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Dossier

Quelle molécule choisir en cas d'échec ou de contre-indication aux anti-TNF dans la maladie de Crohn ?


(pdf / 104,12 Ko)

  • L'ustékinumab et le védolizumab sont des options efficaces en cas d'échec ou de contre-indication aux anti-TNF.
  • Les études en vie réelle suggèrent une meilleure efficacité de l'ustékinumab par rapport au védolizumab chez les patients atteints de maladie de Crohn préalablement exposés aux anti-TNF.
  • Les profils de tolérance de l'ustékinumab et du védolizumab sont très bons et comparables entre eux.
  • Les modalités d'administration de l'ustékinumab rendent ce traitement mieux accepté que le védolizumab.

La maladie de Crohn (MC) est une MICI qui peut considérablement altérer la qualité de vie des patients et dont l'évolution peut conduire à une destruction de la paroi intestinale. Les anti-TNF sont les premières biothérapies à avoir démontré leur efficacité pour induire et maintenir une rémission clinique et obtenir une rémission endoscopique. À l'heure actuelle, la classe des anti-TNF est la plus utilisée dans la MC en première ligne de biothérapie et la seule à être remboursée en France. Malheureusement, le taux d'échec primaire à ce traitement est d'environ 25 %, avec seulement 40 à 45 % de rémission clinique sans corticoïdes à 1 an [1]. Par ailleurs, 11,5 % des patients présentent une ­contre-indication aux anti-TNF, dont 2,5 % une contre-indication absolue [2]. Ainsi, le recours à une autre classe de biothérapie est nécessaire chez la plupart des patients. Si l'utilisation d'un deuxième anti-TNF est possible, notamment en cas de formes compliquées de la maladie (sténose, fistule intra-abdominale et lésions anopérinéales), le recours à une autre famille thérapeutique (désigné par le terme anglophone swap) est souvent privilégié. Seules deux options sont actuellement disponibles en France : l'ustékinumab ciblant la sous-unité p40 commune à l'interleukine 12 et à l'interleukine 23, et le védolizumab ciblant l'intégrine α4-β7. Tous deux ont démontré leur supériorité sur le placebo. Le choix entre ces deux traitements doit être individualisé, mais repose sur le tryptique efficacité-sécurité d'utilisation-­acceptabilité du traitement (tableau, voir sur le PDF).

Efficacité du traitement

Schématiquement, il existe trois façons de comparer deux traitements entre eux : les essais contrôlés randomisés, les méta-analyses en réseau et les données dites de “vraie vie”. À ce jour, il n'existe aucun essai contrôlé randomisé comparant l'ustékinumab et le védolizumab dans la MC. Aucune méta-analyse en réseau n'a pu démontrer, jusqu'à présent, de différence significative entre l'ustékinumab et le védolizumab chez les patients préalablement exposés à au moins un anti-TNF, que ce soit en termes de réponse clinique ou de rémission clinique [3]. Plusieurs études en vie réelle ont été publiées ces dernières années. Il s'agissait d'études de cohorte prospective ou rétrospective qui utilisaient des scores de propension pour comparer indirectement ustékinumab et védolizumab chez des patients préalablement traités par anti-TNF [4-8]. Les résultats des différents travaux concordaient, montrant une bonne efficacité des deux traitements, mais une supériorité de l'ustékinumab à 1  an en termes de rémission clinique (54,4 versus 38,3 % ; p < 0,05) [4], de rémission clinique sans corticoïdes (49,3 versus 41,2 % ; p = 0,04 [6] et 46,4 versus 29,0 % ; p  = 0,043 [5]) et de rémission clinicobiologique basée sur le dosage de calprotectine fécale (27,1 versus 10,2 % ; p = 0,031) [5]. Une méta-analyse de ces données en vie réelle confirmait la supériorité de l'ustékinumab sur le védolizumab sur ces trois critères : rémission clinique (OR = 1,87 ; IC95 : 1,18-2,98), rémission ­clinique sans corticoïdes (OR = 1,56 ; IC95 : 1,23-1,97) et rémission biologique (OR = 1,86 ; IC95 : 1,03- 3,37) [9]. Il n'existe pas de données ­comparant ces traitements en cas de formes ­compliquées de la maladie (patients présentant des lésions sténosantes, fistulisantes ou anopérinéales). Contrairement au védolizumab, l'ustékinumab semble efficace pour prévenir la récidive post­opératoire de la MC [10]. En cas d'atteinte articulaire associée, l'ustékinumab est souvent privilégié du fait de son efficacité dans le rhumatisme psoriasique.

