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Dossier

Cancer du rein métastatique et chirurgie différée


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La plupart des patients pris en charge pour un cancer du rein métastatique sont désormais traités d’emblée par une thérapie systémique à base d’immunothérapie, en laissant leur tumeur primitive en place. La néphrectomie peut se discuter dans un 2e temps, de manière différée, chez des patients bien sélectionnés, en cas de bonne réponse sous combinaison à base d’immunothérapie (notamment en cas de réponse complète ou quasi complète sur les sites métastatiques). Une certaine complexité chirurgicale en rapport avec des remaniements inflammatoires a été décrite lors de cette néphrectomie différée. L’objectif de cette chirurgie est d’obtenir une réponse radiologique complète et de pouvoir discuter d’un arrêt du traitement systémique par la suite. Si les données de séries rétrospectives sont encourageantes, l’impact réel de cette stratégie sur les résultats oncologiques à long terme mérite d’être évalué dans des essais prospectifs.

Depuis les résultats de l’essai CARMENA, la néphrec­tomie cytoréductrice première n’est plus le standard de prise en charge des patients atteints d’un cancer du rein métastatique de risque IMDC intermédiaire ou mauvais. Les recommandations actuelles réservent la néphrectomie immédiate aux patients oligométastatiques et lorsqu’un traitement local des métastases peut être envisagé sans nécessité de traitement systémique par la suite [1]. Dans la majorité des cas, les patients sont désormais traités d’emblée par une combinaison à base ­d’immunothérapie, en laissant leur tumeur primitive en place. La néphrectomie peut se discuter de manière différée chez des patients ayant bien répondu au traitement systémique. En effet, même en cas de réponse complète sur les sites métastatiques (observée dans environ 10 % des cas quelle que soit la combinaison thérapeutique), une réponse partielle au niveau du primitif n’est observée que dans un tiers des cas [2].

Résultats oncologiques de la néphrectomie différée

La néphrectomie différée après traitement reposant sur une combinaison à base d’immunothérapie a été évaluée dans plusieurs études rétrospectives [3-7], avec des résultats globalement similaires (tableau I). Une réponse pathologique complète était observée dans certains cas, jusqu’à 14 % selon les séries, sans cellule tumorale résiduelle mais avec la présence d’un infiltrat lympho­cytaire et macrophagique (figure 1). Malheureusement, ni l’imagerie ni la réalisation d’une biopsie (biais d’hétéro­généité tumorale) ne permettent actuellement d’identifier en préopératoire ces patients ayant une réponse pathologique complète au niveau du primitif rénal.

À 3 ans, la survie sans récidive était de 47 à 56 %, et la survie globale de l’ordre de 80 à 85 %. Dans près de la moitié des cas, le traitement systémique avait pu être arrêté après la chirurgie, sans nécessité de reprise ultérieure.

Sélection des patients éligibles à une néphrectomie différée

Parmi les patients bons répondeurs, ceux ayant une réponse complète sur les sites métastatiques ont une meilleure survie sans récidive après néphrectomie que ceux en réponse partielle, avec un taux de 82,1 % à 3 ans versus 37,9 % (p = 0,001) [4]. À l’inverse, les patients ayant une maladie stable ont un pronostic relativement péjoratif, avec un risque de récidive majeur dans l’année suivant la néphrectomie. En l’absence de données prospectives sur l’impact de cette intervention sur la stratégie globale, il semble donc que la néphrectomie différée doit être principalement discutée pour les patients ayant une réponse complète sur les sites métastatiques, ou lorsqu’un traitement focal sur les métastases résiduelles peut être envisagé en complément, l’objectif final étant d’obtenir une réponse radiologique complète. Ces dossiers doivent être discutés en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), et le patient doit être informé de l’absence de données prospectives et du risque potentiel de récidive après chirurgie, même si celle-ci est proposée dans une optique curative.

Il n’y a pas d’autres facteurs prédictifs clairement identifiés pouvant aujourd’hui guider le choix d’une néphrectomie différée. Dans les différentes séries de néphrectomies différées, la proportion de patients traités par double immunothérapie (nivolumab + ipilimumab) est plus importante que celle des patients traités par une association immunothérapie-inhibiteur de tyrosine kinase (ITK). Cependant, s’agissant d’études rétrospectives, la probabilité d’un biais chronologique ne permet pas de recommander une stratégie de 1re ligne plutôt qu’une autre.

