Depuis les résultats de l’essai CARMENA, la néphrectomie cytoréductrice première n’est plus le standard de prise en charge des patients atteints d’un cancer du rein métastatique de risque IMDC intermédiaire ou mauvais. Les recommandations actuelles réservent la néphrectomie immédiate aux patients oligométastatiques et lorsqu’un traitement local des métastases peut être envisagé sans nécessité de traitement systémique par la suite [1]. Dans la majorité des cas, les patients sont désormais traités d’emblée par une combinaison à base d’immunothérapie, en laissant leur tumeur primitive en place. La néphrectomie peut se discuter de manière différée chez des patients ayant bien répondu au traitement systémique. En effet, même en cas de réponse complète sur les sites métastatiques (observée dans environ 10 % des cas quelle que soit la combinaison thérapeutique), une réponse partielle au niveau du primitif n’est observée que dans un tiers des cas [2].
Résultats oncologiques de la néphrectomie différée
La néphrectomie différée après traitement reposant sur une combinaison à base d’immunothérapie a été évaluée dans plusieurs études rétrospectives [3-7], avec des résultats globalement similaires (tableau I). Une réponse pathologique complète était observée dans certains cas, jusqu’à 14 % selon les séries, sans cellule tumorale résiduelle mais avec la présence d’un infiltrat lymphocytaire et macrophagique (figure 1). Malheureusement, ni l’imagerie ni la réalisation d’une biopsie (biais d’hétérogénéité tumorale) ne permettent actuellement d’identifier en préopératoire ces patients ayant une réponse pathologique complète au niveau du primitif rénal.
À 3 ans, la survie sans récidive était de 47 à 56 %, et la survie globale de l’ordre de 80 à 85 %. Dans près de la moitié des cas, le traitement systémique avait pu être arrêté après la chirurgie, sans nécessité de reprise ultérieure.
Sélection des patients éligibles à une néphrectomie différée
Parmi les patients bons répondeurs, ceux ayant une réponse complète sur les sites métastatiques ont une meilleure survie sans récidive après néphrectomie que ceux en réponse partielle, avec un taux de 82,1 % à 3 ans versus 37,9 % (p = 0,001) [4]. À l’inverse, les patients ayant une maladie stable ont un pronostic relativement péjoratif, avec un risque de récidive majeur dans l’année suivant la néphrectomie. En l’absence de données prospectives sur l’impact de cette intervention sur la stratégie globale, il semble donc que la néphrectomie différée doit être principalement discutée pour les patients ayant une réponse complète sur les sites métastatiques, ou lorsqu’un traitement focal sur les métastases résiduelles peut être envisagé en complément, l’objectif final étant d’obtenir une réponse radiologique complète. Ces dossiers doivent être discutés en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), et le patient doit être informé de l’absence de données prospectives et du risque potentiel de récidive après chirurgie, même si celle-ci est proposée dans une optique curative.
Il n’y a pas d’autres facteurs prédictifs clairement identifiés pouvant aujourd’hui guider le choix d’une néphrectomie différée. Dans les différentes séries de néphrectomies différées, la proportion de patients traités par double immunothérapie (nivolumab + ipilimumab) est plus importante que celle des patients traités par une association immunothérapie-inhibiteur de tyrosine kinase (ITK). Cependant, s’agissant d’études rétrospectives, la probabilité d’un biais chronologique ne permet pas de recommander une stratégie de 1re ligne plutôt qu’une autre.
De la même manière, le délai optimal de traitement systémique avant d’envisager une néphrectomie différée n’est pas clairement établi. Les réponses complètes à l’immunothérapie pouvant être obtenues rapidement (après seulement quelques cycles) et de manière prolongée (longs répondeurs même après l’arrêt du traitement pour toxicité, par exemple), il s’agit davantage d’une discussion au cas par cas. L’idéal est d’obtenir une réponse maximale (complète ou quasi complète) sur les sites métastatiques, confirmée par au moins une imagerie à 3 mois, ce qui suggère une chirurgie différée entre 6 et 12 mois après l’instauration du traitement systémique.
