Mise au point

Asthme sévère : qu'attendre des données obtenues en vie réelle ?

Mis en ligne le 31/08/2019

Auteurs : C. Taillé

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  • Les données obtenues grâce à des registres ou cohortes permettent de conforter les résultats obtenus dans les essais cliniques.
  • Elles permettent d'étendre l'évaluation de l'effet des traitements à des populations différentes, moins sélectionnées, tout en évaluant d'autres paramètres.

Limites des essais randomisés dans l'asthme sévère 

Les données obtenues dans des essais randomisés contre placebo sont indispensables pour valider l'effet d'une molécule et pour obtenir son autorisation de mise sur le marché et son remboursement par les autorités de santé. Cependant, les résultats des essais concernant l'asthme sévère font actuel­lement l'objet de 2 commentaires principaux, qui justifient l'intérêt croissant pour les données ­obtenues en vie réelle.

La 1re remarque réside dans le choix de la population participant à l'étude (1). Dans l'asthme, et notamment dans les formes sévères, on sait que les critères d'inclusion draconiens excluent une bonne partie des patients : en France, par exemple, 73 % des patients sont écartés sur le critère de réversibilité du VEMS à l'inclusion, 23 % sur la consommation de tabac, 25 % sur le VEMS, 50 % sur la prise de corticoïdes oraux (2). Les patients inclus représentent donc une petite frange de patients jeunes, “sévères mais pas trop”, sans comorbidités, non fumeurs (2), et qui se ­disent observants. En Grande-Bretagne, 9,8 % des patients d'un centre expert, pourtant bien caractérisés et suivis régulièrement, sont éligibles à un essai thérapeutique (1). Il existe donc une vraie question sur l'effet d'une molécule, validé dans une population très homogène, sur une population moins sélectionnée comprenant notamment des fumeurs ou des sujets âgés et/ou ayant des comorbidités.

La 2e remarque vient de l'importance de l'effet placebo, très caractéristique des essais cliniques dans l'asthme sévère. Cet effet placebo est très important pour les critères les moins objectifs (score de contrôle ou de qualité de vie), mais il est observé également sur le VEMS (3, 4). On évoque, pour expliquer cet effet, une meilleure technique d'inhalation au fil des visites (5), une meilleure observance du traitement de fond liée aux rappels itératifs, à une réassurance vis-à-vis du traitement, etc. On ne peut pas exclure non plus que certains patients interrompent leur traitement inhalé quelques jours avant la visite d'inclusion pour augmenter la probabilité de documenter la sacro-sainte réversibilité du VEMS, indispensable pour entrer dans certains essais, ce qui diminuerait artificiellement cette 1re mesure. Il est donc important de vérifier l'ampleur de l'effet clinique observé lorsque les patients sont moins encadrés que dans un essai clinique, et sur des périodes plus longues que les 24 ou 52 semaines d'une étude, afin de permettre de couvrir, par exemple, plusieurs saisons polliniques et plusieurs pics d'infections virales.

Explorer l'asthme au-delà des critères habituels

L'effet des traitements de l'asthme sévère est actuellement évalué sur la triade contrôle-­exacerbations-VEMS et, de plus en plus souvent, sur la possibilité d'épargne cortisonique. Il est évident que l'arrivée d'un nouveau traitement amène rapidement les cliniciens à s'interroger sur l'effet dans des sous-groupes de patients (obèses versus non obèses, femmes versus hommes, allergiques versus non allergiques, adolescents et enfants, etc.), l'effet sur la qualité de vie, sur les comorbidités comme la rhinosinusite chronique, sur la mortalité cardiovasculaire à long terme, sur les coûts de santé et sur la vie professionnelle, etc. La réponse à un certain nombre de ces questions peut être évaluée par des analyses post hoc des essais randomisés, comme pour le mépolizumab (6-8) ou le benralizumab (9), avec les limites liées au choix de la population initiale discutées précédemment et la limite des effectifs qui peuvent être insuffisants pour certains sous-groupes ou de données non relevées dans le cahier d'observation clinique. On est surpris, par exemple, par la pauvreté de la description du statut allergique des patients inclus dans les essais récents avec les anti-IL-5 ou IL-5R, dans lesquels la présence d'une allergie est rétrospectivement définie par le fait d'avoir déjà reçu de l'omalizumab (7) ou d'avoir des critères biologiques compatibles avec la prescription d'omalizumab (10).