De la même manière, le délai optimal de traitement systémique avant d’envisager une néphrectomie différée n’est pas clairement établi. Les réponses complètes à l’immunothérapie pouvant être obtenues rapidement (après seulement quelques cycles) et de manière prolongée (longs répondeurs même après l’arrêt du traitement pour toxicité, par exemple), il s’agit davantage d’une discussion au cas par cas. L’idéal est d’obtenir une réponse maximale (complète ou quasi complète) sur les sites métastatiques, confirmée par au moins une imagerie à 3 mois, ce qui suggère une chirurgie différée entre 6 et 12 mois après l’instauration du traitement systémique.

Difficultés chirurgicales de la néphrectomie différée

La complexité chirurgicale de la néphrectomie après immunothérapie a fait l’objet de controverses. Si les études réalisées en néoadjuvant ne semblaient pas mettre en évidence de difficultés particulières [8], une exposition prolongée à l’immunothérapie avec chirurgie différée semble associée à des remaniements inflammatoires au niveau du parenchyme rénal ou des tissus environnants, potentiellement responsables d’adhérences inhabituelles et de difficultés chirurgicales peropératoires décrites dans les deux tiers des procédures [9-11].

Dans les différentes séries rétrospectives, la majorité des procédures étaient des néphrectomies élargies, par voie ouverte (tableau II). En cas de chirurgie mini-­invasive, le taux de conversion s’élevait à 10 % [4, 5]. En revanche, il n’y avait pas d’impact significatif dans la période ­postopératoire, notamment sur la durée d’hospitali­sation ou sur le taux de complications à 90 jours par rapport aux séries historiques de néphrectomies cytoréductrices [4-6, 11]. Ce phénomène pourrait s’expliquer par le fait que ces procédures ont été réalisées dans la majorité des cas dans des centres experts ou à haut volume d’activité chirurgicale.

Concernant les facteurs prédictifs de difficultés chirurgicales, ni le type de traitement systémique reçu (double immunothérapie ou association immunothérapie-ITK) ni la durée du traitement reçu avant la chirurgie n’étaient associés à la complexité opératoire. Seule la profondeur de réponse au niveau du primitif rénal, avec une réduction de taille (downsizing) supérieure à 10 % ou supérieure à 20 % par rapport à la taille tumorale initiale (avant instauration du traitement systémique), était significativement associée au risque de survenue de difficultés peropératoires (avec un risque de l’ordre de 76 % en cas de diminution de taille > 20 % versus 46 % si < 10 % ; p = 0,002) (figure 2) [4]. Ces réductions de taille importantes peuvent également concerner les tumeurs avec thrombus cave, le thrombus pouvant diminuer significativement mais rester adhérent à la paroi veineuse du fait de remaniements fibreux. Il est donc important de prévoir l’équipement peropératoire nécessaire à la réalisation d’une chirurgie dans des conditions optimales.

Arrêt du traitement systémique après chirurgie

Si l’objectif principal de cette chirurgie différée est d’obtenir une réponse radiologique complète, la question de l’arrêt du traitement systémique après néphrectomie se pose légitimement. En effet, les cas de patients longs répondeurs même à l’arrêt de l’immunothérapie (notamment pour toxicités) nous encouragent dans ce sens. Cette néphrectomie différée pourrait donc être considérée comme étant “de clôture”, à visée curative [12]. En s’intégrant dans les stratégies actuelles de désescalade thérapeutique, elle pourrait permettre de réduire non seulement les toxicités induites, mais également les coûts liés au traitement (impact médico­économique).

Si les données rétrospectives sont, là encore, encourageantes, avec environ 50 % de patients ayant arrêté le traitement après chirurgie présentant des résultats oncologiques équivalents à ceux ayant continué le traitement [7], seule une évaluation dans le cadre d’études prospectives et randomisées nous permettra de répondre à l’impact oncologique et économique de cette stratégie à long terme.

Conclusion

Au stade métastatique, la séquence thérapeutique évolue, avec un traitement local du primitif rénal envisagé désormais de manière différée, après une bonne réponse au traitement systémique à base ­d’immunothérapie.

La néphrectomie différée peut se discuter chez des patients en réponse complète ou quasi complète sur les sites métastatiques, avec de bons résultats oncologiques à 3 ans, et la possibilité de proposer un arrêt du traitement systémique après la chirurgie, dans le cadre d’une stratégie de désescalade thérapeutique.

Cette chirurgie peut être complexe, avec des remaniements inflammatoires et des adhérences décrits dans deux tiers des cas, notamment en cas de diminution importante du volume de la tumeur primitive (downsizing) sous immunothérapie.

