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Manifestations audiovestibulaires au cours des maladies multisystémiques

Mis en ligne le 31/12/2019

Auteurs : F. Cohen-Aubart, J. Haroche, Z. Amoura

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  • Les manifestations audiovestibulaires peuvent être révélatrices d'une maladie multisystémique, dont la reconnaissance permet un traitement spécifique adapté.
  • Au cours de la sarcoïdose, les surdités neurosensorielles sont fréquemment récidivantes et doivent être traitées par une corticothérapie prolongée, souvent associée à un immunosuppresseur.
  • Devant des manifestations audiovestibulaires, la recherche d'une maladie multisystémique repose sur la recherche de symptômes évocateurs, sur quelques examens biologiques, une IRM cérébrale et une ponction lombaire, les autres examens dépendant du contexte.

Des manifestations audiovestibulaires variées (acouphènes, surdité, vertiges, sensation d'oreille bouchée) peuvent survenir au cours de nombreuses maladies multisystémiques auto-immunes, vasculaires ou inflammatoires. Il est important de connaître le spectre de ces maladies multisystémiques, car les manifestations audio­vestibulaires peuvent être révélatrices. Comme elles peuvent également survenir au cours de ces affections chroniques, il est important de les identifier comme appartenant au phénotype de la maladie. Nous détaillerons ici les principales maladies multi­systémiques associées aux manifestations audiovestibulaires, et proposerons un guide des examens à réaliser.

Manifestations audiovestibulaires au cours de la sarcoïdose

La sarcoïdose est une granulomatose multi­systémique de cause inconnue affectant principalement les adultes jeunes entre 25 et 45 ans, avec un second pic chez les femmes aux alentours de 50 ans. Elle est caractérisée par la présence de granu­lomes épithélioïdes et gigantocellulaires dans un ou plusieurs organes, en particulier les ganglions lymphatiques intrathoraciques et le poumon, qui sont atteints chez 90 % des patients [1]. Les autres organes souvent touchés sont le foie, les ganglions lymphatiques extrathoraciques, l'œil et la peau. Les atteintes neurologiques auxquelles sont rattachées les manifestations audiovestibulaires sont rares (moins de 5 % des cas), mais fréquemment révélatrices de la sarcoïdose (70 % des patients). Elles peuvent constituer l'unique localisation de la sarcoïdose, ce qui constitue une difficulté diagnostique [2]. L'atteinte des nerfs crâniens survient dans 11 à 80 % des cas selon les séries, et peut s'associer à d'autres atteintes neurologiques, notamment méningée, médullaire ou hypothalamohypophysaire. Les signes cliniques de neurosarcoïdose dépendent de la localisation des granulomes [3]. Les nerfs crâniens le plus fréquemment touchés sont les nerfs optiques, trijumeaux et faciaux, suivis des nerfs audiovestibulaires et de l'oculomotricité. Les manifestations audiovestibulaires peuvent être une surdité neurosensorielle, des acouphènes, un vertige aigu ou subaigu. Certaines anomalies biologiques peuvent laisser suspecter le diagnostic de sarcoïdose : une augmentation de l'enzyme de conversion sérique (25 à 50 % des cas), une lymphopénie prédominant sur les CD4+, une augmentation des transaminases, une hypercalcémie ou une hypergammaglobulinémie polyclonale. La protéine C-réactive est typiquement normale ou peu augmentée. L'analyse du liquide céphalorachidien (LCR), obtenu par ponction lombaire, met en évidence dans plus de la moitié des cas une hypercellularité à prédominance de lymphocytes, parfois associée à une hypoglycorachie et, dans 20 à 50 % des cas, la présence de bandes oligoclonales spécifiques du LCR. Le dosage de l'enzyme de conversion de l'angiotensine dans le LCR est de peu d'utilité pour différencier la sarcoïdose d'autres affections neurologiques inflammatoires [3]. L'IRM cérébrale met en évidence des hypersignaux FLAIR qui ont un aspect non spécifique et peuvent toucher n'importe quelle partie du système nerveux central (SNC) : substance blanche sustentorielle, tronc cérébral, noyaux gris, cervelet. Certaines localisations sont toutefois évocatrices : atteinte des nerfs optiques, du plancher du V4, du tronc cérébral ou des pédoncules cérébelleux, atteinte de la région hypothalamo­hypophysaire [4]. Une prise de contraste leptoméningée est fréquemment trouvée et est très évocatrice lorsqu'elle présente un aspect micronodulaire confluent. Les nerfs crâniens, en particulier le VIII en cas de manifestations audio­vestibulaires, peuvent être épaissis ou rehaussés par le gadolinium. Le diagnostic de sarcoïdose repose sur l'association d'un tableau clinique et radiologique compatible, la présence de granulomes épithélioïdes et gigantocellulaires sans nécrose caséeuse dans au moins 1 organe, et sur l'exclusion des autres causes de granulomatose ou affections pouvant donner un tableau clinique ou radiologique similaire, ce qui représente une étape majeure du diagnostic de sarcoïdose [5]. Les organes le plus facilement accessibles pour obtenir une documentation histologique sont les glandes salivaires accessoires, les bronches pour des biopsies bronchiques étagées, les ganglions périphériques ou intrathoraciques, la peau ou le foie. Le choix des sites à biopsier pourrait être guidé par la 18-fluorodésoxyglucose (18FDG) en tomographie par émissions de positons (TEP) [6]. La stratégie doit faire privilégier les sites et les techniques les moins invasifs.