Au-delà de l'effet direct des nouvelles molécules, la transformation rapide de l'arsenal thérapeutique de l'asthme sévère pose de nombreuses autres questions auxquelles nous sommes encore loin de pouvoir répondre :

  • Quelle est la meilleure stratégie en présence ­d'allergie et d'éosinophilie autorisant la prescription de nombreux traitements ?
  • En cas d'échec d'un anti-IL-5, y a-t-il un intérêt à prescrire un anti-IL-5R (ou l'inverse) ?
  • Quelle est la durée optimale de traitement par une biothérapie ?
  • En cas d'arrêt, peut-on reprendre ensuite le même traitement, si nécessaire ?
  • L'échappement à un traitement est-il une réalité ? …

Ces questions sont nombreuses et il sera difficile de conduire des essais randomisés permettant de répondre à chacune pour des raisons évidentes de coûts, de nombre de patients à inclure, de temps et de logistique. Là encore, des bases de données obtenues en vie réelle peuvent aider à donner des réponses. Les registres de l'hypertension pulmonaire sont, à ce titre, exemplaires, puisqu'ils ont permis d'obtenir des données épidémiologiques de qualité, de valider des scores pronostiques ainsi que certaines stratégies thérapeutiques (11), etc.

En France, les données de l'Assurance maladie sont accessibles via le Système national des données de santé (SNDS). Elles apportent des données objectives, parfois difficiles à recueillir en pratique lorsqu'elles sont sujettes à des biais de mémorisation, comme le nombre de consultations, par exemple. Elles permettent d'évaluer l'observance des traitements (12), mais également certains effets indésirables, notamment lors de l'exposition in utero à des médicaments (13). Leur intérêt majeur est d'évaluer les coûts liés à une pathologie, comme cela fut fait récemment pour l'asthme sévère (7), et d'autoriser des évaluations pharmacoéconomiques des stratégies thérapeutiques, fondamentales à l'heure où le progrès médical induit une augmentation exponentielle des coûts des traitements. Les limites des données issues du SNDS sont la complexité de l'exploitation de la base de données et l'absence de diagnostic formellement identifié pour certaines pathologies (dont l'asthme sévère…) qui fait que les malades sont parfois identifiés de manière uniquement indirecte, à partir des traitements remboursés, comme les corticoïdes inhalés pour les asthmatiques (12). Néanmoins, il est possible, actuellement, d'obtenir pour les patients inclus dans un registre ou une cohorte les données du SNDS correspondant à la période d'étude. L'association de données cliniques objectives (VEMS, score de contrôle, éosino­philie, etc.) et des données de consommation de soins (traitements, hospitalisations, consultations, etc.) du SNDS permettrait d'avoir une évaluation beaucoup plus large de l'impact d'une pathologie et de l'effet d'un traitement.

Construire des bases de données pour l'asthme sévère

Plusieurs moyens existent pour évaluer les traitements dans des conditions de vie réelle. Certains essais randomisés ont été poursuivis, après la phase en aveugle, par une phase ouverte avant la commercialisation. Cela permet d'obtenir des données prospectives, sur une durée prolongée (14), dans un cadre un peu moins contraignant que celui d'un essai, mais toujours dans une population sélectionnée. Les patients traités dans le cadre des autorisations temporaires d'utilisation constituent une autre source d'information, propre à la France, mais qui porte généralement sur des effectifs peu importants et avec le biais de données la plupart du temps rétrospectives. En France, des données ont ainsi été obtenues pour l'omalizumab (15), le mépolizumab (16) et le dupilumab (17). Des études rétrospectives peuvent être également réalisées (18), ou des études pro­spectives (phase 4). Cependant, ces travaux restent ciblés sur l'évaluation d'une seule molécule.

Avec la complexification actuelle de la prise en charge de l'asthme sévère, un certain nombre de patients reçoivent au cours de leur vie des médicaments différents. Construire des outils qui ­permettent d'évaluer plusieurs séquences de la vie d'un asthmatique est un élément important pour la recherche clinique. Les registres et cohortes montrent dans cette indication tout leur intérêt, puisque les données sont colligées de façon pro­spective, sur des durées prolongées. Les registres d'asthme sévère, tels qu'ils existent actuellement, sélectionnent les patients sur la pathologie et non pas uniquement sur le traitement reçu, ce qui permet d'envisager d'autres types d'évaluation.