L’impact réel de cette chirurgie différée sur les résultats oncologiques à long terme à l’ère de l’immunothérapie est en cours d’évaluation dans plusieurs essais prospectifs randomisés. En attendant, cette chirurgie doit se discuter au cas par cas au sein des RCP.■

FIGURES

Cancer du rein métastatique et chirurgie différée - Figure 1
Cancer du rein métastatique et chirurgie différée - Figure 2
Tableau I. Résultats oncologiques dans les séries rétrospectives les plus récentes.

 Nombre de patientsypT0Survie sans récidive à 3 ansSurvie globale à 3 ansPatients sans traitement systémique au dernier suivi
Pignot G et al., 2023 [4]10213 %56 %80 %48 %
Yip W et al., 2023 [5]1135 %47 %82 % 
Shapiro DD et al., 2023 [6]751 %--48 %
Fransen van de Putte EE et al. 2023 [7]2314 %71 % à 2 ans85 %58 %
Tableau II. Données per- et postopératoires des néphrectomies après immunothérapie.

 Nombre de patientsNéphrectomie radicale (NR)/ partielle (NP)Voie
d’abord
Taux de conversionDurée opératoire moyennePertes sanguines moyennesDurée d’hospitalisationTaux de complication à J90
Pignot G et al., 2023 [4]10283 % NR17 % NP53 % ouvert
47 % robot
10 %180 min300 mL4 jours22,5 %
Yip W et al., 2023 [5]11396 % NR4 % NP53 % ouvert 47 % robot ou
cœlioscopie
10 %180 min250 mL3 jours24,0 %
Shapiro DD et al. 2023 [6]75100 % NR73 % ouvert
27 % robot
-177 min195 mL4 jours25,0 %
Graafland NM et al., 2022 [11]26100 % NR38 % ouvert
62 % robot
0 %147 min75 mL4 jours14,0 %

Références

1. Ljungberg B et al. European Association of Urology Guidelines on Renal Cell Carcinoma: the 2022 Update. Eur Urol 2022;82(4):399-410.

2. Meerveld-Eggink A et al. Primary renal tumour response in patients treated with nivolumab and ipilimumab for metastatic renal cell carcinoma: real-world data assessment. Eur Urol Open Sci 2022;35:54-8.

3. Pignot G et al. Oncological outcomes of delayed nephrectomy after optimal response to immune checkpoint inhibitors for metastatic renal cell carcinoma. Eur Urol Oncol 2022;5(5):577-84.

4. Pignot G. Indications of treating the primary in metastatic kidney cancer in the IO era. EMUC congress 2023.

5. Yip W et al. Perioperative complications and oncologic outcomes of nephrectomy following immune checkpoint inhibitor therapy: a multicenter collaborative study. Eur Urol Oncol 2023;6(6):604-10.

6. Shapiro DD et al. Cytoreductive nephrectomy following immune checkpoint inhibitor therapy is safe and facilitates treatment-free intervals. Eur Urol Open Sci 2023;50:43-6.

7. Fransen van de Putte EE et al. Indications and outcomes for deferred cytoreductive nephrectomy following immune checkpoint inhibitor combination therapy: can systemic therapy be withdrawn in patients with no evidence of disease? Eur Urol Open Sci 2023;55:15-22.

8. Singla N et al. Pathologic response and surgical outcomes in patients undergoing nephrectomy following receipt of immune checkpoint inhibitors for renal cell carcinoma. Urol Oncol 2019;37(12):924-31.

9. Pignot G et al. Nephrectomy after complete response to immune checkpoint inhibitors for metastatic renal cell carcinoma: a new surgical challenge? Eur Urol 2020;77(6):761-3.

10. Pignot G et al. Reply to Nirmish Singla and Vitaly Margulis’s Letter to the Editor re: Pignot G et al. Nephrectomy after complete response to immune checkpoint inhibitors for metastatic renal cell carcinoma: a new surgical challenge? Eur Urol. In press. https://doi.org/10.1016/j.eururo.2019.12.018. The next surgical frontier in kidney cancer: nephrectomy after immune checkpoint inhibition: nephrectomy after immunotherapy: the duration of treatment exposure is probably decisive. Eur Urol 2020;78(2):e81-e82.

11. Graafland NM et al. Surgical safety of deferred cytoreductive nephrectomy following pretreatment with immune checkpoint inhibitor-based dual combination therapy. Eur Urol Oncol 2022;5(3):373-4.

12. Pignot G. Surgical management in metastatic renal cell carcinoma. Bull Cancer 2022;109(2S):2S59-2S65.


Liens d'intérêt

G. Pignot déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.