La minceur est revendiquée dans notre société, tandis que la maigreur passe sous les radars médiatiques au profit de la “grosseur” qui fait régulièrement, quant à elle, la une de toutes les alertes [1]. Être mince c’est parfois un choix, le devenir c’est souvent un rêve. Être maigre ou le devenir, c’est toujours subi. Alors que l’image du “gros” a longtemps été positive [2], comme l’attestent certaines expressions telles que “en bon point”, c’est-à-dire être en bonne santé, d’où découlent “embonpoint”, “bon vivant” (“en ce temps-là, la graisse prouvait la réussite”, comme l’écrit Paul Guth dans Jeanne la Mince), et l’est encore dans certaines cultures, la maigreur fait peur. C’est pourquoi elle ne fait pas recette. En effet, dans l’inconscient collectif, elle précède souvent la mort, elle témoigne visiblement d’une mauvaise santé, elle est le stigmate de la misère, elle rappelle les camps…
Le médecin ne peut pas avoir peur de la maladie, il doit l’affronter et la combattre. Mais, pour cela, il doit comprendre, analyser, et donc connaître. D’emblée, il faut distinguer deux situations : le sujet maigre et le sujet amaigri. En effet, la maigreur constitutionnelle est un état plus qu’une maladie. Bogdan Galusca nous en révèle les traits et en esquisse les causes qui semblent génétiques : ces personnes ont une prise alimentaire normale, mais restent en dessous du seuil de la maigreur (< 18,5 kg/m2). On pense souvent à tort qu’elles souffrent d’anorexie mentale, mais il n’y a aucune recherche de minceur ni aucune dysmorphophobie chez ces personnes, au contraire elles éprouvent une certaine souffrance de cette situation et du regard des autres : notre société aime la norme.
Les autres situations de maigreur sont la conséquence d’un amaigrissement, dont les causes et les conséquences sont multiples, et l’on se trouve dans un véritable exercice de médecine interne. Car, avant de prodiguer des conseils diététiques, il faut faire un diagnostic. C’est notamment le cas des maigreurs endocriniennes dont Hippolyte Dupuis, Marine Mallea et Marie-Christine Vantyghem font l’inventaire. Parfois faciles à reconnaître, car entourées d’un cortège d’autres symptômes bruyants, leurs causes peuvent aussi être insidieuses ou encore correspondre à des étiologies rarissimes. Dans la grande majorité des cas, le traitement est spécifique et non pas nutritionnel. Thomas Couronne dresse le portrait des multiples maigreurs d’origine digestive, hors des cas de cancer, qui sont le plus souvent consécutives à un amaigrissement, soit par réduction des apports, soit par pertes accrues liées à une malabsorption. Le traitement est à la fois étiologique et nutritionnel, et inclut la mise en place d’une nutrition artificielle, entérale plutôt que parentérale. Le tableau des maigreurs neurologiques dressé par Aurélie Mailliez et Dominique Huvent-Grelle est surtout celui de la maladie d’Alzheimer, et de ce que l’on a appelé autrefois le paradoxe nutritionnel du dément sénile [3]. Il est indispensable d’en connaître toutes les facettes et de tenter d’y remédier, car il engage aussi le pronostic vital. Pour cela, compte tenu de l’âge des patients, ce sont les critères de la dénutrition des plus de 70 ans qui s’appliquent. C’est dire que les neurologues, les gériatres (comme les cardiologues et pratiquement tous les spécialistes !) doivent se sentir concernés par l’état nutritionnel et les apports alimentaires de leurs patients, et acquérir des notions de nutrition.
Cette dimension de l’exercice médical est encore plus importante, voire cruciale, dans la prise en charge et l’accompagnement des personnes atteintes de cancer, ainsi que le décrit fort bien Damien Vansteene. Il insiste à juste titre sur les définitions : maigreurs (l’IMC), dénutrition (une pathologie), sarcopénie (la masse maigre), cachexie (une composante inflammatoire). Prévention et traitement s’enchevêtrent de façon vertueuse, car la perte de poids est toujours de mauvais pronostic. Dans ce cadre, les dérives sectaires liées au jeûne “thérapeutique” sont régulièrement dénoncées par le réseau Nutrition Activité physique Cancer Recherche (NACRe) [4, 5].
Voici un dossier qui, nous l’espérons, vous mettra en appétit.■

