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Pollution de l'air pendant la grossesse : effets in utero et néonataux

Mis en ligne le 28/02/2019

Auteurs : T. Bourdrel

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Il est désormais clairement démontré que les particules ultrafines et leurs composés (métaux, hydro­carbures aromatiques poly­cycliques) gagnent la circulation placentaire et fœtale, où elles entraînent un stress oxydatif inflammatoire. L'exposition aux polluants pendant la grossesse se traduit dans les études épidémiologiques par une augmentation statistiquement significative du risque de : maladies hypertensives (éclampsie et prééclampsie) et hypertension de l'enfant dans les premières années de vie ; avortement spontané et prématurité ; faible poids de naissance et retard de croissance in utero ; dermatite atopique et asthme infantile ; maladies autistiques, troubles cognitifs (QI) et de l'apprentissage ; malformations congénitales principalement de l'appareil circulatoire ; cancers de l'enfant


Les effets de la pollution de l'air sur la grossesse n'ont été découverts que récemment mais n'en restent pas moins bien démontrés. Plusieurs études ont montré, chez l'animal, que les particules ultrafines et les nanoparticules étaient capables de franchir la barrière placentaire et de gagner la circulation fœtale. Ainsi, des chercheurs de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) ont prouvé que les nanoparticules issues d'un véhicule diesel équipé d'un filtre à particules franchissaient la barrière placentaire et atteignaient la circulation fœtale chez le lapin, dont le placenta est très proche du placenta humain (1). Dans l'espèce humaine, des analyses placentaires ex vivo ont également démontré que les nanoparticules d'argent franchissaient la barrière placentaire (2)

Une étude londonienne menée chez des femmes non fumeuses après une grossesse et un accouchement sans complications a démontré la présence de particules ultrafines de combustion issues du trafic routier au sein des macrophages placentaires, grâce à un examen au microscope optique et électronique (3). Comme pour les pathologies cardiovasculaires, les particules de combustion (circulation routière, chauffage au bois) semblent être les plus toxiques, notamment en raison des hydro­carbures aromatiques poly­cycliques (HAP) présents à la surface de ces particules, qui sont à l'origine des principales atteintes cérébrales et cancérogènes du fœtus.

Effets sur la mère

Le lien de causalité entre pollution de l'air et maladies cardiovasculaires est bien démontré ; il n'est donc pas surprenant que plusieurs études retrouvent une augmentation du risque de maladies hypertensives de la grossesse en cas d'expositions aux polluants de l'air, notamment aux particules fines. Ainsi, une méta-analyse conclut que, durant la grossesse, à chaque palier d'augmentation de la concentration en PM2,5 (particules de diamètre inférieur à 2,5 μm) de 5 µg/m3 correspond une augmentation du risque de prééclampsie de 31 % (IC95 : 1,14-1,50) [4]. Certaines études ont également démontré qu'une exposition à la pollution de l'air pendant la grossesse majorait aussi le risque d'hypertension artérielle chez l'enfant entre 3 et 9 ans (5). Chez les patientes non fumeuses, le risque d'avoir un taux de CRP élevé (> 8 ng/ml) est également corrélé au taux de particules fines durant les 20 premiers jours de la grossesse (6).

Effets sur la croissance fœtale

De nombreuses études ont démontré une corrélation entre le poids de naissance et l'exposition à la pollution de l'air pendant la grossesse. Une étude prospective européenne portant sur 14 cohortes mère-enfant dans 12 pays européens a ainsi démontré que, durant la grossesse, à chaque palier d'augmentation de la concentration en PM2,5 de 5 μg/m3 correspond une augmentation du risque de petit poids de naissance (7). Une étude prospective portant sur plus de 7 000 patients rapporte une corrélation inverse entre les taux de particules fines et de dioxyde d'azote (NO2) durant la grossesse, d'une part, et la longueur du fémur fœtal et la circonférence de la tête fœtale aux deuxième et troisième trimestres, d'autre part (8). Le risque de prématurité et d'avortement spontané avant la 20e semaine de gestation augmente également avec l'exposition aux particules fines, à l'ozone et au dioxyde d'azote (NO2). L'un des mécanismes en cause est l'inflammation et le stress oxydatif engendrés par les polluants au niveau placentaire (9-11). Concernant le risque de prématurité en cas d'expositions aux particules fines pendant la grossesse, les études révèlent un effet délétère non seulement des particules primaires de combustion issues du trafic routier, mais aussi des particules secondaires (nitrate d'ammonium) issues de l'interaction entre les oxydes d'azote (NOx) et l'ammoniac (NH3) émis notamment lors des épandages agricoles (9).

