gastroenterology 2013;145:320-8.e1-3.

9. Biesiekierski JR, Rosella O, Rose R et al. Quantification of fructans, galacto-oligosaccharides and other short-chain carbohydrates in processed grains and cereals. J Hum Nutr Diet 2011;24:154-76.

10. Fasano A, Sapone A, Zevallos V, Schuppan D. Nonceliac gluten sensitivity. Gastroenterology 2015;148:1195-204.

11. Junker Y, Zeissig S, Kim SJ et al. Wheat amylase trypsin inhibitors drive intestinal inflammation via activation of toll-like receptor 4. J Exp Med 2012;209:2395-408.

12. Carroccio A, D’Alcamo A, Cavataio F et al. High proportions of people with nonceliac wheat sensitivity have autoimmune disease or antinuclear antibodies. Gastroenterol 2015;149:596-603.e1.

13. Zylberberg HM, Yates S, Borsoi C et al. Regional and national variations in reasons for gluten avoidance. J Clin Gastroenterol 2017 [Epub ahead of print].

14. Leonard MM, Sapone A, Catassi C, Fasano A. Celiac disease and nonceliac gluten sensitivity: A review. JAMA 2017;318:647-56.

15. Skodje GI, Sarna VK, Minelle IH et al. Fructan, rather than gluten, induces symptoms in patients with self-reported non-celiac gluten sensitivity. Gastroenterology 2018;154:529-39.e2.

16. Carroccio A, D’Alcamo A, Iacono G et al. Persistence of nonceliac wheat sensitivity, based on long-term follow-up. Gastroenterology 2017;153:56-8.e3.

Liens d'interêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

auteur
Pr Georgia MALAMUT

Médecin
Gastro-entérologie et hépatologie
Hôpital européen Georges-Pompidou, Paris
France
Contributions et liens d'intérêts

centre(s) d’intérêt
Gastroentérologie
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