Le message à retenir pour la pratique quotidienne est que le védolizumab et l'ustékinumab sont efficaces chez les patients atteints de MC en échec d'un anti-TNF, même si les données disponibles suggèrent une meilleure efficacité de l'ustékinumab (tableau, voir sur le PDF).

Sécurité d'utilisation

Les données de sécurité sont tout à fait rassurantes concernant l'ustékinumab et le védolizumab utilisés dans la MC. D'après l'analyse de deux bases de données américaines et des données de l'Assurance maladie française, il apparaît que le risque de complications infectieuses est plus faible sous védolizumab que sous anti-TNF [11]. On observe également une diminution du risque d'effets indésirables (EI) infectieux sous ustékinumab par rapport aux anti-TNF (HR = 0,93 ; IC95 : 0,86-0,99) dans une étude issue d'une base de données d'assurance américaine [12]. Une méta-­analyse en réseau publiée en 2021 ne montrait pas de différence entre le védolizumab et l'ustékinumab en termes d'EI sévères ou d'infections [3]. Des auteurs ayant analysé une autre base de données d'assurance aux États-Unis incluant seulement des patients de plus de 60 ans n'ont pas mis en évidence de différence entre anti-TNF, ustékinumab et védolizumab en termes de risque d'EI associé à une hospitalisation. Toutefois, dans le sous-groupe des patients de plus de 60 ans présentant au moins une comorbidité, le risque d'EI ayant conduit à une hospitalisation était plus faible chez les patients traités par védolizumab (HR = 0,78 ; IC95 : 0,65-0,94 ; p = 0,02) ou ustékinumab (HR = 0,66 ; IC95 : 0,46- 0,91 ; p < 0,01) que chez ceux sous anti-TNF [13]. En raison d'un manque de données, ces deux traitements sont déconseillés pendant la grossesse. Toutefois, les éléments dont nous disposons sont rassurants et ne suggèrent aucun signal négatif [14]. Il est intéressant de noter que le passage transplacentaire est plus faible avec le védolizumab qu'avec l'ustékinumab [14].

Concernant la sécurité d'utilisation, il faut donc retenir pour la pratique que les profils de tolérance du védolizumab et de l'ustékinumab sont très bons, sans différence notable entre ces deux traitements.

Acceptabilité du traitement

En l'état actuel des connaissances, le maintien au long cours des biothérapies est nécessaire pour la plupart des patients. Cela représente un poids non négligeable sur leur qualité de vie. L'étude française multicentrique ACCEPT2, incluant 1 850 patients, s'est intéressée à l'acceptabilité des modalités de traitement chez les patients atteints de MICI [15]. Sur la base de cette étude, il semblerait que l'ustékinumab soit généralement préféré par les patients, quel que soit son schéma d'entretien (toutes les 12 ou 8 semaines) plutôt que le védolizumab administré par voie intraveineuse ou sous-cutanée. Ces données sont applicables chez les patients naïfs de biothérapie (échelle numérique ­d'acceptabilité sur 10 points = 7,2 versus 5,1 ; p < 0,001) et chez ceux préalablement exposés aux biothérapies sous-cutanées (8,9 versus 8,1 ; p < 0,001) ou intra­veineuses (8,1 versus 5,9 ; p < 0,001) [15].

En pratique, les modalités d'administration d'un traitement par ustékinumab sont mieux acceptées que celles d'un traitement par védolizumab.

Conclusion

En cas d'échec, d'intolérance ou de contre-­indication aux anti-TNF, l'ustékinumab et le védolizumab représentent deux options efficaces dans la MC. Toutefois, les données en vie réelle suggèrent une meilleure efficacité de l'ustékinumab dans les formes luminales de la maladie, incluant la prévention de la récidive postopératoire. Ces deux traitements ont un profil de tolérance très bon et comparable. Les modalités de traitement par ustékinumab semblent être mieux acceptées que celles du védolizumab. Même si la décision thérapeutique doit être individualisée et adaptée à chaque patient, sur la base du tryptique efficacité-­sécurité-acceptabilité, l'ustékinumab semble l'option à privilégier chez la plupart des patients (tableau, voir sur le PDF).

Tableau. Récapitulatif des situations cliniques et des arguments en faveur de l’ustékinumab ou du védolizumab en cas d’échec ou de contre-indication aux anti-TNF chez les patients atteints de la maladie de Crohn.