Il n'existe aucune étude randomisée actuellement disponible sur le traitement des atteintes neurologiques de la sarcoïdose. Les corticostéroïdes constituent le traitement de première intention. Il peut être administré par voie orale ou, en cas de manifestations aiguës et graves, intraveineuse. La dose de corticoïdes n'est pas consensuelle, variant entre 0,5 et 1 mg/kg/j [7]. La supplémentation en calcium et vitamine D n'est pas recommandée au stade initial de la prise en charge en raison du risque d'hypercalcémie, mais peut être introduite secondairement lorsque la maladie est contrôlée. Il n'existe pas de démonstration formelle de la nécessité d'un immunosuppresseur dans les atteintes neurologiques de la sarcoïdose, mais ils sont fréquemment administrés en association avec les corticoïdes, soit d'emblée, soit en cas de rechute. Le méthotrexate à dose immunomodulatrice, l'azathioprine ou le mycophénolate mofétil peuvent être utilisés. Les immunosuppresseurs de deuxième ligne (échec ou progression avec un immunosuppresseur de première ligne) sont l'infliximab, un anti-TNFα, et, moins fréquemment, le cyclophosphamide, qui présente une toxicité gonadique [8].

Manifestations audiovestibulaires au cours des autres maladies multisystémiques

Syndrome de Susac

Le syndrome de Susac est une vasculopathie rare affectant le cerveau, l'oreille interne et la rétine, qui survient plutôt chez les femmes jeunes. Il se manifeste par un ou plusieurs des éléments de la triade clinique comportant une encéphalopathie de degré variable, des manifestations audiovestibulaires (vertiges, surdité) et des occlusions des branches de l'artère centrale de la rétine [9]. Le diagnostic de syndrome de Susac repose sur la présence de troubles cognitifs ou comportementaux, de troubles neurologiques focaux ou de céphalées d'apparition récente, associées à des lésions hyperintenses en T2 sur l'IRM cérébrale, multifocales, arrondies, touchant le corps calleux ; sur la présence d'occlusions de branches de l'artère centrale de la rétine au fond d'œil ou sur une angiographie à la fluorescéine, avec ou sans signes cliniques ; et, enfin, sur des acouphènes, un vertige périphérique ou une surdité confirmée sur l'audiogramme, pantonale et prédominant sur les fréquences moyennes ou basses. En réalité, seuls 13 % des patients présentent la triade complète au début de la maladie, et 80 % la complètent au cours de l'évolution. Il faut donc évoquer cette affection dès que 2 de ces composantes sont présentes [10]. L'atteinte ORL est présente chez 84 % des patients ayant un syndrome de Susac [9]. La surdité, usuellement aiguë ou subaiguë, est le symptôme ORL le plus fréquent : elle est bilatérale dans 62 % des cas, simultanée ou séquentielle. Les patients ayant une encéphalo­pathie peuvent ne pas décrire de symptômes ORL ou ophtalmologiques, ce qui est une cause fréquente de non-diagnostic. La cause du syndrome de Susac n'est pas connue. Les études histologiques cérébrales ont montré des micro-infarctus avec peu d'inflammation périvasculaire et sans dépôt de complément [11]. L'IRM montre typiquement des hypersignaux en T2 tels que décrits ci-dessus, de la substance blanche sus- et sous-tentorielle, et une atteinte des noyaux gris dans 70 % des cas. Un rehaussement lepto­méningé peut être observé chez un tiers des patients. Les analyses du LCR peuvent être normales. Toutefois, la protéinorachie est fréquemment élevée, parfois au-dessus de 1 g/L, alors que les éléments cellulaires sont plutôt normaux ou modérément augmentés, à prédominance lymphocytaire. Les bandes oligoclonales sont typiquement absentes.

Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada

La maladie de Vogt-Koyanagi-Harada (VKH) est une affection auto-immune rare dont la cible est constituée des tissus contenant des mélanocytes. Les personnes à peau foncée (Asiatiques, Hispaniques, Amérindiens), particulièrement les femmes, sont plus souvent touchées, avec un âge moyen de début aux alentours de 30 ans. L'allèle *0405 du HLA-DRB1 a une fréquence accrue parmi les patients touchés. Les organes affectés par la maladie de VKH sont l'œil (uvée, rétine), le SNC (leptoméninge), l'oreille interne et la peau [12]. La présentation classique de la maladie de VKH comporte une panuvéite granulomateuse, un vitiligo, une poliose des cheveux ou des sourcils et une surdité neurosensorielle. La maladie de VKH évolue classiquement en 3 phases : la première est une phase prodromale comportant une méningo­encéphalite et les signes cliniques non spécifiques qui s'y associent (céphalées, syndrome méningé), une surdité neurosensorielle, généralement modérée et symétrique, affectant les fréquences élevées, des symptômes vestibulaires, et parfois d'autres atteintes de nerfs crâniens. La deuxième phase est liée à une inflammation oculaire causant une panuvéite bilatérale avec œdème papillaire et, typiquement, un décollement séreux rétinien, associée à des acouphènes et à une surdité neurosensorielle. Durant la troisième phase, dite de “convalescence”, surviennent les modifications des téguments : vitiligo, alopécie et poliose [13]. Sur le long terme, les patients peuvent avoir des épisodes d'inflammation oculaire granulomateuse récidivante. Le diagnostic de maladie de VKH repose essentiellement sur la chronologie des troubles et les constatations ophtalmologiques. Des critères diagnostiques ont été proposés en 2018, mais n'ont pas été validés dans toutes les populations [14].

Maladie de Cogan

La maladie de Cogan est une maladie auto-immune responsable de manifestations neurologiques, ophtalmo­logiques et audiovestibulaires, survenant chez les patients européens aux alentours de 25 ans [15]. Une vascularite des gros ou moyens vaisseaux peut s'y associer. La pathogénie de cette affection est supposée être liée à des autoanticorps dirigés contre la connexine 26, exprimée sur l'épithélium sensoriel de l'oreille interne et sur les cellules endothéliales. L'atteinte ophtalmologique est une kératite interstitielle, douloureuse, responsable d'une photophobie et d'une baisse de l'acuité visuelle. Une surdité brusque est fréquemment inaugurale, ou survient dans les premières semaines de la maladie. Elle peut être uni- ou bilatérale, et affecte les fréquences moyennes ou élevées, avec des acouphènes, vertiges, nausées et vomissements. L'IRM cérébrale est souvent normale, alors que le LCR est souvent anormal et montre une hyperprotéinorachie avec une méningite lymphocytaire.

Autres affections

Au cours de la maladie de Behçet − maladie auto-­immune multisystémique responsable d'une vascularite des vaisseaux de gros, moyen et petit calibre, associée à des aphtes oraux et génitaux récurrents, des manifestations cutanées et une atteinte ophtalmo­logique (uvéite) −, les manifestations audiovestibulaires sont observées dans 20 à 30 % des cas [16]. Il s'agit le plus souvent d'une surdité neurosensorielle modérée, aiguë, prédominant sur les fréquences hautes. L'IRM cérébrale est fréquemment anormale, montrant une atteinte du tronc cérébral et des pédoncules cérébraux, avec un rehaussement par le gadolinium.

Au cours des autres maladies auto-immunes, comme le syndrome de Gougerot-Sjögren primaire, le lupus systémique et le syndrome des anticorps anti­phospholipides, les manifestations audiovestibulaires ont une fréquence variable qui varie selon les examens réalisés. Une baisse de l'acuité auditive est rapportée chez près de 80 % des patients ayant un syndrome de Gougerot-Sjögren primaire lorsqu'une audiométrie est systématiquement réalisée.