Il est clair que l'évaluation de la prise en charge d'un asthmatique sévère ne se limite pas aux traitements médicamenteux et qu'elle doit être aussi globale que l'est le fardeau de la maladie, en s'intéressant à toutes les dimensions de la maladie.

L'intérêt de construire des bases de données obtenues en vie réelle ne fait pas de doute pour les praticiens qui les utilisent, pour les autorités de santé qui les encouragent, pour les industriels qui y participent et pour les patients eux-mêmes. Elles nécessitent des réseaux d'investigateurs motivés, un soutien logistique et méthodologique pour garantir ­l'exhaustivité et la qualité des données recueillies ainsi que la définition préalable des objectifs de recherche (épidémiologie, biologie, pharmacoéconomie, etc.) pour le choix des données à colliger. De nombreuses sociétés savantes européennes ont créé, parfois depuis longtemps, des registres d'asthme sévère (19-21). Le registre américain CHRONICLE inclut des patients souffrant d'asthme sévère suivis par des pneumologues, des allergologues ou des internistes. Des initiatives de très grande envergure comme le registre SHARP (22), organisé par l'European Respiratory Society et le registre ISAR (23), sont en cours pour regrouper les données de ces registres, notamment pour obtenir des effectifs importants de patients et donner de la puissance aux analyses. En effet, la pertinence de l'évaluation d'un médicament sera, par exemple, liée au nombre de patients inclus dans la cohorte ayant reçu ce traitement.

La France n'est pas en reste. La cohorte COBRA (24) inclut depuis plus de 10 ans des patients atteints d'asthme et de BPCO de tout niveau de sévérité. La présence d'une riche biobanque comprenant sérum, biopsies bronchiques et LBA (lavage broncho­alvéolaire) a pour l'instant orienté la recherche essentiellement vers des questions de recherche translationnelle (25-27), sur le modèle du Severe Asthma Research Program américain ou ­UBIOPRED (28). Le registre RAMSES, qui n'inclura que des patients atteints d'asthme sévère, vient d'être créé par le groupe Asthme et Allergie (G2A) de la SPLF afin de pouvoir répondre à des questions principalement relatives à l'effet et la sécurité des
différentes prises en charge de l'asthme en condition de vie réelle, avec un chaînage des données cliniques aux
données du SNDS. Les données contribueront également aux registres européens. Les ­investigateurs sont des pneumologues intéressés par l'asthme sévère, ayant des modes d'exercice variés, prêts à colliger tous les 6 mois les données des patients grâce à un cahier d'information clinique électronique. Participer au registre ne nécessite pas de disposer d'infrastructure particulière de recherche clinique, mais uniquement d'être motivé. Cependant, une aide financière pour aider à la saisie des données est prévue.

Parallèlement, dans un objectif d'étude des pratiques professionnelles, la Fédération française de pneumologie a organisé un recueil non longitudinal des données des patients présentés en réunion de concertation d'asthme (29). L'ensemble de ces outils de recherche, complémentaires dans leurs objectifs, devrait permettre d'avancer dans la connaissance et la prise en charge de l'asthme en France.

Ces registres, français et internationaux, ont en commun un fonctionnement collaboratif, ce qui fait leur force. Le nombre d'investigateurs garantit le recrutement des patients, mais permet surtout une exploitation extensive des données puisque chacun des investigateurs, selon la charte de ces registres, peut s'emparer d'une thématique, augmentant ainsi le nombre de données générées et de publications, et participant à l'accroissement des connaissances sur l'asthme en créant une nouvelle dynamique autour de la recherche clinique.

Les données de la vie réelle issues des registres ou cohortes apportent donc des informations importantes sur l'effet des traitements de l'asthme dans des populations non incluses dans les essais cliniques, en explorant parfois des critères différents. L'association de plusieurs bases de données (registre et SNDS, comme pour RAMSES, ou plusieurs registres européens, comme pour SHARP), grâce à des outils spécifiques, et à un fonctionnement collectif, devrait permettre à l'avenir de progresser encore dans la connaissance et donc dans la prise en charge de l'asthme sévère.■

Références

1. Brown T, Jones T, Gove K, Barber C, Elliott S, Chauhan A, et al. Randomised controlled trials in severe asthma: selection by phenotype or stereotype. Eur Respir J 2018;52(6). pii: 1801444.