EfficacitéEssais contrôlés randomisésMéta-analyse en réseauDonnées de “vraie vie”
MC luminale-Ustékinumab[4-9]
MC compliquée (sténose, fistule)---
Lésions anopérinéales---
Atteinte articulaire associée--Ustékinumab*
Prévention de la récidive postopératoire--Ustékinumab[10]
Sécurité d’utilisationEssais contrôlés randomisésBase de données (big data)Données de “vraie vie”
Infections-
Effets indésirables sévères-
Grossesse--
AcceptabilitéÉtude ACCEPT2
Acceptabilité des modalités de traitementsUstékinumab[15]

- : pas de données disponibles ; fond orange : ustékinumab ; ≈ sur fond vert : pas de différence.
MC : maladie de Crohn.
* Sur la base de l’indication de l’ustékinumab dans le rhumatisme psoriasique.

Références

1. Kennedy NA et al. Predictors of anti-TNF treatment failure in anti-TNF-naive patients with active luminal Crohn’s disease: a prospective, multicentre, cohort study. Lancet ­Gastroenterol Hepatol 2019;4(5):341‑53.

2. Amiot A et al. Prevalence of anti-TNF contraindications in Crohn’s disease: A cross-­sectional survey from the GETAID. Dig Liver Dis. Prépublication en ligne, 2022;S1590-8658(22)00252-3. doi:10.1016/j.dld.2022.04.011.

3. Singh S et al. Comparative efficacy and safety of biologic therapies for moderate-to-­severe Crohn’s disease: a systematic review and network meta-analysis. Lancet Gastroenterol Hepatol 2021;6(12):1002‑14.

4. Alric H et al. The effectiveness of either ustekinumab or vedolizumab in 239 patients with Crohn’s disease refractory to anti-tumour necrosis factor. Aliment Pharmacol Ther 2020;51(10):948‑57.

5. Biemans VBC et al. Ustekinumab is associated with superior effectiveness outcomes compared to vedolizumab in Crohn’s disease patients with prior failure to anti-TNF ­treatment. Aliment Pharmacol Ther 2020;52(1):123‑34.

6. Manlay L et al. Comparison of short- and long-term effectiveness between ustekinumab and vedolizumab in patients with Crohn’s disease refractory to anti-tumour necrosis factor therapy. Aliment Pharmacol Ther 2021;53(12):1289‑99.

7. Townsend T et al. Comparative effectiveness of ustekinumab or vedolizumab after one year in 130 patients with anti-TNF-refractory Crohn’s disease. Aliment Pharmacol Ther 2020;52(8):1341‑52.

8. Onali S et al. Objective comparison of vedolizumab and ustekinumab effectiveness in Crohn’s disease patients failure to TNF-alpha inhibitors. Am J Gastroenterol. Prépublication en ligne, 2022. doi:10.14309/ajg.0000000000001773.

9. Parrot L et al. Systematic review with meta-analysis: the effectiveness of either ustekinumab or vedolizumab in patients with Crohn’s disease refractory to anti-tumour necrosis factor. Aliment Pharmacol Ther 2022;55(4):380‑8.

10. Buisson A et al. Ustekinumab is more effective than azathioprine to prevent endoscopic postoperative recurrence in Crohn’s disease. United Eur Gastroenterol J 2021;9(5):552‑60.

11. Kirchgesner J et al. Risk of Serious Infections With Vedolizumab Versus Tumor Necrosis Factor Antagonists in Patients With Inflammatory Bowel Disease. Clin Gastroenterol Hepatol 2022;20(2):314-324.e16.

12. Cheng D et al. Risk of Infections With Ustekinumab and Tofacitinib Compared to Tumor Necrosis Factor α Antagonists in Inflammatory Bowel Diseases. Clin Gastroenterol Hepatol. Prépublication en ligne, 2022;S1542-3565(22)00067-2. doi:10.1016/j.cgh.2022.01.013.

13. Cheng D et al. Comorbidity influences the comparative safety of biologic therapy in older adults with inflammatory bowel diseases. Am J Gastroenterol. Prépublication en ligne, 2022. doi:10.14309/ajg.0000000000001907.

14. Mitrova K et al. Safety of ustekinumab and vedolizumab during pregnancy - pregnancy, neonatal and infant outcome: a prospective multicenter study. J Crohns Colitis. Prépublication en ligne, 2022. doi:10.1093/ecco-jcc/jjac086.

15. Buisson A et al. Comparative Acceptability of Therapeutic Maintenance Regimens in Patients With Inflammatory Bowel Disease: Results From the Nationwide ACCEPT2 Study. Inflamm Bowel Dis. Prépublication en ligne, 2022. doi:10.1093/ibd/izac119.


Liens d'intérêt

A. Buisson déclare avoir des liens d’intérêts avec AbbVie, Amgen, Arena, Biogen, Celltrion, CTMA, Ferring, Galapagos, Janssen, MSD, Nexbiome, Pfizer, Roche, Sandoz, Takeda, Tillotts, Vifor-Pharma.