Difficultés chirurgicales de la néphrectomie différée
La complexité chirurgicale de la néphrectomie après immunothérapie a fait l’objet de controverses. Si les études réalisées en néoadjuvant ne semblaient pas mettre en évidence de difficultés particulières [8], une exposition prolongée à l’immunothérapie avec chirurgie différée semble associée à des remaniements inflammatoires au niveau du parenchyme rénal ou des tissus environnants, potentiellement responsables d’adhérences inhabituelles et de difficultés chirurgicales peropératoires décrites dans les deux tiers des procédures [9-11].
Dans les différentes séries rétrospectives, la majorité des procédures étaient des néphrectomies élargies, par voie ouverte (tableau II). En cas de chirurgie mini-invasive, le taux de conversion s’élevait à 10 % [4, 5]. En revanche, il n’y avait pas d’impact significatif dans la période postopératoire, notamment sur la durée d’hospitalisation ou sur le taux de complications à 90 jours par rapport aux séries historiques de néphrectomies cytoréductrices [4-6, 11]. Ce phénomène pourrait s’expliquer par le fait que ces procédures ont été réalisées dans la majorité des cas dans des centres experts ou à haut volume d’activité chirurgicale.
Concernant les facteurs prédictifs de difficultés chirurgicales, ni le type de traitement systémique reçu (double immunothérapie ou association immunothérapie-ITK) ni la durée du traitement reçu avant la chirurgie n’étaient associés à la complexité opératoire. Seule la profondeur de réponse au niveau du primitif rénal, avec une réduction de taille (downsizing) supérieure à 10 % ou supérieure à 20 % par rapport à la taille tumorale initiale (avant instauration du traitement systémique), était significativement associée au risque de survenue de difficultés peropératoires (avec un risque de l’ordre de 76 % en cas de diminution de taille > 20 % versus 46 % si < 10 % ; p = 0,002) (figure 2) [4]. Ces réductions de taille importantes peuvent également concerner les tumeurs avec thrombus cave, le thrombus pouvant diminuer significativement mais rester adhérent à la paroi veineuse du fait de remaniements fibreux. Il est donc important de prévoir l’équipement peropératoire nécessaire à la réalisation d’une chirurgie dans des conditions optimales.
Arrêt du traitement systémique après chirurgie
Si l’objectif principal de cette chirurgie différée est d’obtenir une réponse radiologique complète, la question de l’arrêt du traitement systémique après néphrectomie se pose légitimement. En effet, les cas de patients longs répondeurs même à l’arrêt de l’immunothérapie (notamment pour toxicités) nous encouragent dans ce sens. Cette néphrectomie différée pourrait donc être considérée comme étant “de clôture”, à visée curative [12]. En s’intégrant dans les stratégies actuelles de désescalade thérapeutique, elle pourrait permettre de réduire non seulement les toxicités induites, mais également les coûts liés au traitement (impact médicoéconomique).
Si les données rétrospectives sont, là encore, encourageantes, avec environ 50 % de patients ayant arrêté le traitement après chirurgie présentant des résultats oncologiques équivalents à ceux ayant continué le traitement [7], seule une évaluation dans le cadre d’études prospectives et randomisées nous permettra de répondre à l’impact oncologique et économique de cette stratégie à long terme.
Conclusion
Au stade métastatique, la séquence thérapeutique évolue, avec un traitement local du primitif rénal envisagé désormais de manière différée, après une bonne réponse au traitement systémique à base d’immunothérapie.
La néphrectomie différée peut se discuter chez des patients en réponse complète ou quasi complète sur les sites métastatiques, avec de bons résultats oncologiques à 3 ans, et la possibilité de proposer un arrêt du traitement systémique après la chirurgie, dans le cadre d’une stratégie de désescalade thérapeutique.
Cette chirurgie peut être complexe, avec des remaniements inflammatoires et des adhérences décrits dans deux tiers des cas, notamment en cas de diminution importante du volume de la tumeur primitive (downsizing) sous immunothérapie.
L’impact réel de cette chirurgie différée sur les résultats oncologiques à long terme à l’ère de l’immunothérapie est en cours d’évaluation dans plusieurs essais prospectifs randomisés. En attendant, cette chirurgie doit se discuter au cas par cas au sein des RCP.■