Plusieurs études ont également démontré une augmentation du risque de malformation congénitale en lien avec l'exposition à la pollution de l'air pendant la grossesse. Les effets les mieux démontrés concernent les anomalies vasculaires de type coarctation de l'aorte. Des malformations digestives et des voies urinaires sont également ­fréquemment observées (12, 13).

Effets sur le développement cérébral du fœtus

L'exposition aux particules fines pendant la grossesse semble favoriser le développement de maladies à spectre autistique (14). Tout particulièrement, une corrélation forte a été retrouvée entre le taux d'expo­sition aux HAP pendant la grossesse et l'apparition de troubles du développement psychologique de l'enfant, mise en évidence notamment par une baisse du quotient intellectuel (15). Cette atteinte du développement cérébral est également visible à l'imagerie, notamment à l'IRM : ainsi, dans une étude portant sur des enfants âgés de 6 à 10 ans, l'épaisseur interne des cortex préfrontaux était significativement plus faible en cas d'expositions aux particules fines pendant la grossesse. Cette diminution de l'épaisseur corticale préfrontale était également bien corrélée à certains troubles comportementaux, comme l'addiction et l'hyperactivité (16, 17). La corrélation entre la pollution de l'air et le développement de troubles de l'attention et d'une hyperactivité reste toutefois sujette à débat (18).

Effets sur l'asthme et les maladies allergiques

L'exposition aux PM2,5 pendant la grossesse majore le risque de développer de l'asthme dans les premières années de vie (19). De même, l'exposition au NO2 – marqueur de la pollution du trafic routier – majore le risque d'asthme. Dans une étude portant sur plus de 3 400 enfants, chaque augmentation de 10 µg/­m3 de la concentration en NO2 pendant la gestation s'accompagnait d'une augmentation du risque d'asthme infantile de 10 % (20). L'exposition maternelle au NO2 pendant la grossesse s'accompagne d'une augmentation du risque d'asthme, de rhinite allergique et d'eczéma chez l'enfant (21). Le risque de dermatite atopique est également corrélé à l'exposition aux polluants du trafic routier au cours du premier trimestre de la gestation ; à l'inverse, résider à proximité d'espaces verts réduit le risque de dermatite atopique (22). L'exposition aux polluants pendant la grossesse majore également le risque de tachypnée transitoire du nouveau-né et de syndrome de détresse respiratoire néonatale (23).

Effets sur les cancers

Les polluants du trafic routier sont des agents cancérogènes avérés ; les particules diesel sont classées cancérogènes certains pour le cancer du poumon, notamment en raison des HAP présents à la surface des particules diesel. Le benzène, émis majoritairement par les véhicules à essence, est cancérogène également, car il augmente le risque de leucémies aiguës de l'enfant. Ainsi, une étude parisienne démontre que vivre à moins de 150 m d'un axe routier augmente de 20 % le risque de leucémie myéloblastique aiguë de l'enfant (24). De même, l'exposition de la mère aux polluants du trafic routier pendant la grossesse augmente de 40 % le risque d'astrocytome et de 20 % le risque de leucémie lymphoblasique de l'enfant (25).

L'exposition aux HAP pendant la grossesse augmente le risque de cancers solides de l'enfant, notamment le risque de médulloblastome (26) et de neuro­blastome (27).

Conclusion

Les effets pulmonaires, cardiovasculaires et neurologiques de la pollution de l'air sont bien démontrés et en grande partie imputables au passage dans la circulation sanguine des particules ultrafines et de leurs constituants, qui sont responsables d'une réaction inflammatoire et d'un stress oxydatif. Lors de la grossesse, l'exposition aux polluants de l'air majore le risque de pathologies hypertensives chez la mère et l'enfant ainsi que le risque de prématurité et d'avortement spontané. Des répercussions sur la croissance fœtale (retard de croissance, malformations) sont également bien démontrées. ­L'exposition de la mère pendant la grossesse majore par ailleurs le risque d'allergie et d'asthme infantile ainsi que de cancers de l'enfant dans les premières années de vie.■

Références

1. Valentino SA et al. Maternal exposure to diluted diesel engine exhaust alters placental function and induces intergenerational effects in rabbits. Part Fibre Toxicol 2015;13:39.