2. Pahus L et al. External validity of randomized controlled trials in severe asthma. Am J Respir Crit Care Med 2015;192(2):259‑61.

3. Mokoka MC et al. Inadequate assessment of adherence to maintenance medication leads to loss of power and increased costs in trials of severe asthma therapy: results from a systematic literature review and modelling study. Eur Respir J 2019;53(5). pii: 1802161.

4. Chen M et al. The placebo response on lung function in recent clinical trials of asthma biologics. Am J Respir Crit Care Med 2019;199:A2628.

5. Ahmed Zobair TH et al. Asthmatic and chronic obstructive pulmonary disease patients who participate in clinical trials have better inhaler technique. Am J Respir Crit Care Med 2019;199:A1329.

6. Albers FC et al. Mepolizumab reduces exacerbations in patients with severe eosinophilic asthma, irrespective of body weight/body mass index: meta-analysis of MENSA and MUSCA. Respir Res 2019;20(1):169.

7. Bourdin A et al. The burden of severe asthma in France: a case-control study using a medical claims database. J Allergy Clin Immunol Pract 2019;7(5):1477-87.

8. Humbert M et al. Effect of mepolizumab in severe eosinophilic asthma according to omalizumab eligibility. Respir Med 2019;154:69‑75.

9. DuBuske L et al. Seasonal variability of exacerbations of severe, uncontrolled eosinophilic asthma and clinical benefits of benralizumab. Allergy Asthma Proc 2018;39(5):345‑9.

10. Chipps BE, Newbold P, Hirsch I, Trudo F, Goldman M. Benralizumab efficacy by atopy status and serum immunoglobulin E for patients with severe, uncontrolled asthma. Ann Allergy Asthma Immunol 2018;120(5):504‑511.e4.

11. McGoon MD et al. Pulmonary arterial hypertension: epidemiology and registries. J Am Coll Cardiol 2013;62(25 Suppl):D51-9.

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13. Luu M et al. Continuous anti-TNFα use throughout pregnancy: possible complications for the mother but not for the fetus. A retrospective cohort on the French National Health Insurance Database (EVASION). Am J Gastroenterol 2018;113(11):1669‑77.

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15. Molimard M et al. Effectiveness of omalizumab (Xolair) in the first patients treated in real-life practice in France. Respir Med 2008;102(1):71‑6.

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21. Vennera Mdel C et al. Omalizumab therapy in severe asthma: experience from the Spanish registry--some new approaches. J Asthma 2012;49(4):416‑22.

22. Djukanovic R et al.The severe heterogeneous asthma research collaboration, Patient-centred (SHARP) ERS Clinical Research Collaboration: a new dawn in asthma research. Eur Respir J 2018;52(5). doi: 10.1183/13993003.01671-2018.

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24. Pretolani M et al. Clinical and biological characteristics of the French COBRA cohort of adult subjects with asthma. Eur Respir J 2017;50(2). pii: 1700019.

25. Girodet PO et al. Bronchial smooth muscle remodeling in nonsevere asthma. Am J Respir Crit Care Med 2016;193(6):627‑33.

26. Alagha K et al. Goblet cell hyperplasia as a feature of neutrophilic asthma. Clin Exp Allergy 2019;49(6):781‑8.

27. Taillé C et al. Obstructive sleep apnoea modulates airway inflammation and remodelling in severe asthma. PLoS One 2016;11(3):e0150042.

28. Kupczyk M, Wenzel S. U.S. and European severe asthma cohorts: what can they teach us about severe asthma?
J Intern Med 2012;272(2):121‑32.

29. Info Respiration, numéro 152, août-septembre 2019, www.splf. fr.

Liens d'interêts

C. Taillé déclare :
- avoir reçu des honoraires pour des activités de conseil, de formation ou de communication de AstraZeneca, GSK, Sanofi, Novartis, Chiesi, Teva ;
- avoir été investigatrice pour des essais cliniques conduits par AstraZeneca, GSK, Novartis, Roche, Sanofi, Gossamerbio ;
- avoir reçu des subventions pour soutien à la recherche de GSK et Sanofi.

auteur
Pr Camille TAILLÉ
Pr Camille TAILLÉ

Médecin
Pneumologie
Hôpital Bichat, AP-HP, Paris
France
Contributions et liens d'intérêts

centre(s) d’intérêt
Pneumologie
thématique(s)
Asthme
Mots-clés