Éditorial

L'accès aux traitements pour tous de manière égalitaire restera-t-il la règle ?


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Le principe d'universalité de l'accès aux soins repose sur la conception moderne d'une protection sociale pour tous les citoyens, sans catégorisation d'âge, de moyens ou de comportements. Il repose sur le fait que la nation est solidaire avec tous tout au long de la vie, “du berceau à la tombe”.

Cependant, si l'État-providence est présenté comme animé par des principes de solidarité, de justice et d'égalité, il n'en demeure pas moins que la gestion des assurances sociales en général et de l'Assurance maladie en particulier nécessite une approche pragmatique : celle de sécuriser les risques et d'assurer la bonne gestion économique du système, pour sa survie, et donc pour le bien de tous.

Dans certaines pathologies, de nouveaux traitements ciblés individualisés coûtent entre 50 000 et 100 000 euros par an par patient, avec des coûts moyens de 150 000 à 300 000 euros par personne sur toute une durée de traitement.

En parallèle, la santé comme principe a acquis la dimension d'un droit fondamental depuis la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 : le premier alinéa de l'article 25 stipule en effet que “toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux […]”. Ces éléments se retrouvent dans la Constitution de notre République et sont à la base de notre vivre-ensemble et de la qualité de notre système de soins.

Aujourd'hui, l'augmentation constante des dépenses de santé et le coût des innovations questionnent le système de protection sociale. La question éthique complexe à poser et à résoudre est alors de savoir “combien vaut une vie ?”, mais aussi de déterminer combien la société est-elle prête à dépenser non pas uniquement pour sauver une vie, mais pour la prolonger, et ce, pour combien de temps ? C'est ce que soulignaient déjà en 2009 Titi Fojo et Christine Grady dans le Journal of National Cancer Institute (2009;101(15):1044-8) ; par exemple, 1,2 mois en moyenne d'espérance de vie en plus vaut-il ou non 50 000 euros, 100 000 euros, etc. ?

Cela soulève la tension entre, d'une part, un bénéfice individuel et, d'autre part, la recherche d'un équilibre collectif, mais aussi entre la solidarité que les bien-portants peuvent apporter et les dépenses que les médecins souhaitent mettre en œuvre pour les malades.

Alors que le gouvernement français élabore année après année ses projets de loi de finances pour la Sécurité sociale devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée, les chiffres montrent que le débat autour du prix des médicaments ne fait que commencer.

Les coûts augmentent du fait non seulement des investissements financiers autour de l'innovation et de la valorisation, qui font sans cesse rediscuter le prix des médicaments, mais aussi d'une amélioration de l'espérance de vie, de l'augmentation des besoins de la population et d'une consommation en hausse du fait des progrès thérapeutiques. Bloquer abusivement et arbitrairement les prix n'est pas la solution, à la fois car le marché mondial représente une forte concurrence et car certains traitements, certes coûteux, mais efficaces, permettent d'autres économies (diminution des hospitalisations, amélioration du retour au travail, etc.). Il faut donc aussi regarder en quoi les innovations et leurs coûts permettent par ailleurs une optimisation du parcours de soins et du parcours de vie des personnes au bénéfice de la société.

Néanmoins, quoi qu'il en soit, des arbitrages sont et seront nécessaires. Un bon moyen d'arbitrer est de réaliser des études d'efficience qui évaluent l'impact économique global d'un traitement, et pas seulement son coût immédiat. Son bénéfice serait apprécié selon plusieurs critères : les journées d'hospitalisation que l'on pense éviter, les complications que l'on n'aura pas à traiter, et les arrêts de travail que l'on n'aura pas à payer. La France commence à explorer cette voie. La Haute Autorité de santé doit, pour un médicament qui s'annonce onéreux, rendre un avis d'efficience économique, en plus d'un avis “classique” sur son efficacité. Cependant, nous n'échapperons pas à la question, qui demeure et qui est complexe : pourra-t-on expliquer, et comment expliquer à la population, habituée à “tout avoir”, dans une tradition historique de grande solidarité, qu'il y aurait à terme des critères d'accès, et donc de non-accès, à certains traitements ? Il faut souligner ici 3 facteurs de complexité : la “relativité” du concept de contrainte économique ; la “fragilité” de la notion de gain de survie significatif, et donc de la notion de progrès dit incrémental ; et enfin, l'“acceptabilité” des critères de limitation par les soignants et la population.

Si des critères de choix doivent être établis, ils devront impérativement l'être dans un contexte et avec des procédures ultradémocratiques dans lesquels les principes de transparence, d'intégrité scientifique et politique devront être centraux. Des explications avec une approche pédagogique accessible pour tous devront être mises en place. In fine, les décisions devront reposer sur une approche démocratique, prises par les représentants des citoyens en toute clarté.

Les enjeux de l'éthique de la décision sur les plans international et national se déclinent sur 3 niveaux :

  • l'éthique du compromis, c'est-à-dire un équilibre entre les firmes qui se réfèrent à la logique du retour sur investissements (condition au progrès de la recherche et à la production du médicament) et le prix acceptable par la société pour la préservation de notre système de solidarité ;
  • l'éthique de la non-discrimination, visant impérativement à rendre accessible ou non un traitement sur des arguments collectifs, transparents et équitables, au sein de toutes les catégories médicalement définies, sans passe-droits qui seraient fondés sur des critères d'utilité sociale des individus, de revenus, ou d'influences ;
  • l'éthique de la responsabilité, qui consiste à respecter des critères validés de prescription, car il ne faut pas oublier que c'est la prescription qui déclenche la dépense ; et qu'il est aussi logique de combattre des prescriptions qui ne respectent pas les règles scientifiques et les critères de mise sur le marché.

L'alternative serait d'aboutir à un accès aux soins sans régulation… mais il s'agirait là d'une utopie dangereuse, source, à terme, d'effondrement du système, où les plus précaires seraient alors, sans aucun doute, les premières victimes.


Liens d'intérêt

G. Moutel déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet éditorial.