Dans ce 4e numéro de Correspondances en Cardiovasculaire, Rénal et Métabolisme, l’équipe éditoriale a souhaité traiter de manière transversale le phénomène du vieillissement, réussi ou non. Le vieillissement concerne l’ensemble de nos organes. On pourrait penser qu’il les affecte de manière indépendante, mais il en est autrement. Les interactions entre les organes et leurs trajectoires de vieillissement jouent un rôle déterminant. Ainsi, le vieillissement vasculaire influence fortement la capacité du rein et du cerveau à s’adapter au vieillissement. Par ailleurs, le vieillissement métabolique, en interaction avec celui des autres organes, contribue à l’émergence d’un phénotype de fragilité (“frailty”). Les organes communiquent entre eux : les altérations survenant dans l’un, par exemple le système vasculaire, favorisent l’apparition de dysfonctionnements dans d’autres, comme le cerveau ou le rein. Cette interconnexion constitue l’un des enseignements majeurs de la littérature scientifique.
Ce vieillissement est d’abord une trajectoire, comme le soulignent Judith Charbit et Oliver Hanon : bien vieillir se prépare tout au long de la vie. Cette trajectoire est modulable ; rien n’est jamais écrit. Cependant, il apparaît clairement que les processus visant à limiter le vieillissement des organes sont d’autant plus efficaces qu’ils sont instaurés précocement. L’inflammation chronique de bas grade joue un rôle majeur et a donné naissance au concept “d’inflammaging”. Cette inflammation dite stérile, qui n’a pas pour but de détruire un pathogène et dont l’importance augmente avec l’âge, favorise l’accumulation de cellules sénescentes, ainsi que des dysfonctionnements mitochondriaux. Le vieillissement métabolique joue un rôle central, mais ne se résume pas à la prise de poids, à l’adiposité abdominale ou au développement d’un diabète. Le tissu adipeux sécrète des cytokines pro-inflammatoires qui accélèrent le vieillissement de l’ensemble des organes. Pour autant, le vieillissement pathologique n’est pas inévitable. Par exemple, 30 % des personnes très âgées ne présentent aucune altération de la fonction rénale. Il s’agit le plus souvent de sujets ayant conservé un bon état de santé général, en partie grâce à un mode de vie équilibré et à une activité physique et intellectuelle régulière, commencée précocement et maintenue à l’âge adulte.
Lorsque le vieillissement rénal survient, il se caractérise par des lésions à type d’anomalies des petits vaisseaux à l’intérieur du rein, appelées “néphroangiosclérose”. Il est important de souligner que cette dernière est une conséquence liée à l’âge et non à l’hypertension artérielle ! Les mauvaises rencontres deviennent plus fréquentes à mesure que le temps passe. Ainsi, une déshydratation, un médicament néphrotoxique ou une infection constituent un stress rénal qui, à un jeune âge, n’a que peu, voire pas de conséquences, mais qui, chez le sujet âgé, va entraîner une altération de la fonction rénale. Ce dysfonctionnement rénal peut être de courte durée, mais répété au cours du temps, va aboutir à une perte des capacités du rein à faire face à ces événements stressants : cette évolution correspond à la néphropathie vasculaire du sujet âgé, qui s’accompagne d’une diminution progressive du débit de filtration glomérulaire. À cet égard, il est intéressant de noter que les inhibiteurs du SGLT2 ne diminuent pas la fréquence des mauvaises rencontres, mais réduisent leurs conséquences délétères sur le rein.
Comme le soulignent Bernard Lévy et Jacques Blacher, le vieillissement vasculaire est un processus physiologique et inévitable. Les lésions athéromateuses peuvent être observées dès l’âge de 22 ans en moyenne, comme l’ont montré les études menées chez les soldats américains tués pendant la guerre de Corée. L’âge modifie le rapport collagène/élastine au détriment de l’élastine, et là encore l’inflammation systémique stérile (c’est-à-dire non liée à la lutte contre les pathogènes) joue un rôle important.
Comment évaluer ce vieillissement vasculaire, rénal, cérébral, métabolique ? On pourrait supposer que chacun de ces organes dispose d’un marqueur spécifique de son vieillissement. En réalité, ce n’est pas le cas. Il existe bien sûr des marqueurs fonctionnels propres à chaque organe, mais les marqueurs biologiques sont, en revanche, souvent communs. Sans aller jusqu’aux processus d’autophagie ou de mitophagie, on peut citer l’évaluation des télomères, protéines de l’inflammation (interleukine-6), marqueurs de l’oxydation ou du remodelage vasculaires.
Dans cette perspective, des instituts spécialisés ont été créés pour évaluer le vieillissement global ; l’un d’entre eux a d’ailleurs été récemment distingué, l’institut Astrium au Mans qui a reçu le prix BFM 2025. Les progrès en biologie du vieillissement ouvrent la voie à une médecine préventive personnalisée grâce à des interventions ciblées annonce Hermine Lenoir et Olivier Hanon. La lutte contre le vieillissement passe aussi par la stimulation intellectuelle, y compris celle que peut offrir notre revue !■