2. Vidmar J et al. Translocation of silver nanoparticles in the ex vivo human placenta perfusion model characterized by single particle ICP-MS. Nanoscale 2018;10:11980-91.

3. European Respiratory Society. First evidence that soot from polluted air is reaching placenta. https://www.ersnet.org/the-society/news/first-evidence-that-soot-from-polluted-air-is-reaching-placenta (consulté le 12 novembre 2018).

4. Pedersen M et al. Ambient air pollution and pregnancy-induced hypertensive disorders: a systematic review and meta-analysis. Hypertension 2014;64:494-500.

5. Zhang M et al. Maternal exposure to ambient particulate matter ≤2.5 μm during pregnancy and the risk for high blood pressure in childhood. Hypertension 2018;72:194-201.

6. Lee PC et al. Particulate air pollution exposure and C-reactive protein during early pregnancy. Epidemiology 2011;22:524-31.

7. Pedersen M et al. Ambient air pollution and low birth­weight: A European cohort study (ESCAPE). Lancet Respir Med 2013;1:695-704.

8. Van den Hooven EH et al. Air pollution exposure during pregnancy, ultrasound measures of fetal growth, and adverse birth outcomes: a prospective cohort study. Environ Health Perspect 2012;120:150-6.

9. Laurent O et al. A statewide nested case-control study of preterm birth and air pollution by source and composition: California, 2001-2008. Environ Health Perspect 2016;124:1479-86.

10. Ha S et al. Ambient air pollution and the risk of pregnancy loss: a prospective cohort study. Fertil Steril 2018;109:148-53.

11. Kioumourtzoglou MA et al. Traffic-related air pollution and pregnancy loss. Epidemiology 2019;30:4-10.

12. Schembari A et al. Traffic-related air pollution and congenital anomalies in Barcelona. Environ Health Perspect 2013;122:317-23.

13. Vrijheid M et al. Ambient air pollution and risk of congenital anomalies: a systematic review and meta-analysis. Environ Health Perspect 2011;119:598-606.

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15. Suades-González E et al. Air pollution and neuropsychological development: a review of the latest evidence. Endocrinology 2015;156:3473-82.

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17. Guxens M et al. Air pollution exposure during fetal life, brain morphology, and cognitive function in school-age children. Biol Psychiatry 2018;84:295-303.

18. Forns J et al. Air pollution exposure during pregnancy and symptoms of attention deficit and hyperactivity disorder in children in Europe. Epidemiology 2018;29:618-26.

19. Hsu HH et al. Prenatal particulate air pollution and asthma onset in urban children. Identifying sensitive windows and sex differences. Am J Respir Crit Care Med 2015;192:1052-9.

20. Sack C et al. It starts at the beginning: effect of particulate matter in utero. Am J Respir Crit Care Med 2015;192:1025-6.

21. Deng Q et al. Exposure to outdoor air pollution during trimesters of pregnancy and childhood asthma, allergic rhinitis, and eczema. Environ Res 2016;150:119-27.

22. Lee JY et al. Preventive effect of residential green space on infantile atopic dermatitis associated with prenatal air pollution exposure. Int J Environ Res Public Health 2018;15.pii: E102.

23. Seeni I et al. Air pollution exposure during pregnancy: maternal asthma and neonatal respiratory outcomes. Ann Epidemiol 2018;28:612-8.e4.

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25. Lavigne E et al. Maternal exposure to ambient air pollution and risk of early childhood cancers: A population-based study in Ontario, Canada. Environ Int 2017;100:139-47.

26. Von Ehrenstein OS et al. In utero and early-life exposure to ambient air toxics and childhood brain tumors: a population-based case-control study in California, USA. Environ Health Perspect 2016;124:1093-9.

27. Heck JE et al. An exploratory study of ambient air toxics exposure in pregnancy and the risk of neuroblastoma in offspring. Environ Res 2013;127:1-6.

Liens d'interêts

T. Bourdrel déclare ne pas avoir de liens d’intérêts d’ordre financier et être membre du collectif Strasbourg Respire.

centre(s) d’intérêt
Pneumologie,
Gynécologie et obstétrique
thématique(s)
Environnement/pollution
Mots-clés