Les histiocytoses et la maladie associée aux IgG4 sont typiquement responsables d'une atteinte pachyméningée avec atteinte des nerfs crâniens par compression. Parmi les histiocytoses du groupe L, c'est au cours de la maladie d'Erdheim-Chester qu'une pachyméningite est le plus souvent observée. Dans la maladie de Destombes-Rosai-Dorfman − une autre histiocytose multisystémique −, l'atteinte neurologique peut être isolée. Le LCR est très souvent anormal, montrant une méningite avec une forte hyperprotéinorachie et, parfois, une hypo­glycorachie. L'association d'une surdité à une maladie de Destombes-Rosai-Dorfman doit faire chercher la forme syndromique de syndrome H, liée à une mutation du gène SLC29A3. La maladie associée aux IgG4 est une affection multisystémique pouvant être responsable d'une pachyméningite avec surdité neurosensorielle. Elle doit être évoquée devant des antécédents de pancréatite, une atteinte pulmonaire ou périrénale, des adénopathies. Le dosage sanguin des sous-classes d'immuno­globulines G peut montrer une élévation des IgG4, mais il peut être normal.

Quel bilan réaliser devant une surdité avec suspicion de maladie multisystémique ?

Les signes d'orientation et examens biologiques et d'imagerie nécessaires sont résumés dans le tableau. Le terrain (âge, sexe, origine) est primordial pour analyser les causes possibles. Certaines de ces affections (typiquement : sarcoïdose, histio­cytose) peuvent ne donner que peu de signes cliniques non ORL ou neurologiques. En plus de l'IRM cérébrale et de la biologie sanguine, une ponction lombaire doit être réalisée, en fonction de la suspicion clinique. La présence d'une méningite impose de rechercher une cause systémique associée.
Un scanner thoracoabdominopelvien peut compléter les recherches en cas de suspicion de sarcoïdose, et il faut même envisager parfois une imagerie nucléaire (TEP) si la suspicion est forte.

Conclusion

Les manifestations audiovestibulaires peuvent survenir au cours de maladies multisystémiques variées, dont la reconnaissance peut permettre un traitement ciblé adapté. La recherche d'une cause repose sur les données cliniques, des examens biologiques simples, une IRM cérébrale et une ponction lombaire. Les autres examens dépendent du contexte.■

Références

1. Valeyre D et al. Sarcoidosis. Lancet 2014;383(9923):1155-67.

2. Cohen-Aubart F et al. Neurosarcoidosis: diagnosis and therapeutic issues. Rev Med Interne 2017;38(6):393-401.

3. Cohen-Aubart F et al. Spinal cord sarcoidosis: clinical and laboratory profile and outcome of 31 patients in a case-control study. Medicine 2010;89(2):133-40.

4. Langrand C et al. Hypothalamo-pituitary sarcoidosis: a multicenter study of 24 patients. QJM 2012;105(10):981-95.

5. Statement on sarcoidosis. Joint statement of the American Thoracic Society (ATS), the European Respiratory Society (ERS) and the World Association of Sarcoidosis and Other Granulomatous Disorders (WASOG) adopted by the ATS Board of Directors and by the ERS Executive Committee, February 1999. Am J respir Crit Care Med 1999;160(2):736-55.

6. Bartels S et al. FDG PET findings leading to diagnosis of neurosarcoidosis. Clin Neurol Neurosurg 2013;115(1):85-8.

7. Nozaki K, Judson MA. Neurosarcoidosis. Curr Treat Options Neurol 2013;15(4):492-504.

8. Vorselaars AD et al. Effectiveness of infliximab in refractory FDG PET-positive sarcoidosis. Eur Respir 2015;46(1):175-85.

9. Kleffner I et al. Diagnostic criteria for Susac syndrome. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2016;87(12):1287-95.

10. Aubart-Cohen F et al. Long-term outcome in Susac syndrome. Medicine (Baltimore) 2007;86(2):93-102.

11. Papo T et al. Susac syndrome. Rev Med Interne 2012;33(2):94-8.

12. Read RW et al. Revised diagnostic criteria for Vogt-Koyanagi-Harada disease: report of an international committee on nomenclature. Am J Ophthalmol 2001;131(5):647-52.

13. Street D et al. Vogt-Koyanagi-Harada disease. Pract Neurol 2019;19(4):364-7.

14. Yang P et al. Development and evaluation of diagnostic criteria for Vogt-Koyanagi-Harada Disease. JAMA Ophthalmol 2018;136(9):1025-31.

15. Durtette C et al. Cogan syndrome: characteristics, outcome and treatment in a French nationwide retrospective study and literature review. Autoimmun Rev 2017;16(12):1219-23.

16. Sota J et al. Auditory involvement in Behcet’s disease: relationship with demographic, clinical, and therapeutic characteristics. Clin Rheumatol 2017;36(2):445-9.

Liens d'interêts

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auteur
Dr Fleur COHEN-AUBART

Médecin
Médecine interne
Hôpital de la Pitié-Salpêtrière , Paris
France
Contributions et liens d'intérêts

centre(s) d’intérêt
Neurologie,
ORL
Mots-clés