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Münchhausen par procuration : les troubles neurodéveloppementaux aussi


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Notre confrère Michel Boublil évoque une forme particulière de syndrome de Münchhausen par procuration, qui est en augmentation en raison de la multiplication des tests neuropsychologiques, mais qui reste particulièrement difficile à repérer.

Il rappelle en préambule que cette dénomination désigne une forme grave de maltraitance, souvent des sévices à enfant, au cours de laquelle un adulte (une femme dans la majorité des cas) qui a la responsabilité médicale d'un tiers, habituellement un enfant, feint, exagère ou provoque à son égard, de manière délibérée, des problèmes de santé sérieux et répétés avant de le conduire auprès d'un médecin ou d'un service de soins médicaux.

Cette maladie, feinte ou exagérée ou provoquée, peut être physique ou mentale, mais peut aussi prendre la forme d'un trouble neurodéveloppemental dont le diagnostic ne peut être établi que par des questionnaires et des observations parentales qui peuvent influer sur le regard du médecin.

Il peut s'agir de TDAH (trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité), dont le diagnostic fait notamment appel à l'échelle comportementale de Conners, questionnaire de dépistage simple au cabinet [1], ou au questionnaire Caddra (Canadian ADHD resource alliance) [2], ou bien du syndrome d'Asperger retenu sur la base d'échelles comme celles de Vineland [3], CARS (Childhood Autism Rating Scale) ou ADOS (Autism Diagnostic Observation Schedule) [4] ou encore d'autres caractéropathies dont les parents décrivent des crises qui ne surviennent qu'avec eux et pour lesquelles ils réclament un traitement.

Notre spécialité nous lie au discours des parents, souligne M. Boublil. Des parents dont il nous est interdit de juger de l'équilibre, dont l'enfant est parfois le lieu de projection de leurs problèmes, qui choisissent leurs lieux de consultation et qui consultent Internet et en savent parfois plus que nous sur les bonnes réponses à donner.

On ne peut souvent rien contre ce type d'induction de maladie, et même les centres experts qui “photographient” l'enfant (jamais les parents) n'ont pas le recul suffisant pour éviter ce piège. Ces situations complexes devraient faire l'objet de réunions de concertation pluri­disciplinaires comme cela se fait pour les maladies somatiques, note M. Boublil.

Dire qu'un enfant n'a rien, qu'il est “normal”, n'est parfois pas facile mais peut aider à sa destinée.

En réponse à M. Boublil, François Corrard rapporte un cas clinique qui semble entrer dans cette catégorie de maltraitance.

Il s'agit d'une enfant, aînée d'une fratrie de 2 filles, suivie régulièrement au cabinet du Dr Corrard pendant une dizaine d'années. Elle présentait des troubles du comportement avec des colères subites qui pouvaient être violentes. Un traitement psychotrope avait été instauré avec des aménagements nécessitant des consultations régulières.

La mère avait “essayé” plusieurs pédo­psychiatres, qui avaient renoncé à poursuivre la prise en charge en raison d'un suivi très aléatoire et contesté par la mère. Celle-ci, très active, extrêmement documentée sur les réseaux sociaux, s'y donnant un rôle important de responsabilité, certaine de l'efficacité de certains régimes, de la nécessité de certains examens, était à la recherche d'un dia­gnostic d'autisme régulièrement réfuté.

La mère est revenue consulter récemment le Dr Corrard, accompagnée cette fois de sa deuxième fille. L'aînée, devenue adulte, est actuellement en foyer, séparation à l'origine d'une profonde dépression pour la mère. Un neuropsychologue a finalement validé le diagnostic d'Asperger, tant recherché depuis le début et successivement réfuté par les psys. Notre confrère précise qu'il n'a pas validé ce diagnostic d'Asperger, car cette jeune patiente avait une distance et une aisance tout à fait appropriée dans les rapports humains.

Le Dr Corrard rapporte l'entretien en tête à tête avec la deuxième fille, maintenant adolescente, qui se montrait toujours timide et effacée lors du suivi de sa sœur :

  • Comment as-tu vécu pendant tout ce temps durant lequel ta mère était accaparée par ta sœur ?
  • Bien
  • Et maintenant que ta sœur est partie ?
  • J'ai ma mère sur le dos. C'était plus tranquille avant…

Actuellement, cette jeune fille est anémique (règles abondantes), et refuse ses compléments en fer, car elle s'oppose à sa mère (musulmane) qui lui interdit de manger de la viande à la cantine car elle n'est pas halal.

À l'interrogation du Dr Corrard sur cette interdiction, la mère a eu une réponse très affirmée : “Oui, je sais, je suis une mauvaise mère”.

Notre confrère décrit cette situation comme un immense gâchis pour la fille aînée devant l'impossibilité de creuser la pathogénie de cette mère et l'impossibilité de l'amener vers une thérapie personnelle, voire familiale, mais mentionne un certain espoir pour la cadette en rébellion…

Catherine Salinier interroge son confrère sur ce cas clinique et sa signification en termes d'échec de sa prise en charge mais aussi de celle des pédopsychiatres consultés, et interroge sur les mesures qui auraient pu être prises pour protéger cette adolescente victime de syndrome de Münchhausen par procuration.

François Corrard souligne les difficultés d'un exercice bienveillant face à la toute-puissance de cette mère, qui a “bétonné” toute intrusion extérieure (école, PMI, services sociaux, en plus des pédo­psychiatres) dans sa dyade avec sa fille.

Pour M. Boublil, dans le cas rapporté par F. Corrard, seuls des moyens importants auraient pu permettre d'avancer, mais les moyens de la pédopsychiatrie sont totalement défaillants. De plus, les informations glanées sur Internet et les diagnostics où seul l'enfant est pris en compte (photographique : ni psychopathologique, ni parental) deviennent prévalents.

Notre confrère confie avoir été plus tolérant dans le passé mais aujourd'hui refuse de confirmer de tels diagnostics (Asperger, TSA, HPI, TDAH, etc.) quand ils sont obtenus uniquement par les parents malgré le côté “pseudoscientifique” de certains bilans neuropsychologiques.

On devrait se méfier de conclusions péremptoires et chiffrées, souligne-t-il, rappelant qu'on est “plus compliqués qu'une flûte”, comme le dit Hamlet à ses amis qui veulent le sonder [5]. ●

Références

1. Conners CK. Pediatr Clin North Am 1999;46:857-70.

2. www.caddra.ca/fr/public/children`

3. Echelle d’évaluation du comportement socio-adaptatif de Vineland. https://comprendrelautisme.com/les-tests/les-echelles-de-vineland/

4. Haute Autorité de snaté. Trouble du spectre de l’autisme. Signes d’alerte, repérage, diagnostic et évaluation chez l’enfant et l’adolescent. Méthode Recommandations pour la pratique clinique. Recommandation de bonne pratique, février 2018. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2018-02/trouble_du_spectre_de_lautisme_de_lenfant_et_ladolescent_-_argumentaire.pdf

5. Eh bien ! quel peu de cas faites-vous donc de moi ? — Vous voulez avoir l’air de connaître mes trous ; vous voulez jouer de moi ; — vous voulez fouiller le fond de mon cœur, — et plonger dans le secret de mon âme. — Morbleu ! croyez-vous qu’il soit plus aisé de jouer de moi que d’une flûte ? réponse d’Hamlet à des faux amis envoyés par son oncle pour le sonder.


Liens d'intérêt

M. Joras déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.